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«Je n'ai plus rien à perdre. Je sacrifie ma vie pour mon espèce. Il pleut aujourd'hui et j'attendrai que le beau temps revienne pour déclencher l'incendie forestier. Si je devais périr dans un assaut inconsidéré, que l'humanité considère cela comme mon testament et qu'un autre prenne la relève.

Des journalistes coururent transmettre leurs papiers. Des gens qui ne se connaissaient pas s'interpellèrent dans le prétoire.

Le préfet Dupeyron, qui s'était déplacé pour entendre l'énoncé du verdict de ce procès sans précédent, réquisitionna dans la minute le bureau du juge. Il décrocha le téléphone, en priant pour que le commissaire n'ait pas eu la mauvaise idée d'arracher sa ligne.

Dieu merci, Linart répondit à la première sonnerie.

– Quelle mouche vous pique, commissaire?

– De quoi vous plaignez-vous, monsieur le préfet? Vous souhaitiez vous débarrasser d'un pan de forêt pour laisser libre place aux projets hôteliers d'un groupe japonais, vos souhaits seront exaucés. Vous aviez raison. Cela créera des emplois et contribuera à résorber le chômage.

– Mais pas ainsi, Maximilien. Il existe des moyens plus discrets de s'y prendre…

– En incendiant cette maudite forêt, je sauverai l'humanité tout entière.

Le préfet avait la gorge sèche et les mains moites.

– Vous êtes devenu fou, soupira-t-il.

– Certains penseront cela au début mais, un jour, on me comprendra et on m'érigera des statues en tant que sauveur de l'humanité.

– Mais pourquoi vous entêter à exterminer ces fourmis de rien du tout?

– Vous ne m'avez donc pas écouté?

– Mais si, mais si, je vous ai écouté. Vous redoutez à ce point la concurrence d'autres animaux intelligents?

– Oui.

Il y avait tant de détermination dans la voix du policier que le préfet chercha un argument fort pour le convaincre.

– Vous vous imaginez ce qui se serait passé si les dinosaures, comprenant que les hommes allaient un jour former une civilisation de taille plus réduite mais surpuissante, avaient systématiquement éliminés les mammifères?

– C'est exactement la bonne comparaison. Je crois qu'en effet les dinosaures auraient dû se débarrasser de nous. Il aurait dû y avoir un dinosaure héroïque qui, comme moi, comprenne l'enjeu sur le long terme. Ils seraient peut-être encore vivants à cette heure, répondit Linart.

– Mais ils étaient inadaptés à la planète. Trop gros, trop balourds…

– Et nous? Peut-être que les fourmis nous trouveront aussi un jour gros et balourds. Et si on leur en donne la possibilité, que feront-elles?

Là-dessus il raccrocha.

Le préfet envoya ses meilleurs démineurs pour tenter de repérer les bombes au phosphore disséminées dans la forêt. Ils en retrouvèrent une dizaine, mais ils ne savaient pas combien en chercher et la forêt est immense; ils reconnurent alors la vanité de leurs efforts.

La situation semblait perdue. La population avait les yeux rivés au ciel. Chacun savait maintenant que dès que la pluie cesserait, la forêt s'embraserait.

Quelque part pourtant, quelqu'un murmura à voix basse: «J'ai peut-être une idée…»

237. ENCYCLOPÉDIE

CHANTAGE: Tout ayant été exploité, il n'existe qu'un seul moyen pour créer de nouvelles richesses dans un pays déjà riche: le chantage. Cela va du commerçant qui ment en affirmant: «C'est le dernier article qui me reste et si vous ne le prenez pas tout de suite, j'ai un autre client qui est intéressé», jusqu'au plus niveau, le gouvernement qui décrète: «Sans le pétrole qui pollue, nous n'aurions pas les moyens de chauffer toute la population du pays cet hiver.» C'est alors la peur de manquer ou la peur de rater une affaire qui va générer des dépenses artificielles.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

238. SUR LE POINT D'IMPLOSER

Il plut toute la journée du samedi; le soir, le ciel se remplit d'étoiles et les spécialistes de la météorologie nationale annoncèrent qu'il ferait beau le dimanche et que le vent soufflerait fortement sur la forêt de Fontainebleau.

Si Maximilien n'avait pas particulièrement la foi, en la circonstance il considéra que Dieu était avec lui. Il se vautra dans son fauteuil, face à son ordinateur, heureux et conscient de l'importance de sa mission sur terre. Puis il s'endormit.

Les portes étaient verrouillées, les volets barrés. Dans la nuit, un visiteur parvint à s'introduire subrepticement dans le bureau du commissaire. Le visiteur chercha l'ordinateur. L'appareil était en position de veille, prêt à déclencher les bombes au cas où l'impression du code ne l'en empêcherait pas. Le visiteur s'avança pour le neutraliser; dans sa hâte, il renversa un objet. Maximilien ne dormait que d'un œil, le bruit, pourtant réduit, suffît à le réveiller tout à fait. D'ailleurs, il s'attendait à une attaque de dernière minute. Il braqua son revolver sur le visiteur et appuya sur la détente. Toute la pièce vibra quand le coup partit.

Le visiteur esquiva vivement la balle. Maximilien en tira une deuxième qu'il esquiva de même.

Énervé, le commissaire rechargea son arme et visa à nouveau. Le visiteur décida qu'il valait mieux se cacher quelque part. D'un bond, il gagna le salon et se dissimula derrière les rideaux. Le policier tira mais le visiteur baissa la tête et les balles passèrent au-dessus de son front.

Maximilien alluma les lumières. Le visiteur comprit qu'il lui fallait changer de cachette au plus vite. Il se glissa derrière un fauteuil au haut dossier sur lequel ricochèrent plusieurs balles.

Où s'abriter?

Le cendrier. Il courut se blottir dans l'interstice entre un vieux mégot de cigare froid et le bord. Le policier eut beau soulever coussins, tentures et tapis, cette fois, il ne le trouva pas.

Reine 103e en profita pour reprendre haleine et retrouver son calme. Elle procéda à un rapide lavage de ses antennes. Une reine est généralement trop précieuse pour risquer ainsi sa vie. Elle n'est tenue que de demeurer à pondre dans sa loge nuptiale. Cependant, 103e avait compris qu'elle était seule au monde à être suffisamment «doigte» et suffisamment fourmi pour réussir cette mission d'une importance capitale. Comme l'enjeu était la destruction de la forêt et donc des fourmilières, elle avait consenti à risquer le tout pour le tout.

Maximilien pointait toujours son revolver, tirant parfois dans un coussin. Pour une cible si petite, il fallait cependant une arme différente.

Maximilien alla chercher une bombe aérosol dans le placard de la cuisine et vaporisa un nuage d'insecticide dans son salon. L'air s'emplit de relents mortels. Heureusement, les minuscules poches pulmonaires de la fourmi disposaient d'une grande autonomie. L'insecticide se diluant dans l'important volume d'air de la pièce, respirer restait supportable. Elle pouvait, certes, demeurer là une dizaine de minutes mais il n'y avait pas de temps à perdre.

Reine 103e détala.

Maximilien pensa que si le seul adversaire que les autorités et le préfet avaient trouvé à lui opposer était une fourmi, c'était qu'ils n'avaient plus aucune idée. Il en était là, satisfait de ses réflexions, quand la lumière s'éteignit. Comment était-ce possible? Une minuscule fourmi n'était quand même pas capable d'appuyer sur l'interrupteur.

Il comprit alors que la myrmécéenne s'était introduite dans le central domotique. Cela signifiait-il qu'elle était apte à déchiffrer un circuit imprimé et à reconnaître quel fil électrique couper?

«Ne jamais sous-estimer l'adversaire.» C'était le premier enseignement qu'il inculquait à ses élèves de l'école de police. Et lui-même venait de commettre cette erreur uniquement parce que l'adversaire était mille fois plus petit que lui.

Il se munit d'une lampe de poche halogène qu'il conservait dans un tiroir de la commode. Il éclaira le dernier lieu où il avait cru voir son visiteur. Il se dirigea ensuite vers le boîtier du compteur et constata qu'un fil électrique avait bel et bien été tranché à la mandibule.