— Passionnant, depuis les premiers James Bond, je n’ai plus entendu parler de trucs pareils !
— Tu penses s’il l’avait saumâtre, l’ahuri, dans la Cadillac devenue cellule. Des mecs se sont pointés, l’ont délivré, tout en le menaçant d’un feu gros commak. Il les avait de plus en plus à la caille ! Les gars en question l’ont embarqué dans une maison voisine pour le questionner, le fouiller. Une séance carabinée, paraît-il. A un certain moment, il s’est même demandé s’ils n’allaient pas le refroidir.
— Ils étaient français, les boy-scouts en question ?
— Non, mais ils parlaient notre langue sans bavure.
— Francis te les a décrits ?
— Mal ; un vieux et un jeune, m’a-t-il dit seulement.
— Ensuite ?
— Quand ils l’ont eu bien cuisiné, le plus âgé s’est absenté un moment. Lorsqu’il est revenu, il tenait un sac en papier à la main, dedans il y avait une grenade. Il a expliqué à Francis qu’il lui laissait une chance de se réhabiliter à leurs yeux. Ça consistait à aller jeter cette grenade chez un vieux mec de la rue du Chemin-Vert. Il prétendait qu’il s’agissait d’une grenade de manœuvres, juste bonne à casser des vitres. Séance d’intimidation, tu piges ? Si Francis acceptait, ils lui allongeaient une brique pour sa peine, et peut-être qu’on aurait d’autres petits boulots de ce genre à lui confier par la suite. Attends…
Elle saute de la table et trotte jusqu’à sa chambre où je l’entends farfouiller. Elle revient tenant une ancienne trousse d’écolier contenant des crayons de couleur. L’ayant vidée, elle extrait de la doublure une liasse de billets déchirés par le milieu.
— Tu peux constater que je te berlure pas, Francis m’a confié les biftons. Il devait enfouiller l’autre moitié après l’opération. Où ils l’ont bité de première, c’est avec la grenade. Manœuvres mes fesses, oui ! Et cet abruti n’a pas su s’en servir puisqu’il se l’est fait éclater dans les joyeuses !
— J’adore ton récit, Blanche-Neige, assuré-je. Saboule-toi et suis-moi, ma petite louve.
— Eh ! dis, tu ne vas pas m’enchrister, à présent ! Ou alors c’est que tu es une fameuse ordure.
— Qui te parle de t’enchetarder, poulette ! Perds l’habitude de tirer des conclusions trop hâtives. Un royco peut sortir une frangine sans pour autant la conduire à la Grande Volière !
Elle me flashe droit dans les prunelles, essayant de se faire une idée potable de ma personne.
— Alors, qu’est-ce qu’on fait ?
— On va essayer de dénicher l’autre moitié de la liasse, assuré-je, et je vais te dire une chose, jeune fille : si on la trouve, je te refilerai le tout ; ce sera ta petite allocation de veuve de guerre.
8
FACULTÉ
— Tu es bien certaine que c’est cette rue ?
— Oui, il me semble, je reconnais ce vieil immeuble avec de la faïence autour des fenêtres.
— Où se trouvait la Cadillac ?
— Le long de ce mur de briques.
— O.K., je vais te mener à une station de taxis pour qu’on te reconduise à Saint-Lazare.
Elle est soufflée.
— Dis, tu me prends pour une pomme ! Maintenant que je t’ai montré l’endroit, tu me largues comme on crache un chewing-gum ! Et faut que je rentre en dur, comme les esclaves qui partent au charbon dans le matin frileux ! Ça ne figure pas dans le contrat de confiance, ça, mon pote !
— Je vais te filer cent pions pour faire un petit tour dans Paris by day, moi j’ai école, tu m’excuseras.
— Tes cent pions, tu vas te les carrer dans l’oigne, poulet ! Ah ! merde, on ne peut pas avoir confiance en vous ! Pas un qui rachète l’autre. C’est blabla et arnaque sur toute la ligne !
— Je ne t’ai pas promis qu’on finirait nos jours ensemble !
Elle me court gentiment, cette Mimi-pattes-en-l’air ! A sa manière de vouloir absolument m’assister, elle me fait penser à Marie-Marie, mon éternelle petite fiancée, que tiens donc, voilà une paie que je ne l’ai pas vue, la Musaraigne.
J’accélère en guise de réponse et bombe en direction des Champs-Elysées. Je plonge dans les entrailles du parking George V, peu après nous refaisons surface.
Un soleil que je te laisse qualifier à ta guise : radieux, éclatant, printanier, d’Austerlitz, d’austère Liszt, de gloire, réconfortant, joyeux, met de l’émoi dans les calbars et des sourires sur les faces les plus renfrognées.
— Prends malgré tout ce talbin, musarde, et va m’attendre à six plombes au Fouquet’s, môme. Y a des cinoches tous les deux pas, tu pourras te distraire.
Je cloque le billet annoncé dans la poche plaquée de son jean. Un clin d’œil complice et je la largue pour traverser l’illustre avenue. Parvenu de l’autre côté, je me retourne et un petit serrement de cœur me point quand je l’avise, immobile, au bord du trottoir qui deviendra probablement un jour prochain son terrain de manœuvres, l’air triste et désemparé, comme une qui s’apprête, devant la connerie du monde, à se précipiter sous une bagnole. Alors je lui lance un geste gentil. Bon, assez sentimentalisé. Quand on s’y met, y a plus de raison que ça s’arrête. Tout étant sujet de déprime, moi je dis ; en tout cas de profond apitoiement.
D’un pas conquérant, je grimpe à l’agence dont, comme annoncé dans un très précédent chapitre, j’actionne la serrure avec ma clé.
Le bureau de la réception est désert. Je passe dans mon cabinet saccagé : vide aussi. Rebrousse chemin pour traverser le labo et me pointer à l’appartement secret.
Une âpre discussion me parvient.
— Ecoutez, fait la voix mollassonne de Féloche, ce serait tellement gentil de votre part. Vous n’avez donc pas envie d’accomplir une bonne action ?
— Avec mon cœur, je ne dis pas, mais pas avec mon cul ! riposte Claudette.
— Le Seigneur ignore les moyens pour ne considérer que les résultats, s’avance le bonhomme. Tenez compte que je suis un pauvre veuf encore plein de sève et d’ardeur, mademoiselle Claudette, et que cela fait des semaines que je suis réduit à une dure chasteté. Qui pis est, un sort malin s’acharne à interrompre les rares transports que j’ai pu m’accorder. Rien de plus terrible que d’être stoppé net en cours d’action, c’est une terrible épreuve pour tout le système nerveux et qui finit par engendrer des complexes.
— Je compatis, assure Claudette, mais personnellement je ne peux rien pour vous.
— Même si je vous offrais une gratification de cinq cents francs ?
— Non, mais dites donc, me prendriez-vous pour une putain ?
— Ne vous fâchez pas. Si je vous demandais, en votre qualité de secrétaire, de me dactylographier des documents à temps perdu, vous comprendriez que je vous dédommage ; en l’occurrence, je vous conjure de me vider les testicules, ce qui représente un service encore plus grand. Et tenez, vous pouvez le faire de n’importe quelle façon ; si vous répugnez à faire l’amour, accordez-moi une simple pratique libératoire, de la façon que vous voudrez : bouche ou main.
— Et quoi encore ! égosille ma valeureuse et très particulière secrétaire !
— Ma foi, dit l’autre, votre poitrine étant sublime mais d’un volume raisonnable, je n’aperçois guère de méthode supplémentaire, à moins bien sûr, ajoute Vignalet en riant, que vous n’eussiez les pieds préhensiles.
— Vous êtes amusant, concède Claudette.
— Donc digne de compassion, s’empresse le vieux madré. Allons, un bon mouvement, ma chère petite, confiez-moi vos jolies fesses, je vous promets de ne pas les abîmer.
Un silence encourageant pour Félicien succède. Il a l’heureuse idée de ne pas l’interrompre mais d’ouvrir sa braguette, ce qui est assez péremptoire, tout en restant de bon ton. Un soupir vaincu de Claudette m’annonce que le cher Vignalet obtient gain de cause, ce qui prouve bien qu’avec les femmes, la persévérance est le meilleur moyen, la ligne droite exceptée, pour rallier un point à un autre.