Elle referme la bouche. Dommage, car c’est un chouette monument à visiter pour un braque en costume de plongeur.
Mon sourire est soudain tenu en respect par un flingue surgi de je ne sais où. De sous le matelas, probable ?
C’est la chère Hélène qui m’en fait respirer l’orifice.
— Je suis navrée, dit-elle, mais il faut nous laisser tranquilles. Ôtez vos ridicules menottes à Valériane en gardant le bras droit levé. Surtout ne tentez rien d’extravagant car je n’hésiterais pas à presser la détente de ce revolver ; il est pourvu d’un silencieux, vous l’aurez remarqué.
— Bigre ! fais-je. Voilà qu’on change de style ! Je n’attendais pas un tel coup de théâtre, ma chérie ! Croyez-vous réellement débloquer la situation en utilisant les grands moyens ? Quand bien même vous me tueriez, ça ne modifierait plus votre position.
— C’est notre problème. Faites ce que je vous dis ! Allons, vite !
Et alors, tu sais quoi ? Oui : je suis certain que tu as deviné, René. Tu l’avais oublié, au milieu de cette tension, l’ami Salamoche ? Ça semble pataud, ces clébards rase-mottes. Ils font un peu « tortue sans carapace ». Seulement quand ils te sortent le grand jeu, la « fidèle Lassie » ressemble à un chien d’aveugle.
Depuis son fauteuil, il bondit d’une formidable détente sur le page et saisit à pleine gueule le poignet de ma partenaire de forniqueries.
Qui hurle à s’en éclater les cerceaux.
Et lâche sa belle arquebuse.
Que j’empare.
Tu voulais de l’action, Léon ? T’en as. Oh ! cet animal ! En comparaison « l’Homme aux dents d’or » de J’Abonde n’aurait pas été foutu de casser une noisette. Il y est allé de si grand cœur qu’il a un mal… de chien à retirer ses ratiches du bras de médème.
Quand il y parvient, ce qu’on découvre n’est pas joli à voir. Le haut de sa dextre ne forme plus qu’une plaie sanguinolente. Il a craqué le cartilagineux, pété les osselets, déchiqueté les chairs. Un sacré fauve, mon innocent toutou !
— Merci de votre rapide intervention, cher ami, lui fais-je. Je pense que vous pouvez laisser madame, maintenant.
Docile, il retourne sur son fauteuil et, flegmatique, se lèche les burnes.
Je reprends mon interrogatoire.
36
BOUQUET FINAL
Voilà.
On s’est installés de la façon suivante dans la partie « détente » de mon bureau : ma pomme dans un des deux fauteuils club, Béru l’endommagé, dans l’autre, Pinaud sur une chaise garnie de cuir. M. Blanc est assis en tailleur sur le tapis, tandis que Hanoudeux le Clermontois se tient à genoux, les miches sur les talons. Salami reste entre mes jambes, le dard bandant.
Au début de cet aréopage, le Gros a déclaré que si le clébard demeurait avec nous, lui s’en irait car, désormais, ce serait la haine à vie. Il a même « loyalement prévenu » qu’il donnerait sa démission et deviendrait représentant en vins dans le Beaujolais. Justement, le frère de Bernard Pivot, viticulteur en renom, était prêt à le prendre comme « pubis relaxation » dans son entreprise.
J’ai eu un mal inouï à arroser de ma raison le brasier de sa fureur. J’ai demandé à Salami de faire amende honorable et de présenter des excuses à sa victime. Il a cédé d’assez bonne grâce et s’est approché du Mastard, la patte tendue. Vaincu, ce gros brave homme a fini par la serrer. Devant tant de magnanimité, le hound lui a filé une langue sur les couilles, à travers son pantalon, gracieuseté qui a touché Alexandre-Benoît.
C’est donc en toute harmonie que se déroule notre récapitulatif final.
Malgré Pinuche, qui en sait un peu plus davantage que ses collègues, c’est moi qui me farcis les explications.
Dur-dur, dans une affaire criminelle de cette envergure, se doublant d’une histoire d’espionnage. Démarrer par quoi ? La fin ou le commencement ? Il t’est arrivé de pêcher à la ligne, técolle ? Et d’enchevêtrer ton fil jusqu’à l’inextricable ? Une « perruque », il appelait ça, papa. Ben pour le fameux Tantonio, c’en est une superbe qu’il a à débrouiller. Une perruque à côté de laquelle celle du Roi-Soleil aurait eu l’air d’une chatte d’adolescente.
On l’a vu, Éléonore qui avait le goût de l’aventure, s’encanaille dans la Ville Eternelle avec une fameuse équipe de méchants pour lesquels tuer, dynamiter, torturer n’est que broutilles, farces et attrapes de 14 Juillet. La superbe fille qui jouit d’une excellente situation devrait s’en contenter. Elle possède tout : un père riche, une carrière de rêve ; elle est courtisée, adulée, régnante. Mais le démon est là. Il lui faut exister dangereusement. Devenir une Walkyrie.
De mœurs éclectiques, je crois vous l’avoir appris, mes chers Sacaburnes, elle marie sa collègue-maîtresse-complice à son vieux papa déjà gâtochard. À quoi correspond une pareille démarche ? Probablement à un besoin de se créer une parentée officielle. Le dabe parti, elles resteront ensemble, ces petites chéries, avec la possibilité de s’amuser à papa-maman jusqu’à la fin de leurs jours.
Seule ombre au tableau de famille : la frangine adultérine qui semoule au manoir. Ne l’oublie pas, cette malheureuse, car elle va jouer un rôle, muet certes, mais indépourvu d’intérêt…
Examinons maintenant les autres protagonistes de ce livre absolument surprenant, que tu devrais acheter à un grand nombre d’exemplaires car sa cote, je te le parie, ne fera que grimper. Tu seras heureux de pouvoir le distribuer à tes enfants quand ils se mettront à leur compte, parce que ça, mon pote, crois-le : c’est pas de l’emprunt russe !
Qui avons-nous à mettre sous notre loupe ?
Before tout : Mme Maubec.
Alors ça oui, c’est DU personnage. Pas de la frimante de troisième zone, mais de la vieille héroïne blanchie sous le harnois, comme on dit chez les glandus, voire même chez moi quand j’ai omis de prendre mes granulés au phosphore. Figure sortie de l’épopée ! Grande dame mâtinée d’aventurière, elle aussi. Là-dedans, les femmes ont des couilles, et pas seulement celles de leurs julots. Je serais père d’une jouvencelle, je ne la laisserais pas passer le véquende avec ces nanas, tellement je craindrais qu’elles la foutent enceinte. Il faut savoir, camarades, que la veuve de Casimir Maubec est l’épicentre de l’affaire.
Cette femme d’action indomptable dirigeait après guerre un Service de renseignements particulier. Elle avait constitué un dossier sur tous les grands de ce monde détenant « un cadavre dans leur jardin ». Vous avez entendu parler, il y a quelque temps, de cet ancien ministre des armées françaises, soupçonné d’avoir été un agent de l’Est ? Il ne s’agit pas là d’un cas exceptionnel. Nombre de personnages occupant un poste suprême traînent des charognes plus ou moins décomposées. Les répertorier c’était devenu chez la mémé une sorte de sport : une marotte dont le côté explosif ne vous échappe pas. Si elle l’avait voulu, elle aurait foutu la merde sur les cinq continents en même temps.
Je vais chercher une boutanche de château-l’angélus dans ma réserve, la débouche à l’aide d’un tire-bouchon à air comprimé et la fais circuler parmi mes apôtres. Chacun s’en télégraphie une chouette rasade dans les canalisations. Foin de componction vineuse. On lichetrogne à la cantonnier. Je laisse boire Bérurier en dernier, sachant que le flacon ne survivra pas à ses coups de glotte.
Ce gorgeon de pichtegorne grand luxe met une heureuse ponctuation dans mon récit. Sagement, j’attends que le Mastard feule avant de reprendre, ce qui ne tarde pas à se produire, soulevant les longues étiquettes de Salami.
Je poursuis mon exposé :
— Derrière la Maubec, tu as les Panoche. Curieusement, je ne les aurai pas rencontrés au cours de l’enquête. Ils seront restés en retrait. Cependant, le mandataire a un rôle important, puisque c’est lui qui prêtait sa maison de campagne isolée aux maîtres du crime ayant besoin d’un coin à l’ombre pour commettre une « élimination » et faire disparaître les corps. Une sorte de Sire de Gambais, ce seigneur de Pompechibre !