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Son burlingue est une sorte de loggia surélevée, d’où il surveille les allées et venues des pratiques et le fonctionnement impec de son personnel. Il y a du maître d’école d’autrefois chez cet homme saboulé de gris, cravaté de noir, chemisé de blanc ; du commissaire-priseur aussi, voire également du chef maton.

Ma requête le désoblige, je le constate au plissement de ses pattounes d’oie et à l’étincelle malencontreuse qui traverse son regard comme une comète sans queue ni tête.

— Vous savez, la chambre a été faite depuis, dit-il. De toute façon, elle est occupée pour l’instant.

— Je vais attendre qu’on la libère, dis-je péremptoirement.

Vaincu par ma qualité de flic de grande classe (te tracasse pas pour mes chevilles, je porte des bandes Velpeau), il grogne un assentiment contrecœuré et se remet à tripoter une liasse dans un tiroir entrouvert comme s’il s’agissait de sa bite.

Quelque part dans les étages, une dame satisfaite clame qu’elle part, qu’elle part, qu’elle paaaart, ce qui n’est qu’une vue de l’esprit car tu penses bien qu’en chopant un pied de cette ampleur, elle va pas se barrer tout de suite ! Ses hurlements tisonnent la fornication générale. Cela fait comme un premier coup de vent sur la forêt. Les feuilles d’un tremble frissonnent, puis ce sont les autres arbres qui joignent leurs frémissements à ceux des premiers branchages.

Aimable rumeur s’il en fut.

— Vaut mieux ça que des bruits de guerre, pas vrai ? fais-je au directeur.

Il grimace.

— Toute la journée, merci bien. Je touche parfois de véritables hystéros qui font un boucan du diable comme si on les égorgeait. Je me rappelle une bonne femme, bon chic bon genre pourtant, qu’on a dû calmer à coups de serviette mouillée, son partenaire et moi.

— C’est tout de même plus stimulant que les râles d’un hôpital.

— Je me demande, bougonne mon interlocuteur. La bestialité est déshonorante. Les animaux hurlent-ils en s’accouplant ? A l’exception du chat qui est un animal satanique, non ! Tandis que la femelle humaine gueule ! Le mâle aussi parfois. Existe-t-il une raison valable de hurler parce que vous ressentez du plaisir ? Aucune ! Imaginez-vous les clients de M. Paul Bocuse se foutant à brailler parce que ce qu’il leur sert est délectable ? Ou bien le public interrompant un concert de M. Karajan du fait que ses trompes d’Eustache ruissellent de félicité ? Non, n’est-ce pas. Alors pourquoi une dame de belle éducation, qui ne se permettrait pas de tousser à l’Opéra, eût-elle la coqueluche, se croit-elle fondée à rameuter tout un immeuble sous prétexte qu’un monsieur l’a pénétrée de son pénis ? Vous pouvez me répondre ? Tenez, écoutez ! Ecoutez celle-là qui, sans ambages, annonce à tous les échos qu’elle jouit ! N’est-ce pas scandaleux, monsieur le commissaire ? Je vous la montrerai quand elle descendra : la dignité sous un manteau de vison ! Une classe ! Un maintien confinant à l’arrogance ! Eh bien, vous l’entendez ? Cette personne dont le mari est probablement chevalier de la Légion d’honneur et membre du Rotary déclare, à la limite des décibels qui lui sont impartis, qu’elle atteint à l’orgasme. Au restaurant, elle va faire pipi en prétendant que c’est pour se laver les mains ; mais chez moi, elle crie qu’elle jouit ! Elle voudrait annoncer la chose par le truchement de l’audiovisuel si c’était possible. Elle souhaiterait que les quelque quatre milliards d’individus qui s’emmerdent sur cette planète assistent à l’exploit et y applaudissent. Répugnant !

Cet homme grave dépose son front bourré de réprobation sur ses deux mains et s’abîme. Un couple surgit, furtif. La dame reste au pied de l’escalier en attendant de monter prendre le sien, tandis que son imminent perforateur vient apporter son grisbi au taulier qui, pour lors, retrouve son sourire.

L’échange est bref. L’habitué connaît le prix. Le dirlo enfouille et sonne la soubrette aux aguets dans la cage d’escadrin. Le couple grimpe.

— Vous voyez, ces deux-là ? chuchote mon hôte. Si je vous disais qu’ils sont mariés. J’ai découvert la chose un jour que nous eûmes un contrôle de police. Il leur faut le dépaysement, le côté adultère ; ensuite ils rentrent chez eux. La vie ! Ah ! vous allez pouvoir visiter le 19, j’entends descendre les occupants, je reconnais le pas du monsieur qui boîte bas. Il est de Mantes et retrouve sa secrétaire ici une fois par semaine…

Un nouveau couple survient effectivement. Lui gros, énorme, bourrelé de bourrelets, sanguin, avec des yeux exorbités par son coït ; elle, petite dame de Cadre, brunette, gênée. Ils se séparent sans un mot. Lui opte pour l’issue principale, elle pour l’issue de secours sans laquelle aucune maison de rendez-vous ne saurait fonctionner convenablement.

— Voulez-vous qu’on fasse la chambre avant ? demande le dirlo dont j’ai su gagner la sympathie.

— Inutile, je ne monte pas pour consommer.

* * *

La pièce est classique, d’une coquetterie veule : papier à fleurs, couvre-lit de faux satin pourpre, mobilier en contre-plaqué acajouté. Une minuscule salle d’eau : lavabo-bidet, fermée par un panneau coulissant en verre trop dépoli pour être au net.

Une sale odeur animale, odeur de sueur et de cul, flotte dans l’air confiné. J’examine l’ensemble. Quelle sotte impulsion m’a amené ici ? Pour me stimuler la pensarde, je me répète : « C’est là que tout a démarré ! »

Je visionne le tristet fauteuil sur lequel, probable, le père Vignalet avait déposé ses hardes ; la chaise dont avait dû plus modestement se contenter Fortuna pour se défaire des siennes. Une vague armoire inutile occupe un renfoncement, je vais l’ouvrir. Elle est vide. Les rayonnages garnis d’un papier passé ne supportent que quelques mouches défuntes depuis des immémoriances.

Affligeant de banalité, tout ça… Flou et vague. Décor indécis, fait pour une heure. Sans importance, quoi. On a sacrifié à une tradition. Seul importe le plumard ; le reste pourrait aussi bien être peint en trompe-l’œil.

Dominant mon écœurance, je rabats le couvre-lit et m’allonge sur ce pucier épuisé où le gros bonhomme de Mantes vient de copuler avec sa secrétaire. Ça devait payer, la séance ! Je l’imagine, embroquant Ninette, à court de souffle, ahanant sous l’effort, avec de la sueur sourdant de chaque repli (stratégique). Et elle, la brave bibiche, soucieuse de conserver son job, accueillant le zob patronal avec une feinte dévotion ! Attention : foutre auguste du patron nourricier, à respecter en suivant les pointillés ! La lutte finale, tu repasseras !

Les mains sous la nuque, les pieds en flèche, je considère le plafond gris où chemine une lézarde en forme d’éclair. Si tu voulais chatouiller ma lézarde… Air connu !

C’est donc ça qu’elles matent, les sœurs, pendant qu’on leur pratique le minouchard follet ? Cette étendue blême, constellée d’écaillures ? Ces fendillements du temps ?