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Ma jubilation fait le grand écart.

— Rien que ça !

Il me produit son ineffable sourire radieux.

— Notre histoire tourne à l’affaire Landru, dirait-on !

* * *

Dernier tour du proprio. Regard chez la veuve de l’ancien ministre, puis à l’apparte de la belle Éléonore. Je sais que je n’y reviendrai plus. Lorsque je quitte des lieux définitivement, les objets inanimés ont une manière spéciale de me dire « bye-bye ».

La Royce (pourquoi toujours Rolls, puisqu’ils sont deux ?) décolle en souplesse, avec un fléchissement de son gros cul qui exprime sa puissance. Nous quittons cet endroit douillet où les deux copropriétaires auraient dû connaître des jours paisibles. On franchit la zone privée pour emprunter la douce voie arborisée.

Je guigne au passage l’officier de police Hanoudeux dans une Renault de couleur violine. Il prépare sa décarrade pour nous suivre.

On file. Cent mètres. Deux cents ! Un vacarme de tôle meurtrie retentit. Je mate par la lunette arrière.

— Stoppez ! crié-je au driver de Pinaud.

Message reçu. Il pile.

Je me dérollsse à toute sauce. Deux tires se sont emplâtrées derrière nous : une japonouille aux faux airs sportifs que la voiture du Clermontois a emboutie avec violence.

Le conducteur de la guinde sculptée au pare-chocs, bien que se trouvant dans son droit, jaillit de sa pompe et se met à fuir.

Alors là, tu verrais Salami à l’œuvre, t’en oublierais les Rintintin et consorts. Un cador qui a le pot d’échappement au ras des pâquerettes ! Il court pas : il deltaplane ! Tu jurerais un Walt Disney ! En moins de temps qu’il n’en faut à ta femme pour changer de Tampax quand elle a rancard avec son amant, il a rejoint le lascar, fait ni hound ni deux, lui empoigne l’intérieur du falzuche. Le v’là avec les crocs bien arrimés dans le cul du fuyard.

Le gars tourne pour lui faire lâcher prise, mais Hanoudeux vrille le canon de son arme de service dans cette cavité si utile aux porte-drapeaux. Que, n’en plus, je viens renchérir d’une manchette à la glotte.

Le gussier n’insiste pas. Sonné, mordu, braqué, cerné, il se laisse passer les menottes.

C’est un mec type « Sur un Marché persan ». Brun, basané, avec de grands yeux noirs qui doivent ensorceler les gambilleuses de bals populaires.

— Je n’ai rien fait ! déclare-t-il d’une voix perturbée.

Si tu raisonnes de près, c’est exact : il n’a rien fait. Peut-être qu’on s’est emportés à tort, nerveux comme nous le sommes.

Pour dédouaner ma conscience, je le fouille rapidement. Trouve un riboustin de gros calibre dans une gaine de cuir fixée à l’intérieur de sa jambe gauche.

— Et ça ? je lui demande. C’est pour la pêche au thon ?

Fin de l’épisode turbulent.

32

LA MEILLEURE FAÇON

DE MARCHER…

… C’est de mettre un pied devant l’autre et de renouveler l’opération jusqu’à ce qu’on soit arrivé à destination.

Je m’en fais la réflexion en arquant rue du Faubourg Saint-Honoré en direction du boulevard Haussmann. Je vais d’un pas léger, savourant cette déambulation dans Pantruche après la grosse poussée circulateuse du soir. Dans mon job, il est rare qu’on se déplace à pincebroque. On a toujours le prose sur une banquette de bagnole, ce qui ne fait travailler que les muscles fessiers.

Guilleret, saboulé prince charmant : grimpant beurre-frais, veston de lin chocolat, limouille crème à col ouvert (une vraie laiterie à moi tout seul !), mocassins de daim souple, je crois que j’en jette ! Les regards des gerces et des mistounes m’informent mieux que les miroirs des vitrines. Je ratisse large : les dames mûrissantes aux regards de vaches rêveuses, les gosselines délurées qu’impertinent de la prunelle et hydratent du slip, les mornes doudounes convoyeuses de chiares que leurs julots vergent en pensant au tiercé-quinté plus ou à Paris-Saint-Germain ; même des ados tout juste « grandes filles » qui me croisent en supputant la longueur de ma queue. Le grand concert des sens, du sexe, des désirs à fleur de chatte. Moments rarissimes pour moi qui vis à deux cents à l’heure.

Flâneur ; quel beau métier ! Le Flaneur salarié qu’il a écrit le pauvre Béraud, fils de boulanger à monocle ! Haïsseur d’Anglais sous l’Occupe ! Fallait-il être jobastre ! Martyr qui flanquait la gerbe ! Que reste-t-il de tout cela ? Dites-le-moi !

J’arpente, léger comme Mercure aux pinceaux ailés, oblique en direction des Ternes…

Salami entendait m’accompagner, mais je lui ai expliqué qu’allant limer une sœur, sa présence était inopportune. Valait mieux m’attendre dans la guinde du père Pinuche. Il a accepté d’assez bonne grâce.

Avisant un fleuriste encore ouvert, j’emplette un bouquet d’orchidées dans les tons violet veiné de jaune, enveloppé d’un délicat papier-dentelle. Montrer à la femme du viticulteur qu’on a des usages et quelques moyens, dans la Rousse.

Tout fringochard, je me pointe à la réception de l’Hôtel des Sirènes Bleues, dont l’enseigne est justifiée par un superbe motif en mosaïque, signé Dutruc et Pelluchard, représentant deux naïades blondes, dans l’onde d’azur, pourvues de loloches rose jambon.

Un Italien appelé Florian (il est affable) m’indique que Mme la Liche occupe l’appartement 1918, ce qui aurait fait plaisir à Georges Clemenceau. Il m’annonce en admirant mes orchites (comme dit le Mammouth). Un ascenseur feutré me hisse au septième ciel dans un majestueux ronron.

La lourde de la friponne est ouverte et la dame m’attend, très sobrement dévêtue d’un déshabillé mauve, presque transparent, en totale harmonie avec mes fleurs. Elle les prend, les serre contre ses seins luxurieux et me tend sa bouche par-dessus le bouquet. J’y vais d’une pelle à gâteau d’une extrême voracité.

Sachant vivre, elle a sucé de la menthe en m’attendant, histoire de se faire une bouche. Attention délicate s’il en est, car il m’a été donné de croiser la langue avec des personnes venant de fumer, ou de manger du saucisson à l’ail, toutes choses extrêmement désagréables et qui ne se prêtent guère à l’entreprise d’étreintes ardentes.

Trop de nos compagnes ignorent encore combien une haleine chargée ou un con mal fourbi sont pernicieux en amour. Les hommes délicats, auxquels j’ai, ma vie durant, tenté d’appartenir, ne peuvent se livrer totalement à l’acte sexuel que débarrassés de ces malencontreusités que certaines de nos partenaires ont tort de juger négligeables ou vénielles. Le total assouvissement ne s’opère que dans un climat de détente absolue.

Pour ma part, amies lectrices, il m’est arrivé de passer de l’érection triomphale à la carence éperdue, pour de sordides histoires de poils de cul équivoques ou de fumets suspects. D’où mon penchant pour les dames d’un niveau social élevé. Il ne répond pas à des sentiments politiques, grand Dieu non, mais à une recherche exacerbée de l’hygiène. Cela ne veut pas dire que la femme du peuple ne se lave pas le fion, Seigneur non ! Mais ne disposant pas toujours du matériel ablutionnaire requis, la pauvrette connaît des manques entraînant chez les chichiteux de mon espèce des renâclages dramatiques.

Foin de cette digression à l’eau de bidet inchangée. Comme annoncé plus haut, Hélène est plus clean qu’une pierre de torrent et plus comestible qu’une pomme épluchée.

Perdons la turpide habitude de nous raconter nos coups de verge par le détail. Sache brièvement que notre embrasement est total, que je m’empare d’elle urbi et orbi, avec une fougue proche de la frénésie, allant jusqu’à la visiter en des régions peu fréquentées (du moins le crois-je) de sa personne. Qu’elle perd pied à trois reprises, le prend à sept, crie grâce à cinq (mais je ne tiens pas compte de ces suppliques trop haletantes pour être sincères), et qu’enfin elle atteint à une apothéose sensorielle dont l’Hôtel des Sirènes Bleues se souviendra longtemps, et qui me vaut une salve d’applaudissements lorsque je repars, après avoir juré à ma comblée de revenir dans le courant de la nuit pour une sérénade sans doute moins physique, mais tout aussi ardente.