Nonobstant mon altruisme proverbial, je réponds qu’un bourgogne fruité, légèrement frais, éblouirait mes muqueuses.
Il est en train de me le faire déguster, quand la voix du Caruso des fourneaux retentit :
— Voulez-vous me flanquer ce chien dehors, Léonce !
— Tout de suite ! promet l’esclave.
Mais il n’a pas le temps d’interviendre : Salami, l’objet de ma contrariété, est déjà là, dressé sur sa base, ses antérieurs posés sur mon bénoche.
Il me sidérera toujours, le bougre.
— Cher ami, lui fais-je, ne me dites pas que vous venez de Paris à pied ?
Mon pote aux étiquettes traînantes secoue la tête.
— Auriez-vous fait du stop ?
Haussement d’épaules négatif du cador.
— Elle est à vous, cette bête ? s’informe le taulier, abasourdi.
— Ça n’est pas une bête : c’est mon secrétaire, réponds-je.
Puis, à Léonce le loufiat :
— Vous voulez bien rajouter un couvert pour mon collaborateur ? Ne lui servez pas de lapin, à cause des os qui sont traîtres chez ce volatile. Un filet de bœuf vous conviendrait-il, Salami ?
— Vouahi ! répond ce dernier, tout joyeux.
— Avec des pâtes comme garniture ?
— Vouahi !
Je fais signe à Léonce-le-Navré d’enregistrer la commande.
Mon compagnon retrouvé grimpe sur le siège que je lui désigne, visiblement satisfait.
— Mon bon, attaqué-je, expliquez-moi comment vous avez pu me rejoindre ?
Nous nous livrons alors à ce jeu « questions-réponses » qui nous conduit, par des chemins détournés, à un entretien détendu.
Tu finirais par trouver fastidieux ces échanges entre nous parce qu’ils manquent d’une spontanéité indispensable à un dialogue rapporté. Aussi, doré de l’avant et vu que tu as parfaitement compris le fonctionnement de nos rapports, je m’attacherai désormais à occulter leur motricité pour n’en conserver que l’essentiel.
Or donc, Salami m’explique qu’à son retour Quai des Orfraies, Bérurier s’est abandonné à une colère retentissante contre Hanoudeux qui, profitant de son sommeil, l’avait ramené à Paname sans le prévenir. Il hurlait au rapt, à la « violation de domicile sur sa personne ». Après avoir filé un bourre-pif au Clermontois, il s’était hâté de récupérer sa vénérable Citroën d’avant-guerre pour retourner dans l’Yonne. Mon fidèle clébard avait profité de son misérable véhicule.
Une panne dont on craignait l’irrémédiabilité ayant stoppé le retour de Zorro à la sortie de l’autoroute, le basset finit le chemin pédestrement et n’eut pas grand mal à détecter mes effluves, lesquels s’enrichissent de mon eau de toilette d’élection, dont je ne vais pas te répéter qu’elle se nomme « New York, New York » sans avoir de points communs avec cette bourgade U.S.
Nous devisons, tout en mangeant, et la salle à bouffer de l’hôtel fait silence, fascinée par l’étrange spectacle d’un homme en « conversation » animée avec un canin…
Le dessert assimilé, nous buvons chacun un café serré ; après quoi je demande au taulier enfin subjugué où je pourrais louer une voiture.
Pendant que nous déjeunions, Salami et moi, des clients qui m’ont reconnu se sont empressés d’expliquer au patron de l’Écu de Bourgogne quel prestigieux personnage je suis, si bien que l’irascible est devenu mouton bêleur. Il me dit qu’inutile de payer une guinde, il va se faire un plaisir inouï de me prêter celle de son épouse. Ainsi, parfois, naissent et se développent des amitiés solides.
La voiture, une exquise petite Twingo jaune-jaune d’œuf, est pratiquement neuve, Mme Marthe ne l’utilisant qu’une fois par semaine pour aller se faire tirer par Éric Bouchu, son fromager. Le véhicule sent le cul et le munster, odeurs admirablement complémentaires. Quelques préservatifs usagés jonchent les tapis de sol et je découvre, dans la boîte à gants, une tétine pour veau à laquelle on a assuré une certaine fermeté en la bourrant de papier préalablement mouillé.
Après une période chagrine, le ciel a opté pour le beau temps et un soleil flageolant fait des gammes.
Je biche la route de Pompechibre, peu fréquentée. Avise, au loin, la silhouette d’un Charlie Chaplin gonflé à l’hélium : Béru ! Il a ôté son soulier droit et avance en claudiquant.
Mon camarade l’a détecté avant moi et émet de petits gémissements, histoire de me le signaler.
— Je sais, mon ami, le calmé-je, mais je n’ai pas le droit de mettre en péril les amortisseurs d’une voiture obligeamment mise à ma disposition.
D’accélérer pour doubler le tas de gadoue. Il s’est placé face à nous et actionne son pouce auto-stoppant. Sans un regard, je passe devant le Mastard.
Il me reconnaît à la dernière seconde, hurle mon nom, agite ses bras, se met à nous courir au fion. Je baisse ma vitre pour en rater le moins possible. Fectivement, je perçois :
— Colique ! Sans-couilles ! Furoncle ! Dégueulis de crapaud !
Le reste ressort à la même inspiration, mais se perd dans le crépitement de l’été.
Je roule et l’oublie…
Tout là-bas, au bout de la ligne droite, la bicoque du sieur Panoche. Des véhicules tricolorisés y abondent. Silhouette d’un gendarme. Non : de deux.
Je commence à ralentir. Sur ma gauche, près d’un cours d’eau bucolique, j’avise les ruines d’un château. C’est beau comme une gravure écossaise.
« Tiens, pensé-je, si j’allais jeter un regard d’artiste sur ces vieilles pierres dont je pressens l’émouvance ? »
J’accepte aussi sec ma propose et emprunte le chemin conduisant à ce site, certain qu’il vaut le détour.
Et pour le mériter, il le mérite !
Si tu savais combien !
N’au plus que je m’en approche, n’au plus la construction me semble intéressante : c’est du moyenâgeux qui se situe entre le XIIe et XIIIe siècles. En ces temps de gadoue à marée haute, il fait bon piquer une tête dans le passé. Le rush vers le cacateux, la pourrissance, le renoncement et le reniage des valeurs me flanque le vertigo.
J’admire un donjon bouffé par les plantes impitoyables. Putain d’elles ! Pourquoi ne préserve-t-on pas les survivances de l’Histoire ? Ça te passionne, ta pomme, la course à l’H.L.M. ? L’architecture clapier qui part en couille avant que les murs ne soient secs ? J’aurais dû exister à l’époque Bayard pour guerroyer en armure, piner des frangines à cotillons profus. Tu te rends compte la régalade que ça devait être, leur minoucher la fente médiane sous des épaisseurs d’étoffes ?
Misteur Salami manifestant une envie impérieuse de se dévoiturer, j’ouvre nos portières. Contrairement à ce que je croyais, il compisse ballepeau, le bougre, mais fonce derrière moi en jappant d’allégresse.
Je me retourne, et alors qu’aspers-je ? La peintresse entrevue ce matin dans le couloir de l’hôtel lorsque j’y évacuais le plateau du petit-déje.
Elle s’est installée sur un promontoire qu’on pourrait également qualifier d’éminence s’il était rouge. Chevalet dressé, dûment calé par un gros caillou, la ravissante blonde œuvre avec ferveur.
— Oh ! Oh ! lui lancé-je.
Elle me répond par un geste de sa main tenant le pinceau. Dès lors, je marche dans sa direction, précédé de mon hound qui paraît sensible aux jolies personnes. Il est très porté sur l’humain, ce canin !
Faut dire qu’elle est superbe dans le soleil qui répand de l’ambre sur sa peau et de l’or dans ses cheveux[11].
Sa chemise ouverte offre son buste à l’été[12].
Le foot ! Ce matin, j’ai pas eu le temps d’enregistrer ses yeux fauves sertis de vert, non plus que ses lèvres charnues que surmonte un imperceptible duvet. Pour te parler de son décolleté, faudra qu’on prenne rambour la semaine prochaine, tant il y a à dire et, plus encore, à faire ! Le dargiflard remplit son rôle (et son futal). Côté vitrine, le ventre est plat. Les cuisses, bien modelées, ne font pas du tout casse-noisettes.