La dame de ces lieux reste anéantie, haletante, la chatte béante mais les yeux clos.
— Vous pourriez fermer la porte quand vous vous livrez à de telles fornications ! fait une voix aigre comme un dégueulis à la bière[16].
Je me retourne et découvre l’austère et revêche rombiasse qui m’a reçu à l’arrivée.
Ma chouette zitoune lui adresse des courbettes affectueuses la mettant en fuite !
25
LES PANS DU VOILE
— Cette personne n’a pas l’air très contente, observé-je, non sans finesse.
— Elle ne l’est jamais, soupire Hélène ; il y a longtemps que je l’aurais congédiée si elle ne s’était occupée de Valériane depuis son enfance. Elle a secondé sa mère et j’ai l’impression qu’en son bel âge elle a eu des faiblesses pour mon époux. Dans la bourgeoisie de nos provinces, la maîtresse servante est un personnage-clé, et Dieu sait que mon mari en a usé et abusé ; c’était un homme à femmes.
Elle se met sur son séant, masse ses admirables seins et soupire :
— Je crains qu’avec cette fâcheuse interruption vous n’ayez pas eu votre part de bonheur ?
— N’avons-nous pas toute la nuit devant nous, ma chérie ? objecté-je.
Ses yeux brillent de con-cul-pis-sens.
— Vous êtes un amant étourdissant, murmure-t-elle.
— J’aime l’amour !
Soudain, je me sens en proie à une vertigineuse timidité en réalisant que nous venons de faire l’amour à trois mètres vingt-trois de la demeurée ! On tombe dans la basse fornique, en vérité. Pourtant, cette farouche séance de haute baise ne paraît pas l’avoir perturbée. Elle est toujours enroulée dans son fauteuil aussi vaste qu’un appartement, la bouche entrouverte, crétine à outrance.
Messire Salami est couché au pied de l’infante de Castille, la contemplant avec attention. Parfois, il la renifle, comme si de comestibles effluves s’en dégageaient.
— Allons prendre le dessert ! décide ma partenaire d’une voix enjouée.
Je remets de l’ordre dans ma mise et la suis.
En bas, la brigadière pousse le fauteuil du vieux Buffalo Bill dans le hall pour l’emmener coucouche-panier.
Soudain, je suis interpellé par une idée : « Putain de ses couilles, y a combien d’éclopés à roulettes dans cette affaire ? » Et de procéder au bilan : le propriétaire du chenil d’où provient Salami ; Luciano Casanova, l’ex-coureur de rallyes, fiancé à Valériane ; le beau-père de ma douce Mélanie Izaure ; M. de la Liche, le viticulteur ; sa fille illégitime, Mina.
C’est beaucoup, non ?
Oui, tu trouves ? La loi des séries, que veux-tu.
Nous dessertons de concert (je n’écris pas « de conserve », tu pourrais croire qu’on en clape).
Elle me propose ensuite du café, mais je n’en fais jamais le soir. On décide d’un petit tour à l’extérieur pour s’humidifier les soufflets.
L’est en pleines vapes amoureuses, la dame du paralytique. Nos doigts s’entremêlent, nos cuisses se frôlent. Chaque deux pas, elle décrit une demi-volte pour me proposer sa langue délicate et agile. Très pointue, je remarque, d’une prestesse de prêtresse. Me contraint d’arquer au pas de l’oie. Nuit de Chine, nuit câline !
Cette partie de fion qui se profile ! Je la vis par la pensée, échafaude mille jolies péripéties agrémenteuses… Pourtant, mon esprit reste lié à Mélanie Izaure, mon aquarelliste. On est pas banals, les matous : nous sommes là à pâmer pour une gerce tandis que notre cœur est plein d’une autre !
N’ayant pas prévu de dormir chez l’habitant, je ne me suis muni d’aucun vêtement de nuit ; nous décidons que c’est ma sublime conquête qui viendra dans ma chambre et non moi dans la sienne, ainsi n’aurai-je point à déambuler dans le couloir.
Vêtu de ma seule toison naturelle, je m’allonge sur le grand lit paysan de la pièce où, la fatigue de la journée aidant, je sombre presto dans un sommeil rural.
Des aboiements de chiens, lointains, montent à mes fenêtres. J’adore ces appels de la nuit, qui en éveillent d’autres, toujours plus loin à travers la campagne.
Mon abandon est intense ; j’ai été bien inspiré de suivre mon instinct. L’existence ici doit être souveraine. La vieille demeure arc-boutée dans ses vignobles environnants, le rythme lent des saisons inexorables, les joies radieuses que dispense la nature… N’ai-je pas toujours rêvé d’une vie rurale ?
Des écharpes de brume se dissipent momentanément pour me livrer le tendre visage de Félicie : son soupir de miséricorde, ses yeux anxieux qui voudraient sauver le monde entier. Je sommeille dans la béatitude.
Je dois carrément dormir, et profondément, puisque, tout à coup, je sens mister Popaul happé par une bouche tiède. Oh ! que la réalité est longue et douce à me revenir.
D’un effort, je joins le geste à l’extase et m’empare délicatement d’un sein dur comme ceux de Maillol.
— Je vous réveille, s’excuse mon hôtesse.
— Merveilleusement, assuré-je.
J’actionne l’antique poire électrique. Une tulipe de verre fixée au-dessus du page me découvre l’un des vêtements de nuit les plus émouvants qu’il m’ait été donné de visiter au cours de ma vie vaguement libertine. Plus que vaporeux : arachnéen, dirait un romancier agréé par la commission des Sites. Cela ressemble à une buée bleue ouatant ses doux volumes. Ah ! les divins bouchons de carafe taillés dans des rubis ! Ah ! la forme sublime des seins ! Et ce ventre parfaitement plat, t’en as déjà rencontré de semblables ? Ces cuisses profilées, cette chatte mystérieuse (même pour moi qui m’en suis goinfré naguère !). Petit Jésus, y a que Vous pour accorder de tels présents à Vos créatures !
Je la monte style partie de dada du dimanche. Négligemment, pour ainsi dire. L’arrive même qu’à force d’une langueur trop poussée je déjante, because la madame, question babasse, c’est entrée libre ! La vraie craquette de pouliche.
Telle qu’elle décarre, notre séance nocturne peut se prolonger toute la nuit. Petite tringlette amitieuse à laquelle succèdent : tarte aux poils et taquinerie canaille dans l’œil de bronze, toutes choses d’un intérêt certes mineur, mais qui obtiennent généralement un vif succès d’estime.
Je termine l’exploit caméléonesque que représente un cunnilingus, lorsque j’entends gratter à ma lourde.
Quittant pour un instant l’autel des voluptés, comme l’écrit si bien mon ami Robert Hue dans son ouvrage sur la vie des Chartreux, je vais ouvrir et, la bite en liesse, me trouve en face (avec un fort surplomb) de Salami.
— Mon cher, pesté-je, vos interventions noctrunes sont intempestives et pour tout dire de mauvais goût !
Il me virgule l’un de ces regards dont seuls sont capables les chiens de sa race, et crache à mes pieds un objet qu’il avait en gueule.
Quelle n’est pas mon ahurisserie en constatant qu’il s’agit de la fameuse boucle en diamants et saphirs découverte dans la cuisine d’Éléonore à Saint-Cloud.
Je la ramasse. Mon cador pénètre dans la piaule et va s’affaler sur la descente de lit, où il flaire le déshabillé de ma conquête. Mine de rien, je glisse la découverte du brave toutou dans un vase contenant des fleurs séchées, à la saine odeur de foin.
Reprise de mes occupations en cours. Troublé par l’étrange gibier que m’a ramené Salami, j’écourte la saillie. Pique des deux, opère une passe pour combat singulier à la lance (infortuné Henri II) et vide les ballasts afin de pouvoir refaire surface. Ce que je.
La viticultrice n’en finit pas de me bisouiller de-ci, de-là, et ailleurs, apparemment conquise. M’explique qu’elle doit rallier sa chambre, mais m’informe qu’elle passera pour le gentil calumet de l’aube. Les nanas séduites tiennent à t’essorer de fond en comble. Souci du travail bien fait ? Preuve d’amour ? Volonté de ne rien laisser perdre ? Une fois de plus, je donne ma langue au chat.
16
Même lorsqu’il écrit en prose, la poésie san-antoniaise reste inaltérable !