– Vous connaissiez Edmond Wells? interrogeat-elle.
– Ni plus ni moins que vous. Je le connais uniquement par les textes qu'il nous a laissés. Mais, somme toute, lire quelqu'un n'est-il pas la meilleure méthode pour le connaître?
Il expliqua que ce lieu existait grâce à l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu d'Edmond Wells. C'était une habitude d'Edmond Wells, faire des souterrains et des portes qui s'ouvrent avec des énigmes à base d'allumettes et de triangles. Edmond Wells aimait bien creuser des tanières et y cacher des secrets et des trésors.
– Je crois qu'au fond, c'était un grand enfant, dit le vieil homme malicieusement.
– C'est lui qui avait placé le livre au fond du tunnel?
– Non, c'est moi. Edmond avait l'habitude de créer des parcours pour accéder à ses antres. Par respect pour son œuvre, je l'ai imité. Lorsque j'ai découvert le troisième volume de l'Encyclopédie, j'en ai d'abord photocopié les pages puis j'ai déposé l'original à l'entrée de ma tanière. J'étais convaincu que jamais personne ne le trouverait et puis, un jour, j'ai constaté qu'il avait disparu. C'était vous, Julie, qui l'aviez déniché. C'était donc à vous de prendre le relais.
Ils étaient dans une sorte d'étroit vestibule.
– Il y avait un mini-émetteur dans la valise. Je n'ai pas eu de mal à vous identifier. Dès lors, mes fourmis espionnes ne vous ont plus quittée, vous surveillant sans cesse de près ou de loin. Je voulais voir ce que vous feriez avec le savoir de l'Encyclopédie d'Edmond Wells.
– Ah, c'est pour cela qu'une fourmi est venue se poser sur ma main lors du discours du premier jour!
Arthur sourit avec bienveillance.
– Votre interprétation de la pensée d'Edmond Wells est ma foi assez «piquante». Ici, grâce aux fourmis volantes espionnes, on disposait de toutes les images de votre «Révolution des fourmis».
– Heureusement, car si vous aviez dû attendre que les journalistes en parlent à la télé! dit David désabusé.
– On suivait cela comme un feuilleton. Avec mes petites fourmis espionnes téléguidées, on repère ce qui n'attire pas l'attention des médias.
– Mais vous, qui êtes-vous?
Arthur narra son histoire.
Il avait été jadis spécialiste en robotique. Il avait imaginé pour l'armée des loups robots de guerre téléguidés. Ces machines permettaient aux pays riches soucieux d'économiser leurs propres vies humaines de faire la guerre aux pays pauvres surpeuplés, lesquels envoyaient volontiers à la mort leurs surplus de bouches à nourrir. Il avait constaté cependant que les soldats chargés de manier les loups étaient pris de frénésie et tuaient à tour de bras comme s'ils se croyaient dans un jeu vidéo. Écœuré, il avait démissionné et ouvert un magasin de jouets: «Chez Arthur, le Roi des Jouets». Ses talents de roboticien lui avaient permis d'inventer des poupées parlantes qui réconfortaient les enfants mieux que de vrais parents. C'étaient des mini-robots, munis d'une voix synthétique et d'un programme informatique adaptant leurs réponses au discours de l'enfant. Il avait pensé, avec ses peluches rassurantes, que toute une génération grandirait moins stressée que les précédentes.
– La guerre, c'est essentiellement une histoire de gens mal éduqués. J'espère que mes petites peluches participent déjà à un début d'éducation correcte.
Un jour, un colis lui était parvenu par erreur, le postier s'était sans doute trompé dans son circuit de distribution. Or, il contenait le second volume de l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu et était destiné à Laetitia Wells, la fille unique du professeur; un message précisait que ce serait là son seul héritage. Arthur et Juliette, son épouse, avaient immédiatement pensé lui faire suivre l'ouvrage, mais leur curiosité avait été la plus forte. Ils l'avaient d'abord feuilleté. Le livre parlait de fourmis, certes, mais aussi de sociologie, de philosophie, de biologie et surtout de compréhension entre différentes civilisations et de la place de l'homme dans le temps et dans l'espace.
Passionné par les propos d'Edmond Wells, Arthur s'était lancé dans la fabrication de la fameuse machine à traduire le langage olfactif fourmi en langage parlé humain, dite «Pierre de Rosette». Il était ainsi parvenu à dialoguer avec des insectes et, plus particulièrement, avec une fourmi très évoluée nommée 103e.
Ensuite, aidé de Laetitia Wells, la fille du savant, d'un policier qui s'appelait Jacques Méliès, ainsi que du ministre de la Recherche de l'époque, Raphaël Hisaud, il avait contacté le président de la République pour tenter de le convaincre d'ouvrir une ambassade formico-humaine.
– C'est donc vous qui avez envoyé la lettre d'Edmond Wells? interrogea Julie.
– Oui. Je n'ai fait que la recopier. Elle se trouvait déjà dans l'Encyclopédie.
La jeune fille aux yeux gris clair savait le peu de crédit qui avait été accordé à sa missive, mais elle s'abstint de lui signaler que son envoi constituait désormais un sujet de plaisanterie lors des réceptions mondaines en l'honneur de plénipotentiaires étrangers.
Arthur admit que le Président ne lui avait jamais répondu et que le ministre qui avait soutenu son projet avait été contraint à la démission. Dès lors, il avait voué tout ce qu'il lui restait d'énergie à relever ce défi: l'inauguration d'une ambassade formico-humaine qui permettrait enfin aux deux civilisations de coopérer pour le bien de tous.
– C'est vous aussi qui avez construit ce terrier-ci? demanda Julie pour changer de sujet.
Il acquiesça en précisant que s'ils étaient venus, ne serait-ce qu'une semaine plus tôt, ils auraient constaté que, de l'extérieur, l'endroit ressemblait davantage à une pyramide.
La pièce où avaient débouché Julie et David n'était qu'un vestibule. Plus loin, une porte ouvrait sur une pièce plus large. C'était une grande salle ronde avec, au centre, flottant à trois mètres de haut, une sphère de lumière d'environ cinquante centimètres de diamètre. L'éclairage provenait d'une fine colonne de verre grimpant jusqu'au sommet du plafond pointu, et qui apportait à l'intérieur de la pyramide l'éclat naturel du jour.
Autour, disposés en cercle, il y avait des modules de laboratoire où s'empilaient des machines complexes, des ordinateurs, des bureaux.
– Les engins de la grande salle sont des machines communes qui peuvent se connecter entre elles. Les portes que vous voyez ici et là donnent sur des laboratoires où mes amis travaillent à des projets exigeant plus de tranquillité.
Arthur désigna de la main une coursive, au-dessus d'eux, elle aussi truffée de portes.
– Il y a en tout trois étages. Au premier, on travaille, on effectue des expériences, on teste des projets. Au second, on vit en commun, on se repose. C'est là que se trouvent les salles à manger et celles consacrées aux loisirs ainsi que les réserves alimentaires. Au troisième, enfin, sont installés les dortoirs.
Plusieurs personnes sortirent des laboratoires pour venir se présenter aux «révolutionnaires des fourmis». Il y avait là Jonathan Wells, le neveu d'Edmond, ainsi que son épouse Lucie, leur fils Nicolas et Grand-Mère Augusta Wells. Il y avait aussi le Pr Rosenfeld, le chercheur Jason Bragel ainsi que les policiers et les pompiers qui s'étaient ancés à leur recherchel.
Ils se présentèrent comme les «gens du premier volume» de l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu.
Laetitia Wells, Jacques Méliès et Raphaël Hisaud, tout comme Arthur Ramirez d'ailleurs, étaient pour leur part «ceux du deuxi'me volume2». Il y avait vingt et une personnes dans les lieux, auxquelles venaient s'ajouter Julie et ses six am's.
– Pour nous, vous êtes les «gens du troisième volume», déclara Augusta Wells.
Jonathan Wells expliqua qu'après le désintérêt suscité par leur proposition d'une ambassade formico-humaine, les gens des premier et deuxième volumes avaient décidé de s'isoler du monde en restant ensemble, afin de préparer les conditions de l'indispensable rencontre. Dans la plus grande discrétion, choisissant un endroit particulièrement touffu de la forêt, ils avaient érigé une pyramide de vingt mètres de haut. Dix-sept mètres étaient enfouis sous terre et trois mètres dépassaient du sol, un peu comme un iceberg dont seule la pointe émergerait. Voilà qui expliquait que l'endroit soit si grand pour une pyramide si petite. Afin de camoufler la partie exposée, ils l'avaient recouverte de plaques de miroir.