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Je tente de dégager la clé fichée dans la serrure, mais impossible : il va falloir enfoncer la porte. Je ne peux me permettre ce ramdam en ce moment.

Ma gorge est nouée, mon cœur qui cognait si posément s’emballe. Je voudrais massacrer la moitié des occupants de cet immeuble et buter l’autre moitié !

16

GRÂCE

Seulement, au paravent (japonais, pour changer un peu, se renouveler de fond en comble) il me faut explorer le logis de la gente vieillarde tsariste. Entrer chez elle avec des Russes d’Indien, si tu me permets ce beau et solide jeu de mots si approprié à la conjoncture.

Sonner ? Tu rigoles ou quoi ! Sésame, oui !

Je tente le coup pour le coup. Glisse mon instrument à biscornance prolongée concave dans le biscotteur à modulation striée du pêne. Mais suce : c’est du belge ! J’ai beau octoyer de gauche, folioter de droite, exsuder du milieu : nib ! Un verrou est tiré. Un beau : franc et massif, je me le rappelle, nous avons fait notre première communion ensemble.

Alors, puisque ce verrou est tiré, dois-je le boire ? Ça me ferait mal au saint Frédéric (évêque d’Utrecht en 838). J’ouvre la fenêtre palière pour visionner l’extérieur. La cour est sombre, la rue qui la borde peu lumineuse et les maisons d’en face, dont les Studios Fleuris, discrètement éclairés.

Je braque le mince faisceau de ma loupiote-gadget sous la fenêtre et constate qu’une corniche cerne l’immeuble exactement au niveau du 6e étage. La corniche ! T’as vu ça combien t’est-ce de fois dans les films ? Moi, quand j’étais petit déjà, je raffolais de ces exploits. Alors, dis : mon tour est venu ! Sans hésiter, et après avoir dûment boutonné ma veste, j’enjambe la barre d’appui, passe à l’extérieur et me juche sur le rebord de pierre. Il est large d’à peine 15 centimètres. Attends que je mesure, pas te dire de connerie. Eh ben oui, tu vois : 13 centimètres virgule 6.

Bon, en chaussettes, c’est mieux qu’avec des mocassins, je te l’accorde (si au moins j’en avais une à dispose !), nez en moins, comme disait Juliette Gréco jadis, il est coton de se déplacer sur une artère aussi étroite. Jamais tu verras le président de la République se rendre à l’Etoile, en longeant des corniches (il longe suffisamment de cornichons comme ça).

Tant que je me cramponne à la barre de la fenêtre, passe encore, mais l’instant vient où, pour pouvoir me déplacer — et c’est le but de l’opération — il me faut la lâcher. Je lui dis au revoir et me revaux cette séparation en saisissant un chéneau situé au-dessus de ma hure. Si tu crains le vertige, belle effeuilleuse, ferme tes jolis yeux ; mais surtout ne me chatouille pas sous les bras.

Entre ciel et terre, air connu, l’Antonio funambule ! Fantômas, à moi ! Des frissons m’insistent à l’orifice du recteur. Mon paturon gauche suit scrupuleusement le ciment grenu de la corniche tandis que ma main gauche se déplace sur le zinc du chéneau. Ensuite les membres droits viennent leurs parents pauvres rejoindre. Quelque part, un mec a mis à chauffer une pleine lessiveuse de musique pop, et les martèlements sourds des instruments à percussion me zicouitent le cervelet.

Cette fois, je suis à deux mètres de la fenêtre. Me semble que le point de non-retour est franchi. Pourquoi ai-je ce sentiment atroce, mais nécessaire, qu’il m’est désormais impossible de revenir à la croisée ? Je dois poursuivre. Oublie ta posture démente, mec ! Non, il n’y a pas de danger. Le danger, c’est un consentement. Il suffit de ne pas le vouloir ; de le décréter nul et non avenu. T’es sur une chouette plage dorée, Antoine. La mer, tu la vois gambiller le long des golfes clairs. Suis ta route, mon bonhomme. T’es fort, t’es calme, la nuit est embaumée. Marche. Il suffit d’y aller mollo. Songe aux alpineurs qui gravissent des à-pics vertigineux, lisses parfois comme les miches d’une jouvencelle. Eux, est-ce qu’ils chocottent ? Non, mon bébé. Ils jouent les piverts : toc toc toc toc ! Et la muraille les laisse entrer dans le ciel.

Ça y est, me voici devant la baie de Mme Pistdesky. Tout est éteint de l’autre côté. Pourvu qu’elle ne soit pas bloquée. Dans l’après-midi, j’ai noté que le système de fermeture était vieux comme le cul de ton grand-père.

Et maintenant, ladies and gentlemen, the chief attraction : le clou du numéro. Va falloir récupérer une de mes mains. Ce que je vais tenter, un singe seul oserait le faire, et encore, il se démerderait pour se cramponner avec sa queue. T’es paré pour les manœuvres de nuit, Tonio ? Alors, vas-y, mon biquet ! Pense à ta vieille maman, à Notre Seigneur sur la croix. Qu’est-ce que tu racontes ? T’aimerais bien être cloué, toi aussi, tu serais sûr de tenir en équilibre ? Ne blasphème pas avec des plaisanteries de ce genre, Tantonio, c’est pas dans ta manière. Allez, repens-toi ! Comment ? Parle plus fort ? Ça aussi t’aimerais ! T’aimerais quoi ? Etre pendu ? Mais y a que l’équilibre qui t’importe donc, homme de tant de foie ! Allez, dis pas de sottises et grouille-toi d’ouvrir cette vacherie de baie, moins belle que celle de Rio. Tu commences par quoi ? Ah ! oui, je pige : pas con, l’aminche. Le bout de rideau coincé à l’extérieur, hé ? Tu vas tirer dessus. Si la fermeture n’est pas bloquée, le vitrage coulissera. Vas-y mou, mec. Pas de saccades, ça n’a jamais enrichi son homme, la saccade. Tout en souplesse : force et beauté ! Voilà. Ça bouge ? T’es certain ? Alors continue sans t’énerver. Tu peux choper de plus en plus de rideau. C’est donc qu’il existe un intervalle entre le cadre du vitrage et la cloison sur laquelle elle bute. Donc, tu vas parvenir à tes fins, mon loup. Une fin de loup ! Frangin ! T’as le moral, pas comme la famille d’Angleterre qui a Balmoral. Comment, je l’ai déjà faite, celle-là ? T’es sûr ? T’as qu’à l’envoyer à la Robe Grillée, ça fera une bonne surprise à son lecteur. Mais attends, ça y est, ça vient, c’est venu. J’ai écarté la baie d’au moins quatre centimètres Celsius (les plus larges). Me reste à bien camper le personnage sur la corniche et à tirer latéralement.

Là-haut, le chéneau trop sollicité s’agite sous mes doigts. Va-t-il céder ? Pas de ça, Lisette ! Dis : et la fin ? Il a encore soixante pages à pisser, le Sana, que sinon il n’aurait pas droit à une sépulture en terre sainte, l’éditeur s’opposerait. C’est la règle, au Fleuve : tu meurs au milieu d’un polar, t’es enterré civilement, ni fleurs ni couronnes et on note le blaze des confrères qui se risquent à tes obsèques, pour leur revaloir ça, leur faire languir la prochaine avance, les casseburner question syntaxe, vraisemblance, redites, manque d’originalité. Draconiens, ils sont. Qu’on nage dans le socialo ou pas. Pour changer de régime, faudrait changer de bananes. Mais on ne change pas de bananes, tu comprends ? Impossible ! Les bananes ont envahi la terre, et il n’en existe qu’une variété. Y en a des grosses, des petites, des vertes et des mûres, des tigrées (les tavelures de l’âge) et point c’est tout à la ligne, mon pote ! On patauge dans la banane, on dérape dessus, on s’engraisse à la banane, on peut s’en coller dans le fion quand on cherche les émotions délicates, mais on est banané à tout jamais. Alors t’as qu’à t’exercer à aimer la banane, c’est ton seul recours.

Mais moi, durant ce brin de délirade, moi, commissaire Santantonio, comme ils disent, les embabananés de frais, j’ai fait coulisser la baie. Je m’enfenestre, au lieu du contraire. Une savante glissade reptative avec ondulation polyvalente du torse, et me voici dans la place (en anglais : in the place).

Tout de suite, une odeur me frappe. Que je ne connais que trop bien, hélas (en anglais alas). Odeur fadasse, sournoise, infiltreuse. J’attends un brin de chouia, m’habituer à la forte pénombre, car la baie est insuffisante, de nuit, pour permettre une vision complète des lieux. Ma petite loupiote de secours furète, précieuse auxiliaire lorsqu’on n’est pas nyctalope (vous en êtes une autre) me permettant de découvrir tu ne devineras jamais quoi. Si ? Ben dis-le, petite futée ! Gagné ! En effet : l’officier de police Longeron et le commissaire Maillard butés dans l’entrée. Attends que j’allume en grand : parfaitement ils sont morts. Boulot de grand professionnel : chacun a ses trois bastos dans la région du cœur, une région qui n’est pas à visiter par des balles de fort diamètre ordinairement. Ce que je reniflais, c’était le sang et la poudre mêlés, et la mort qui en a consécuté. Pas de quartier ! On les a repassés sitôt le seuil franchi. Le temps de refermer la lourde, de les faire pirouetter un tantisoit, pas que les bastos ressortent sur le palier, et pan, pan, pan ! En triangle. Les frères trois points ! Si les frères Troigros appartenaient aux frères trois points, crois-tu que Mme Point appartiendrait aux frères trois gros ? Oui, n’est-ce pas ? Alors continuons, c’est palpitant, moi je trouve.