– Moi aussi, renchérit Julie.
Et ensemble, ils éclatèrent de rire en roulant l'un sur l'autre. Arthur avait peut-être raison. Il suffisait de croire très fort aux choses pour qu'elles existent. David se leva pour fermer la porte et revint vers le lit. De leurs genoux, ils surélevèrent drap et couverture pour s'en faire une tente.
Dans les épaisseurs de coton, leurs bouches se cherchèrent et se trouvèrent. Après avoir mêlé leurs antennes, ils mêlèrent leurs langues, leurs épidémies, puis leurs respirations haletantes et leurs sueurs.
Elle était au pied du mur. Pour la première fois, elle allait connaître l'amour physique. Finie la virtualité, place à la réalité. Elle permit à David de la caresser, toutes ses cellules neuronales se demandant ce qu'il fallait en penser.
La plupart de ses neurones se prononçaient pour un laisser-aller total. Après tout, ils connaissaient bien David et il était inéluctable qu'un jour Julie perdrait sa virginité. Une petite minorité considérait, elle, que ce serait renoncer à ce que la jeune fille avait de plus important, sa pureté. Les caresses de David déclenchèrent cependant des vagues irisées d'acétylcholine – cette drogue euphorisante naturelle – qui finirent par réduire au silence les neurones réactionnaires.
C'était comme si une ultime porte centrale s'était enfin ouverte. Julie se sentait à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de son corps. À l'intérieur, il y avait cette respiration ample et ce sang qui battait à ses tempes pour la remercier de leur autoriser le plaisir. Son cerveau était parcouru de milliers d'infimes courants de foudre électrique.
Échange de fluides.
Elle était heureuse d'être vivante, heureuse d'exister, heureuse d'être née et d'être celle qu'elle était à présent. Il y avait tant à apprendre, tant de gens à rencontrer, le monde était si vaste.
Elle comprenait pourquoi elle avait tellement redouté jusqu'ici de passer à l'acte. Il lui avait d'abord fallu trouver les circonstances idéales.
Maintenant, elle savait.
L'amour est une cérémonie secrète qui doit se dérouler dans un lieu souterrain de préférence pyramidal, avec un homme de préférence prénommé David.
204. DES CADAVRES DE PLUS EN PLUS CUITS
Prince 24e réclame des précisions sur la sexualité des Doigts, probablement parce qu'il est en train de rédiger un passage sur ce thème.
SEXUALITÉ:
Les Doigts sont l'espèce animale la plus sexuée.
Alors que tous les autres animaux limitent leur activité sexuelle à une courte période de l'année dite «période nuptiale», les Doigts sont en permanence disposés à faire l'amour.
Ils le font d'ailleurs n 'importe quand, en espérant tomber au bon moment pour la fécondation: aucun signe extérieur n'informe le mâle de l'ovulation de la femelle.
Le Doigt mâle est capable de maîtriser l'acte sexuel et de le prolonger aussi longtemps qu 'il le souhaite alors que, pour la plupart des mammifères, l'acte reproductif dépasse rarement les deux minutes.
Quant à la femelle Doigt, elle pousse de grands cris au paroxysme de l'acte. On ne sait pas pourquoi.
Princesse 103e et Prince 24e, doucement ballottés par leur escargot de voyage, discourent du monde des Doigts sans prêter attention ni au décor qui les entoure ni aux cornes oculaires de leur escargot qui parfois les observent.
Sous eux la masse sombre des pèlerins fourmis progresse sur deux colonnes pour éviter de patauger dans la bave. Quand ils s'arrêtent, leurs bivouacs sont désormais si importants qu'ils ne pendent plus comme des fruits mais recouvrent des sapins entiers. Partout, des braises fument.
Princesse 103e sent derrière elle la lourde, l'énorme odeur de la foule qu'elle a mise en marche. Les phéro-mones de ses récits n'atteignant pas toujours le bout de la longue file, ici et là, d'autres insectes font office de relais. Comme la transmission orale, la transmission odorante ne va pas sans mal et les informations arrivent parfois un peu déformées.
La princesse a dit que les femelles Doigts poussent de grands cris durant la copulation.
De la part des Doigts, on ne s'étonne plus de rien. Il y a quand même des insectes qui ajoutent au passage leur interprétation personnelle:
Pourquoi les femelles Doigts poussent-elles des cris?
On leur répond:
Pour faire fuir leurs prédateurs afin qu'ils ne les dérangent pas durant la copulation.
Les insectes en queue de procession reçoivent les versions les moins fidèles du message originel.
Les Doigts chassent leurs prédateurs en poussant des cris.
Princesse 103e se veut résolument non déiste et, pourtant, de plus en plus de marcheuses commencent à prendre les Doigts pour des dieux et ont l'impression de participer à un pèlerinage.
Prince 24e demande encore des informations. Comment ils donnent l'alerte par exemple.
ALERTE:
Comme les Doigts ne connaissent pas le langage odorant, ils ne disposent pas de phéromones d'alerte.
En cas de danger, ils déclenchent des signaux auditifs: sirènes fonctionnant avec des pompes à air, ou des signaux visuels: lumière rouge clignotante.
De manière générale, ce sont les antennes de télévision qui sont les premières informées et qui signalent à la population qu 'il y a danger.
Tout le monde les regarde passer dans la forêt. Ceux qui n'entrent pas dans leur procession sont de plus en plus inquiets. Non seulement le gibier consommé par cette grande marche est de plus en plus gros mais il est aussi de plus en plus… cuit.
205. L'ŒUF BRISÉ
Julie approchait ses lèvres pour un nouveau baiser quand, du dehors, une voix bien connue résonna:
– Sortez immédiatement! Vous êtes cernés.
L'alerte retentit dans la pyramide. Tout le monde se mit à courir vers la salle de contrôle. Les écrans vidéo étaient emplis de silhouettes de policiers prenant position sur la colline.
Arthur Ramirez soupira:
– Encore la malédiction de Cro-Magnon…
Dans la loge de Julie, l'alerte s'exprimait par une lampe rouge qui clignotait.
– C'est fini! murmura David.
– Continuons quand même, dit Julie. C'était trop bien.
Ji-woong entrebâilla la porte, lança un coup d'œil surpris et, sans commentaire, annonça:
– On est attaqués. Vite, il faut y aller.
Jonathan et Laetitia apportèrent une valise étiquetée «Observation». Elle était emplie de mousse avec, placées dans de petits interstices chacune sous son chiffre, des fourmis volantes robots.
Quatre de ces minuscules merveilles de micromécanique furent amenées vers les bouches d'aération. Jonathan Wells, Laetitia Wells, Jason Bragel et Jacques Méliès s'installèrent devant leurs écrans de contrôle et empoignèrent leur manette de pilotage. Telles des torpilles sous-marines, les quatre insectes s'élancèrent dans les tuyaux tandis que des téléguideurs surveillaient leur trajectoire sur des vidéopériscopes.
Bientôt, ces espions volants ramenèrent des images télé plus proches. Tous les habitants de la pyramide suivaient avec anxiété les évolutions des policiers autour de leur nid.
Maximilien donnait des ordres précis dans son talkie-walkie. Un camion arriva, déchargeant du matériel d'excavation. Des hommes s'approchèrent, armés de mar-teaux-piqueurs.
Jonathan et Laetitia s'empressèrent de sortir une autre valise, marquée celle-ci «Combat». De nouveaux habitants du nid les rejoignirent devant les écrans de contrôle. Arthur ne pilotait pas car ses mains tremblaient trop et les fourmis volantes exigeaient une direction en vol au millimètre près.