Dans ce refuge essentiellement souterrain, ils pouvaient se livrer tranquillement à leurs recherches, perfectionner les moyens de communication avec les myrmécéennes et fabriquer ces fourmis volantes téléguidées qui protégeaient la pyramide des gêneurs.
En hiver, pourtant, l'inévitable chute des feuilles avait dévoilé la pyramide. Ses habitants avaient attendu avec impatience le printemps et la repousse mais ils n'étaient pas arrivés assez vite pour préserver l'édifice de la curiosité du père de Julie.
– C'est vous qui l'avez tué?
Arthur baissa les yeux.
– C'est un regrettable accident. Je n'avais pas encore eu l'occasion de tester les dards-seringues à effet somnifère de mes fourmis volantes. Quand votre père s'est approché, j'ai craint qu'il ne révèle aux autorités l'existence de notre bâtiment. Je me suis affolé. J'ai lancé sur lui un de mes insectes téléguidés qui lui a inoculé un anesthésiant.
Le vieil* homme soupira et caressa sa barbe blanche.
– Il s'agissait d'un anesthésiant couramment utilisé en chirurgie et je ne pensais pas qu'il puisse être mortel. Je voulais juste endormir ce promeneur qui s'intéressait trop à nous. J'ai dû commettre une erreur de dosage.
Julie hocha la tête.
– Ce n'est pas cela. Vous l'ignoriez; mon père était allergique aux anesthésiants contenant de l'éthylchlorène.
Arthur était surpris que la jeune fille ne lui en veuille pas davantage.
Il reprit son récit. Les habitants de la pyramide avaient installé des caméras vidéo dans les arbres avoisinants. Ils avaient ainsi vu que le badaud trop curieux était mort. Avant qu'ils n'aient pu sortir pour éloigner le cadavre, le chien avait alerté un autre promeneur qui lui-même avait prévenu la police.
Quelques jours plus tard, un policier était venu rôder autour de l'édifice. Il avait réussi à se débarrasser des fourmis volantes en les écrasant de sa semelle et avait rameuté une équipe d'artificiers pour dynamiter les parois.
– En fin de compte, c'est vous qui nous avez sauvés avec votre «Révolution des fourmis», annonça Jonathan Wells. Ce n'était plus qu'une question de secondes quand vous avez créé la diversion qui a éloigné le policier.
Normalement, les gens de la pyramide forestière auraient dû profiter de ce répit pour déménager. Mais il y avait trop de matériel lourd installé.
– C'est en nous branchant sur votre serveur «Révolution des fourmis» que nous avons trouvé la solution, expliqua Laetitia Wells. Une maison incluse dans une colline, quelle formidable idée de camouflage!
– Nous n'avions pas besoin de creuser la maison dans la colline, il nous suffisait de transformer notre pyramide en colline en la recouvrant de sable.
Ji-woong intervint:
– C'était une idée de Léopold mais, en fait, elle est très ancienne. Dans mon pays, la Corée, au premier siècle après J.-C, les rois de la civilisation de Paikche avaient construit des tombes géantes pyramidales à la manière des pharaons égyptiens. Comme tout le monde savait qu'elles recelaient les richesses et les bijoux des défunts, elles étaient régulièrement pillées. Alors, les souverains et leurs architectes ont imaginé de les recouvrir de terre afin de les dissimuler. Ainsi, les tombes se confondaient avec les collines et il aurait fallu aux éventuels pillards creuser toutes les collines du pays pour mettre la main sur les trésors funéraires.
– Nous avons donc profité de ce que la police était occupée au lycée pour recouvrir notre pyramide de terre. En quatre jours, tout était terminé, conclut Laetitia.
– Vous avez fait ça à la main?
– Non. Arthur, notre bricoleur de service, a fabriqué des taupes robots capables de travailler très vite et de nuit.
– J'ai placé ensuite un arbre creux contenant une colonne de verre au sommet afin que nous bénéficiions de la lumière du jour par la pointe; Lucie et Laetitia ont décoré notre colline d'arbustes arrachés et replantés afin de donner à l'ensemble un aspect sauvage.
– Ce n'est pas facile de disposer des arbres de façon totalement anarchique. Naturellement, on a tendance à les aligner, dit Laetitia. Mais nous y sommes parvenues. À présent, nous vivons sous terre, dans notre «nid», à l'abri du monde.
– Chez nous, les Navajos, intervint Léopold, on prétend que la terre protège de tous les dangers. Lorsque quelqu'un tombe malade, on l'enfouit dans la terre jusqu'au cou, en laissant seulement dépasser la tête. La terre est notre mère et il est normal qu'elle nous protège et nous guérisse.
Arthur demeurait quand même perplexe.
– Espérons que lorsque ce policier fouineur reviendra, il ne déjouera pas notre stratagème…
Le vieil homme poursuivit sa visite guidée du «nid». L'électricité parvenait dans la pyramide au moyen de centaines de feuilles artificielles équipées de cellules photoélectriques, placées au faîte des arbres surmontant la colline et en tout point semblables aux vraies, nervures comprises. Ainsi, ils disposaient d'une énergie suffisante pour faire fonctionner toutes leurs machines.
– Quand il fait nuit, vous n'avez plus d'électricité?
– Si, car nous avons aussi installé de gros condensateurs qui la stockent.
– Vous disposez d'eau douce? demanda David.
– Oui, il y a une rivière souterraine à proximité. Il n'a pas été difficile de la canaliser jusqu'ici.
– De même, nous avons élaboré un réseau de tuyauteries pour assurer la bonne aération du bâtiment, dit Jonathan Wells.
– Enfin, nous avons mis en place notre propre agriculture à base de champignons qui nous permet des récoltes en sous-sol.
Plus loin, Arthur Ramirez leur présenta son laboratoire. Dans un aquarium de deux mètres de long, des fourmis couraient sur des mottes de terre.
– Nous les appelons nos «lutins», les informa Laetitia. Après tout, les fourmis sont les vrais lutins des forêts.
De nouveau, Julie eut l'impression de se retrouver en plein conte de fées. Elle était Blanche-Neige en compagnie de ses Nains. Les fourmis étaient des lutins et ce monsieur à barbe blanche avec ses fantastiques trouvailles, un vrai Merlin l'Enchanteur.
Arthur leur montra des fourmis affairées à manipuler de minuscules rouages métalliques et des composants électroniques.
– Elles sont très débrouillardes, regardez.
Julie n'en revenait pas. Les fourmis se passaient des pièces dont certaines étaient si minuscules que même un horloger armé d'une loupe ne les aurait peut-être pas distinguées parfaitement.
– Il a fallu les initier à nos technologies avant de pouvoir les utiliser, précisa Arthur. Après tout, même quand on installe une usine dans le tiers monde, on est bien obligé d'avoir recours à des instructeurs.
– Pour les travaux de l'infiniment petit, elles sont plus précises que nos meilleurs ouvriers, souligna Laetitia. Ce sont elles, et elles seules, qui parviennent à fabriquer nos fourmis volantes robots. Aucun homme ne réussirait à manipuler des rouages à ce point miniaturisés.
Armée d'une loupe, Julie observa les insectes en train d'œuvrer à l'élaboration d'une fourmi robot volante avec des outils à leur taille. Les minuscules techniciennes étaient autour de l'engin comme des ingénieurs en aéronautique autour d'un avion de chasse. En agitant nerveusement leurs antennes, elles se passaient de patte à patte une aile que deux d'entre elles emboîtèrent et fixèrent avec de la glu.