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Le mot était à la mode en 1900 ; dans le № 1 de l’Escarmouche, daté du 22 avril, on le trouve deux fois à la même page sous des signatures différentes :

« Si t’en pinc’ pour le drapeau Donn’ ta viande »

chante Piouitt — « Toi, t’en pinces pour le panache, la grosse caisse, le règlement… », écrit Duchemin. Toujours dans le monde anarchisant de l’époque, le voici dans un roman de Darien : « Pour le moment je me contente de jouer au petit ménage, avec celle-ci ou avec celle-là ; on en pince pour la culotte, à Paris » (i.e. la culotte de peau des troupiers). (G. Darien, L’Épaulette, 1900.)

À cause de cette ambiance de gaieté générale il me semble que l’expression a pu se forger à partir de locutions courantes à l’époque, telles que « pincer un rigodon, pincer la guitare, ou pincer la chansonnette » (1866) — de même que les « poèt’s pinc’nt leur lyre » au printemps de Jehan Rictus. À l’origine en pincer a dû être senti comme « chanter la gloire, ou les louanges », voire jouer un air, ou exécuter des pas de danse en forme de salutation enthousiaste. Le sentiment d’amour diffus, greffé sur le pincement typique du plexus, paraît avoir suivi très vite, au sens d’inclination plus ou moins avouée, plus ou moins secrète, dans lequel l’expression s’est popularisée. Ainsi sous la plume ruralisante de Gaston Couté :

« Ah ! Ah !… Tiens, mais comme je vois, ça fait mine de marcher les amours. Le gâs en pince pour not’ fille, y a pas de doute, et dam’ ! not’ fille…

— M’étonnerait pas qu’alle en pince itou pour le gâs ! » (G. Couté, La chanson d’un gâs qui a mal tourné, 1910.)

Cette façon d’aimer a été l’apanage des milieux populaires pendant tout le siècle : « C’était la faute à Totoche tout ce qui était arrivé. Totoche, pourquoi s’était-elle jetée à sa tête ? Pourquoi avait-il pris feu, lui aussi ? Pas de cuisses, pas de bras, pas même de nichons. Et pourtant, il en pinçait bougrement pour elle. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.) De nos jours en pincer peut s’employer absolument, comme dans cette petite histoire de basse banlieue : « Quand Chopard a tringlé la gonzesse à Dédé Briffaut, elle était d’accord. Il l’a eue au charme. C’est d’ailleurs ce qui les fait chier. Elle est retournée dans leur camp par force. Elle y reste par trouille. Mais Chopard reçoit des bafouilles où elle dit qu’elle en pince. » (Berroyer, J’ai beaucoup souffert, 1981.)

Taper dans l’œil

Le XVIIe siècle connaissait donner dans la vue au sens de « plaire » et aussi donner dans la visière :

« plust à Dieu qu’elle fût à disputer entre luy et moy à la pointe de l’épée.

— Elle vous a donc bien donné dans la veüe. » (Les Ramoneurs, 1624.)

« Ce jeune homme est amoureux de cette fille, elle lui a donné dans la visière. » (Furetière, 1690.)

Les descendants réduisirent l’expression à l’organe avec donner dans l’œil, au même sens de produire une impression alléchante :

« Je craignais, malgré tout ce que tu m’as dit, que cette Tiennette ne te donnât dans l’œil, et que tu n’allasses t’en amouracher. » (Rétif de la Bretonne, Le paysan perverti, 1776.) — « Comme la compagne de ma payse m’avait donné dans l’œil, je me lançai à lui faire ma déclaration. » (Vidocq, Mémoires, 1828.)

Cette façon d’impressionner la rétine reçut une manière de renforcement dans le langage populaire, au milieu du XIXe siècle, par le passage logique de « donner » à « taper » : « Taper dans l’œil, séduire en parlant des choses et des femmes », note Delvau en 1866. L’expression est demeurée bien vivante, que ce soit dans la conquête amoureuse ou dans le lèche-vitrines.

Faire une touche

Cette métaphore habilement tirée de la pêche — c’est le poisson qui « touche » l’hameçon avant de mordre — s’est répandue au début des années 1920 pour indiquer les marques d’intérêt, émotions et menues manœuvres, observées à son propre égard chez une personne du sexe opposé. Il est probable que la résonance discrète du mot avec son sens affectif ordinaire — « cela me touche » — a contribué à son succès, comme aussi la promesse qu’il paraît contenir de réels attouchements à venir… L’expression a aujourd’hui un charme désuet.

« La jeune femme le regardait. Allait-elle lui parler ? Peu probable. Il souhaita d’ailleurs qu’elle se taise. Il ne saurait pas dominer sa confusion. J’ai fait une touche, aurait dit Palisseau. Ils étaient marrants ! Dès qu’une femme jetait les yeux sur eux, ça y était : ils avaient fait une touche. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)

Avoir un ticket

Le ticket est à peu près la même chose que la « touche », mais en plus jeune, en plus pimpant, et peut-être en plus ostentatoire. Suivant en cela l’évolution des mœurs, la personne à qui se rapporte ce ticket que l’on a ne se cache généralement pas de l’intérêt qu’elle éprouve ; elle manifeste ouvertement son attirance alors que la « touche » avait quelque chose de dissimulé, d’impondérable dans les manières, et parfois d’un peu pervers.

Il est remarquable que, comme pour la touche, et peut-être sous l’influence de cette expression plus ancienne qu’elle tend à remplacer, la personne qui « possède » ce fameux ticket n’est pas celle qui est forcément émue, mais celle qui fait « l’objet » de l’attention de l’autre — c’est celle qui plaît. « Regarde-moi cette blondinette, il soupire la mort dans l’âme… Putain qu’elle a l’air ferme !… Vise un peu ce cul dis donc !… La vache t’as vu son froc ? Il fait pas un pli !… Merde qu’est-ce que c’est bombé !… Elle doit bien aller la môme, elle doit aimer ça la petite salope… Ça a vingt ans à tout casser… Tiens ! regarde ! on a le ticket je te dis !… » (Bertrand Blier, Les Valseuses, 1972.)