Le Mammouth se pointe.
— C’ qu’y a ? s’informe-t-il.
— Tu veux bien repêcher le fragment de faf bleu, au fond de l’eau ?
Docile, il s’agenouille, retrousse sa manche et se met à tâtonner dans les abysses goguemuchards. Finit par récupérer l’humble objet de ma convoitise, et le dépose sur la tablette du lavabo voisin.
— Pourquoive t’ l’as pas attrapé toi-même ? bougonne-t-il.
— Parce que, contrairement à ma pomme, tu as des rapports privilégiés avec la merde, mon bon.
Le Mastard se fâche :
— Y en a qui s’ croivent réell’ment sortis d’ la cuisse d’ Gulliver. Et qu’aiment humilier leur monde ! Quelle journée pourrie : mon épouse qui n’meurt pas, mon supérieur hiéraltique qui m’oblige à jouer au gandousier ; j’sus réell’ment un mec maudit !
Et tu ne sais pas ?
Il se met à pleurer.
Insensible à sa peine, j’examine le lambeau de lettre qu’il vient de récupérer. L’encre s’est en grande partie diluée, cependant on parvient à déchiffrer les quelques mots qu’il comporte : Ce qui serait dramatique et aurait des consé… C’est tout ! Laisse voguer ton imaginaire, mon San-A.
Aboiement de Salami, désireux de me voir. Je mate par une fenêtre. Il von karajanne de la queue, l’air triomphant.
— Vous désirez, Maître ? lui lancé-je.
De la tête, le clébard m’enjoint de redescendre. T’avoueras que c’est le monde renversé ! Pourtant, je cède à son invite.
— Vous avez découvert quelque chose, cher ami ? lui demandé-je quand je l’ai rejoint.
— Vouahi !
Il m’indique que je dois l’escorter. Nous nous éloignons du délicat immeuble pour gagner le jardin public proche. Le hound va précautionneusement, l’air réfléchi. Je comprends qu’il piste les traces de l’agresseur précédemment relevées.
— Nous avons déjà accompli ce parcours, dis-je à mon mentor.
Il m’accorde un court regard où je crois distinguer une lueur de mépris.
Les traces sont plantureuses dans la terre meuble des massifs de rosiers nains. Nous nous arrêtons pour les examiner de re(tu sais quoi ?) chef ! Derechef. Pointure 44 ont estimé les confrères scientifiques. Au-delà de cette zone fleurie, on retrouve l’herbe rase, vierge de toute trace.
— Rien de nouveau ! fais-je au clebs.
Il imperturbe et poursuit sa route tranquille.
— Où diantre m’embarquez-vous ? protesté-je.
Indifférence souveraine de mon guide. Sa conduite commence à me briser les testicules.
— Pensez-vous que je vais vous filocher jusqu’à la Saint Trou-de-balle, laquelle coïncide avec la vôtre ! fulminé-je d’un ton rendu puissant par l’abus d’oligoéléments auquel je me livre.
Il s’arrête, jappouille un vague truc d’une voix cassante, me gratifie d’un vent cinglant et réitère son mouvement de tête du début.
Avec un soupir de destroyer touché par une mine, je continue de le suivre. Ma patience prend de plus en plus de la gîte. Comme s’il voulait en rajouter, le basset force l’allure. Ses membres ont beau ne mesurer qu’une quinzaine de centimètres, quand il se met à tricoter, il bouffe de la lande, mon camarade !
N’importe : je lui garde ma confiance. Le talonne.
Il franchit tout le parc et stoppe devant une fosse à compost située dans un angle du mur isolant le jardin public d’un lotissement voisin. Mon valeureux collaborateur saute dans cette réserve d’humus et de déchets organiques et se met à creuser énergiquement. Il gratte des antérieures, s’excite, grogne, ronchonne et finit par extraire un godillot à laçage semblable à celui qu’a immortalisé Van Gogh dans un célèbre dessin au crayon.
Le cher cador me l’apporte.
— Êtes-vous en train de m’expliquer, excellent Salami, qu’il s’agit là d’une des chaussures de l’assassin ?
Il me vote un jappement qui, traduit du basset, signifie :
« Pourquoi croyez-vous que je me crève le cul, connard ? »
Et il retourne fouiller afin de m’obtenir la paire !
— Du quarant’-quatr’ ! grommelle Béru. Y s’en faut d’ trois pointures qu’ j’eusse eu pu les garder par la sute. Là, é sont terrereuses, mais décrottées et cirées, tu peuves les mett’ pour une noce.
Je présente sa trouvaille à Messire Toutou. Lui dis d’un ton de rêvassement :
— Nous avons trouvé leurs traces de départ, pas celles d’arrivée.
Il s’assied, me considère d’un air pénétré, sa grosse bite traînant sur la moquette.
Reprenant notre langage convenu, il déclare :
« Je me suis déjà fait la réflexion, mon cher maître. C’est pourquoi j’ai couvert, en zigzag, tout le trajet de l’immeuble au parc. Je me dois de vous apprendre que je n’ai trouvé qu’un seul cheminement d’ici au fond du parc. Il semble donc que votre assassin soit parti de la maison sans y être arrivé. »
23
LA MAGIE,
C’EST TOUJOURS DU BIDON
Quoi de plus beau qu’une vigne au soleil, sinon tes fesses, ma chérie ?
Je stoppe ma guinde d’infortune, une Range-Rover prêtée par mon garagiste, sur le bas-côté du chemin. Uniquement pour admirer cette étendue sage et verte descendant mollement la colline. Le raisin n’est pas mûr, mais il paraît déjà bien formé, prometteur de délices futurs. Quel somptueux présent que le vin ! Il tient toujours ses engagements.
Avec un soupir d’obscure reconnaissance, je repars. Il fait tendre, le ciel est bleu, je me sens paisible et vacant. Hier soir j’ai dormi à la maison. M’man était sereine. Alors je me suis mis à la recherche du téléphone de Mélanie la fugueuse et l’ai trouvé.
Elle-même a répondu. Ne lui ai posé aucune question à propos de son départ précipité de l’auberge. J’ai comporté naturellement, avec calme et gentillesse, comme s’il était normal que nous ne nous soyons plus revus depuis l’épisode du château en ruine.
Sans la brusquer, mais avec fermeté, je lui ai arraché un rendez-vous pour samedi, treize heures, à la Guirlande Fleurie, place des Vosges. J’ai pensé qu’un restaurant dépourvu d’épate, à l’heure ensoleillée du déjeuner, lui inspirerait confiance. Elle a dit « D’accord » ; nous verrons bien.
Maintenant, Ferdinand, tu te demandes ce que je viens branler dans les vignobles enchanteurs du Bordelais ? Non ? Ah ! tu as deviné ! Eh bien oui, j’ai eu soudainement envie de faire la connaissance du papa viticulteur d’Éléonore. Pourquoi ? Comme ça. Une foucade.
Au sommet de la colline, la vigne cesse pour laisser place à une esplanade plantée de superbes platanes. Au-delà des arbres, une demeure de pierre claire, d’un style grave mais harmonieux. Un solo de violon interprété par un virtuose du crincrin retentit à l’intérieur du castel. Sur la droite, s’élèvent les constructions nécessaires à l’exploitation.
Une femme grande et opulente du donjon, genre intendante de province à chignon, répond à mon coup de sonnette.
— Pourrais-je m’entretenir avec M. de la Liche ? j’articule après m’être humecté les lèvres de ma langue caméléonesque.
Elle a pour moi le regard que tu portes à un étron collé sur ta godasse.
— Monsieur ne reçoit personne ! assure-t-elle, tranchante comme une carre de ski.
— Même si je me permets d’insister ? je demande en lui montrant ma brème poulardière.
Évidemment, voilà qui la désoriente.
— Monsieur est paralysé et aphasique depuis près d’un an.
— En ce cas, madame ? risqué-je.
Elle marque un temps d’hésitance et cède :
— Je vais la prévenir. Si vous voulez bien entrer…