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Et c’est l’instant où, contre toute attente, alors que je n’avais rien commandé de tel, ni même de Guillaume Tell, une voiture se pointe : un taxi G7. Son driver, me voyant aligné sur la chaussée, croit à un accident et stoppe à ma hauteur. Il s’agit d’un Arabe, les enfants du Maghreb ayant remplacé les princes russes que le temps a mieux su tuer que les révolutionnaires d’Octobre.

— Ci grave ? il demande, ce chéri.

Cézigue, j’en ferais des merguez si je m’écoutais.

La conductrice, voyant ce bahutier qui interpelle, croit qu’il s’adresse à elle et se penche pour baisser sa vitre. Ça lui permet de constater que ce n’est pas elle que mon pote Nordaf visionne. Elle s’avance un peu plus, me voit. Aussitôt je me dresse, revolver au poing (et très au point).

— Casse-toi, Ducon ! crié-je au taximan.

Il !

Un pistolet et une forte voix étant les deux mamelles de l’intimidation.

La souris, qui a laissé tourniquer son moulin, précipite les choses et dépote idem. Moi, obligé sous l’effet du rush, de lâcher la poignée de la porte. Que faire ? J’ai salopé un merveilleux Lapidus pour la peau ! Alors je défouraille dans les boudins. Mais dis : de nuit, si bas, si étroits ! J’aurais affaire à des pneus de bulldozer, encore. Mais des roues de Triumph, tu permets !

La chance qui filait par la lunette des gogues revient aux tripes glaviot. Car l’une de mes bastos s’est plantée dans le bahut de l’Arabe, lequel s’arrête pile, quitte sa formule 1 et détale, plié en deux, comme à la glorieuse époque des Aurès. Du fait, la rue est bouchaga et la conductrice de la Triumph est contrainte de stopper. J’arrive en courant. Elle imite le chauffeur et largue son baquet pour s’emporter plus loin, à pince. Mais dis, l’Antonio, si on le représente avec des ailes au talon c’est pas pour des quetsches ! Je rejoins la fugace tomobiliste à la hauteur du 19. Faudra que j’achète un billet de loterie se terminant ainsi, demain, tu me feras penser ?

Juste que je la ceinture, elle lance son bras par-dessus son épaule. Elle tient quelque chose. Quoi, je l’ignore. Ce que je sais, par contre, c’est qu’illico je suis saisi d’étouffement. Mes éponges se minéralisent, ma respiration est stoppée net. La fille poursuit sa galopade. Je titube, tombe à genoux sur le trottoir. Pas marle de se mettre en posture de prière à côté d’une crotte de chien. Les cloches de Notre-Dame carillonnent éperdument dans ma tronche. Tout se brouille. Rien ne se perd, rien ne se crée (de polichinelle) comme disait Lavoisier, lequel, justement découvrit le rôle de l’oxygène dans la respiration animale, eh ben, mon vieux, ce serait le moment ! J’agonise.

Tu veux pas me croire ? Viens me faire du bouche-à-bouche, connasse, au lieu de mijaurer. Je t’en fais bien, moi, sans que tu le demandes, et même à des endroits que je peux pas dire devant les enfants !

Voilà que quelqu’un me s’occupe. Appuie sur ma poitrine, presse. Me souffle dans la gueule. On dirait que mon asphyxie est enrayée ? Me berlus-je ou suis-je mort ? Ce quelqu’un s’active posément. Une, deux. Inspiration, expiration ! Compression, dépression ! Encore ! Encore ! Oui, c’est bon ! Ah ! le brave prochain qui me maintient en vie, me donne son propre oxygène. Une, deux… Je rouvre les yeux. Je reconnais… Encore ! Encore ! Allez ! Ouf ! Ça y est, mon circuit personnel se rétablit. J’inspire la sympathie, je sais, merci, mais du bel oxygène que sans Lavoisier on se demande ce qu’on respirerait, et comment qu’ils faisaient avant lui.

A la fin, je respire de mes propres ailes. Ouf ! Ah ! les bonnes goulées que voilà ! Goulée-goulag, ô combien gouleyant.

— Ça va mieux ? me demande Pinaud.

— Oui, dis-je en torchant mes lèvres d’un revers de main, mais tu pourrais ôter ton mégot quand tu pratiques la respiration artificielle à quelqu’un, c’est dégueulasse.

Cela dit, il s’est pointé à temps, l’Ancêtre.

— Dégage ce taxi, César, moi je m’occupe de la petite chiotte.

On s’emploie, en bons citoyens, à libérer cette voie paisible. J’en profite pour inspecter la pompe de la dadame gazéifiante. Ma doué, cet arsenal ! Son coffiot est bourré de grenades, de pistolets mitrailleurs, de revolvers et d’autres gadgets du genre, tous plus meurtriers qu’une épidémie de grippe asiatique.

J’enrogne de ce coup fourré. Sans ce malencontreux taxi, plein de mansuétude, je cravatais la fille (une personne d’une trentaine d’années, m’a-t-il paru, brune, avec des cheveux longs et une veste rouge).

— Et à présent ? questionne le placide bipède qui m’a sauvé la vie.

— Remontons !

Je me jetterais ! La soirée des occases perdues ! Des rendez-vous manqués. Pourquoi n’ai-je pas alpagué les deux mecs de tout à l’heure au moment où ils se taillaient ? Pourquoi n’ai-je pas mieux combiné mon assaut de la Triumph ? Mon capital auto-estime fond comme le franc ! Baisserais-je ?

— Qu’as-tu à maugréer ? demande Pinuche.

— Je suis une patate, César !

— Ne te culpabilise pas ; dans notre métier, il y a les circonstances. Parfois elles s’adaptent à notre entreprise, parfois non, et alors ! convient de les façonner, sans se décourager. C’est une besogne d’ajustage.

— C’est très beau, ce que tu dis, Lapine. Serait-ce de toi ou de Chateaubriand ? De toute manière c’est aux pommes ! Bon, alors façonnons.

Nous retrouvons l’Institut des Sciences Séparées, ses morts, sa salle de projection. Je serais curieux de faire fonctionner un peu ce matériel.

Une brève réflexion pour bien coordonner le bigntz, et je me rends au téléphone. Je respire péniblement, en asthmatique mal sorti d’une crise, aussi suis-je pris à froid par les vitupérations de Mme Mathias.

La guenon du Rouillé glapit comme huit mille hyènes en chaleur.

— Quoi ! Que mon mari aille vous rejoindre ! En pleine hépatite virale ! Ecoutez, commissaire, je vous le dis carrément, nous allons être obligés de vous flanquer notre démission. Papa qui est médecin à Lyon propose depuis des années à Mathias d’ouvrir un laboratoire d’analyses et…

— Mathias est un esprit trop ouvert pour s’intéresser à la pisse et aux crachats de ses contemporains, belle dame, passez-le-moi illico et ne criez pas si fort, vous risqueriez de faire une fausse couche !

Elle fulmine :

— Qui vous dit que je suis enceinte ?

— Vous l’êtes toujours pendant les mois en « r », chère amie, à preuve que je ne peux gober une huître sans penser à vous.

On criaille encore, on va aux limites de l’insulte, on flirte avec l’imprécation, on envisage la malédiction, on se dévoile l’à quel point nos haines sont bien ancrées, réciproques, tumultueuses et justifiées. Et puis, force restant à la loi, elle finit par me passer le géniteur de ses portées de chiares.

Mathias, consterné par notre antagonisme, bredouille :

— Un pépin, monsieur le Commissaire ?

— Viens au 37 de la rue Léo-Malet, cinquième étage droite, intimé-je.

Sans lui laisser le temps de misérer, je raccroche. Pinaud s’est endormi sur une chaise. Gentil, abandonné, plus ridé qu’un presse-citron.

Je le laisse récupérer un brin, le cher vieux mouton tondu. En fait, il ressemble davantage à une brebis.

Je vais respirer à la fenêtre. Tiens, celles de la salle de conférences ont vue sur les Studios Fleuris.

Où est passée Mme Pistdesky, bonté divine ? Qu’ont-ils fait d’elle, tous ces énigmatiques personnages qui tuent mieux que je ne respire présentement ? Elle était leur complice, ou simplement leur victime ? Voire les deux, peut-être ?