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— Commissaire, ne repartez pas ce soir ! Restez ici pour dîner et dormir ! L’horrible nouvelle que vous venez de m’apprendre me terrifie !

Son superbe regard brille sous la pluie de son âme, comme l’a si joliment écrit la marchande des quatre-saisons de Vivaldi.

Une telle requête met des crépitements dans mon cœur et mon testicule droit (le plus fort).

Comment repousserais-je pareille sollicitation ?

— Madame, réponds-je à travers mes dents bien plantées, ma qualité de policier m’empêche d’accepter cette invitation.

— Mais votre qualité d’homme ? riposte-t-elle.

Vaincu, je souris niaisement.

Je dois à une riche hérédité provinciale de faire étalage de la bonne cuisine qu’il m’est accordé de consommer. La bouffe est pour moi le premier de tous les arts. La chère Mme de la Liche me donne à claper : des ortolans confits, une omelette aux cèpes, un gigot aux flageolets, un plateau de fromages à grand spectacle et une bombe glacée non éclatée. Les vins ? Un monbazillac 1967 en ouverture et du cheval blanc de la même année, classé monument historique.

La jeune femme chipote en face de moi, par pure politesse. Avec la ligne qu’elle se paie, elle ne peut s’offrir une telle abondance de mets qu’en photo.

Nous parlons bien sûr de la disparue. Mon hôtesse s’est ressaisie, sa voix est ferme. Elle veut savoir si je retrouverai son assassin. Dans la splendeur du moment, je le lui promets. Nous sommes dans notre converse ouatée, sous le grand lustre hollandais de la salle à manger, quand des aboiements véhéments éclatent, venant de l’étage supérieur.

Je reconnais mon baryton-basse de Salami. Il y va de l’organe, comme s’il passait une audition pour le grand rôle de Rigoletto.

— Qu’est-ce ? s’inquiète la belle.

— Mon chien, fais-je en me levant. Vous permettez ?

Et de foncer dans le hall où je hèle l’ami hound.

Sa tête s’inscrit entre deux balustres du premier.

— Ah ! çà, mon ami, seriez-vous devenu fou ? lui crié-je.

En guise de réponse, il m’intime de le rejoindre.

J’obtempère.

Le cador m’attend au first floor, le fouet en liesse. Il halète d’avoir tellement jappé, se dirige vers le couloir qui dessert les chambres et stoppe devant la dernière porte.

— Quoi ? soufflé-je.

Du chef, il m’enjoint d’entrer. Lors, je frappe à la lourde : silence.

— Il n’y a personne ! grommeluché-je.

Mimique péremptoire de l’animal.

« Baste, songé-je : du temps qu’on y est… »

Et je tourne le loquet.

La porte ouverte me révèle une pièce baignant dans la pénombre. C’est la chambre campagnarde dans toute sa poésie : rideaux de cretonne, papier peint à motifs floraux, meubles sombres luisants de cire, bondieuseries de classe.

Proche d’une vaste cheminée, éteinte en cette saison, se trouve un fauteuil à oreilles, tendu de velours bleu passé. Une femme est lovée sur le siège, l’air apeuré. Elle porte une chemise de nuit en pilou qui lui tombe jusqu’aux chevilles et, chose archidémodée, un bonnet de nuit « fanchon », style Charlotte Corday. Aux pieds, de grosses charentaises fourrées. Bien que nous soyons en juillet, un fichu tricoté couvre ses épaules. Son visage est bistre, son regard égaré. Face pour une illustration du Horla de Maupassant.

Mon chien s’est élancé vers elle puis, parvenu à un mètre de cet être étrange, s’arrête, le poil hérissé et le flaire en émettant des espèces de plaintes ressemblant à des grondements.

— Calmez-vous, Salami, le morigéné-je, cette personne est parfaitement inoffensive.

— À un point que vous n’imaginez pas ! déclare la voix d’Hélène.

Elle murmure :

— Votre chien a découvert un secret de famille qui, à vrai dire, n’en est pas un. Mina, comme vous pouvez le constater, n’a guère l’usage de ses facultés, qu’elles soient mentales ou physiques.

— Qui est-ce ?

Mon hôtesse se rapproche de moi ; elle a un geste surprenant : elle glisse son bras sous le mien et son épaule gauche fait connaissance avec mon épaule droite.

— La demi-sœur de Valériane. Mon époux l’a eue d’une domestique espagnole ayant servi longtemps au domaine. La pauvre fille s’est livrée à mille louches manœuvres afin d’avorter ; elle n’y est point parvenue, mais vous voyez le résultat ?

« La Liche est un homme d’honneur, au grand cœur. Il a décidé de reconnaître l’enfant et l’a élevée sous son toit, sans tenir compte des sentiments de sa femme. En m’épousant, il m’a fait jurer que je m’occuperais de Mina lorsqu’il aurait disparu. »

— Et vous comptez tenir parole ?

Elle a un sursaut et se sépare de moi.

— Mais naturellement, voyons ! Pour qui me prenez-vous ? Je vous l’ai dit : j’adore ce pays, cette maison, et si Dieu le veut bien, j’y finirai mes jours !

— Pardonnez ma question et laissez-moi vous féliciter. Dans ma profession, on rencontre plus fréquemment des forbans que de nobles âmes.

Alors, ça se fait tout seul : j’approche mon visage du sien, à la recherche de sa bouche. Elle entrouvre ses lèvres, et c’est la toute superbe pelloche asphyxiante. Nos dents crissent, nos muqueuses vendangent, d’autant que j’y vais spontanément d’une paluche tombée à la motte. Ça devient vite une seule fournaise, elle et moi ! Un enlacement frénétique ! J’ai juste le temps de la porter sur le lit. Mon bâton de maréchal est oblique, dans le sens de la hauteur.

Toi qui sais tellement de choses sur mon comportement amoureux, tu dois te souvenir que j’aime entreprendre les dames par une tyrolienne de broussailles. Là, que non point ! C’est carrément le dépeçage express. Une qui voudrait une ravissante petite culotte saumon, bordée de dentelle blanche, n’aurait que de se baisser pour ramasser la sienne ! La voilà penchée sur le haut pucier de Mina, les jambes en fourche. D’un médius averti, je jauge son degré hygrométrique. Superbe ! À tel point que tu pourrais croire que madame a déjà été livrée !

Je lui perpètre une triomphale entrée de gladiateur dans la voie royale que causait Malraux. On voit que son nobliau la tire plus depuis lurette. Dis donc, la manière niagaresque qu’elle débonde, Ninette ! N’en jetez plus, on va dépasser la cote d’alerte ! Et moi qui lui vadrouille le centre d’hébergement à rythmes alternés. Tantôt c’est la fringante chevauchée genre retour de la chasse royale, tantôt la fantasia berbère éperdue sous le balcon du sultan !

Au début, elle gémissait, murmure de source sous le cresson de la fontaine ; puis ces plaintes ravies l’ont cédé aux cris de l’extase avant de passer à la vaste clameur de liesse, style « Retour de l’Empereur » à Golfe-Juan. Enfin j’ai droit aux sonorités de l’olifant du pauvre Roland appelant son tonton dans le fatal défilé de Roncevaux.

Avec un art consommé qui m’a valu le Grand Prix spécial du prince de Monaco (le pauvre), je suspends le mouvement. Elle faillit disjoncter du sensoriel. En réclame, en exige plus beaucoup ! entend être finie d’urgence. Azay-le-Rideau ! C’est plus supportable. Tu vas voir la diabolicité de l’Antonio, chérie ! C’est l’instant qu’il choisit pour tomber à genoux et s’installer entre les divins brancards de la future veuve ! Final de grande classe, à la menteuse et aux fingers bienveillants ! Cette simultanéité obtient chaque fois un triomphe en fin de parcours. L’apothéose, disons-le en toute modestie. Le hurlement qu’elle libère, à l’instant de son lâcher de ballons, est perçu jusqu’à la mairie de Bordeaux.