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L’histoire relativement récente de ce terme un peu méprisant me paraît tout à fait exemplaire. Potin vient de « potiner », lequel est tiré de « potine » ou petit pot en terre cuite qui est en Normandie une chaufferette. « Les femmes du village se réunissaient autrefois pendant les longues veillées d’hiver pour filer et pour causer, chacune apportant sa potine ; potiner voulait donc dire d’abord : se réunir autour des potines pour bavarder » (Bloch & Wartburg).

Que des veillées villageoises on soit passé aux commérages, puis aux ragots mondains, quoi de plus naturel ! Certains salons parisiens fin de siècle s’appelaient des potinières.

Que le mot ait pu glisser au sens de « vacarme » : « Ils font un potin du diable », est déjà un peu surprenant… Cela en dit long sur l’estime que porte le langage aux… propos de femmes !

Être bas-bleu

Les choses se corsaient si les femmes voulaient écrire. Dans la bonne société du siècle dernier et de ceux qui l’ont précédé, une vraie femme devait être avant tout une petite dinde, spirituelle certes, et charmeuse, mais qui n’a pas à se mêler d’avoir des idées. Un bas-bleu désignait, de façon péjorative, une femme auteur.

L’expression a été importée d’Angleterre au début du XIXe siècle. Elle est la traduction de l’anglais blue-stocking, utilisée dans le même sens. Il existait en effet vers 1750 un salon littéraire tenu par une certaine Mrs. Montague et fréquenté notamment par Benjamin Stillingfleet, auteur mondain qui « avait la manie de porter toujours des bas bleus et qui fut imité par des personnes des deux sexes fréquentant ledit salon : d’où le nom de “club des bas bleus” donné ironiquement au salon de Mrs. Montague et celui de bas-bleus aux dames qui s’y réunissaient », explique M. Rat.

Ces renseignements paraissent exacts, à ce détail près que pour les Anglais cette Mrs. Montague avait baptisé elle-même son club, et qu’elle avait importé le mot et la mode de Paris ! Un auteur britannique fait même remonter la tradition beaucoup plus loin ; il signale l’existence à Venise, en 1400, de sociétés nommées della calza, dont les membres se distinguaient par la couleur de leurs chausses. Selon lui ces fantaisies vestimentaires seraient venues d’Italie en France vers le début du XVIIe siècle et elles auraient fait rage dans les salons des précieuses. L’hôtesse anglaise n’aurait donc fait que reprendre un très ancien flambeau.

De fait ce salon anglais semble bien avoir été appelé à l’origine Bas-bleu club, en français. Selon le Bloch & Wartburg également : « Bas-bleu se trouve d’abord en anglais, en 1787 ; il a été créé en Angleterre pour renforcer l’ironie que contient l’expression. »

Être blacboulé

Ce mot qui signifie « être refusé à un examen, à une élection » est lui aussi un résidu de la vie mondaine anglaise, du moins à l’origine. Il constitue la traduction de to be black-balled : être exclu par « boules noires. » (Incidemment ce n’est pas parce que le mot vient de l’anglais qu’il n’aurait pas droit à une orthographe « normale » ; j’emploie ici la même que Littré il y a cent ans).

En Angleterre les clubs étaient autrefois des sociétés très fermées. L’admission d’un nouveau membre se faisait par cooptation et donnait lieu à un vote. Ceux qui acceptaient le candidat déposaient dans une boîte une boule blanche ou rouge, ceux qui le refusaient une boule noire. Naturellement si les boules noires étaient en majorité le postulant était « blacboulé » !

Avoir l’esprit de l’escalier

Une des raisons d’être des salons est de s’y rencontrer pour briller auprès de ses amis, et si possible de ses ennemis. Là plus que partout ailleurs il est nécessaire d’avoir de l’esprit, la repartie facile, le trait piquant. Malheur à celui qui est incapable de glisser un bon mot, au moment voulu, pour mettre les rieurs avec lui.

Il arrive pourtant que la saillie se fasse attendre, que la réplique fasse défaut, que le bonhomme ne pense à ce qu’il aurait dû répondre que trop tard, alors qu’on parle de tout à fait autre chose, ou même quand la réunion est terminée, qu’il est sorti… Il trouve alors, en descendant l’escalier, ce qu’il aurait fallu dire ! C’est ce que l’on appelle précisément « avoir l’esprit de l’escalier. » J.-J. Rousseau raconte dans ses Confessions comment il aurait fait d’excellentes conversations s’il avait pu les faire… par correspondance — et Valéry a eu ce mot : « Littérature, ou la vengeance de l’esprit de l’escalier. »

Écrire un poulet

Le bel esprit ne se manifeste pas seulement en paroles. Dès le XVIIe siècle les usages mondains voulaient que l’on s’écrivît beaucoup, et en particulier des petits billets galants. Molière parle d’une « lettre en poulet cachetée », ce que Furetière explique : « Poulet signifie aussi un petit billet amoureux qu’on envoye aux Dames galantes, ainsi nommé, parce qu’en le pliant on y faisoit deux pointes qui représentoient les ailes d’un poulet. Autrefois les prudes faisoient grand scrupule de recevoir des poulets ; maintenant elles en ont de pleines cassettes. »

Cependant le mot en ce sens date du xvr siècle, et il n’est pas absolument certain que ce pliage particulier ait fourni le nom… En tout cas il a quitté très tôt le vocabulaire des salons pour continuer sa route dans un monde plus ordinaire, ce qui semble suggérer le commentaire du même Furetière qui le considérait déjà vieilli en 1701 : « Ce mot n’est presque plus en usage en ce sens. On dit aujourd’huy billet galant, billet doux. »

Vivre sur un grand pied

Le train de vie se mesure-t-il à la dimension des savates ? On le croirait, puisque certains « vivent sur un grand pied » et d’autres non. Il est vrai qu’au XVe siècle la chose a eu quelque vraisemblance, avec les fameux souliers à la poulaine (c’est-à-dire « à la polonaise ») « dont la pointe était longue d’un demi-pied pour les personnes du commun, d’un pied pour les riches et de deux pieds pour les princes » !

En réalité cette mode — qui finit par être interdite tant elle devenait ridicule — n’a pas eu, du moins on le présume, d’influence sur l’expression « être sur un grand pied » : être un personnage important. C’est le pied, l’ancienne mesure de longueur, qui en est à l’origine, comme il l’est de plusieurs autres expressions courantes.

Le pied, divisé en douze pouces, valait environ 33 centimètres. Le fameux mètre-étalon qui l’a supplanté a beau avoir été sacré officiellement, en 1792, 40 millionième du tour de la Terre, cela me paraît une justification un peu fallacieuse, et en tout cas a posteriori. Pourquoi avoir choisi précisément le 40 millionième et pas le 50 ou le 100 millionième de cette circonférence toute théorique puisqu’on en était aux chiffres ronds et décimaux ?… En fait les fondateurs de cette nouvelle unité prirent comme base la dimension raisonnable et commode de trois pieds, ou à peu près, et afin de lui conférer un titre d’universalité pompeuse et rassurante, calculèrent, dans un esprit de promotion mondiale évident, que cela correspondait environ au 40 millionième des 10000 lieues auxquelles on évaluait le tour du globe. Ce fut un coup très dur pour le pied, il en est mort. Sauf d’ailleurs au Québec où sous régime britannique il n’a pas été touché par le système métrique.