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Sous la brûlure, l'homme eut un infime mouvement de recul, il perdit l'équilibre, chuta lourdement et s'effondra dans les cendres. Il resta là, les vertèbres cervicales brisées.

Fin du duel. Aucune caméra n'avait filmé l'exploit. Qui pourrait y croire un jour? Une fourmi, une toute petite fourmi, avait vaincu Goliath.

Elle lécha ses blessures. Puis, comme à son habitude après les combats, elle procéda à un rapide nettoyage: elle lécha ses antennes, elle en lissa les poils, elle lécha ses pattes et se remit de ses émotions.

Maintenant, il fallait terminer le travail. Si d'ici quelques minutes Mac Yavel ne recevait pas son code, il déclencherait les bombes incendiaires.

Tandis qu'elle courait, elle aperçut une ombre qui la poursuivait. Elle se retourna et vit un gigantesque monstre volant. Il était enveloppé d'ailes fines, longues et molles dont les couleurs carmin et noir ajoutaient à l'aspect effrayant. 103e sursauta de peur. Ce n'était pas un oiseau. L'animal était doté de gros yeux globuleux qui pivotèrent en tous sens pour finalement se fixer sur la fourmi. Il ouvrit la bouche et des bulles inodores s'élevèrent vers le ciel.

Un poisson.

Assez rêvassé.

Elle retourna à l'attaque de l'ordinateur. Il y avait encore des relents d'insecticide à l'intérieur mais c'était supportable.

Mac Yavel tenta de lui envoyer de petites décharges électriques afin de l'électrocuter mais la fourmi sautilla pour éviter ces pièges. Elle se concentra sur sa tâche prioritaire: couper les fils reliés à l'émetteur radio commandant les bombes.

Ne pas se tromper. Surtout ne pas se tromper de fil.

Une seule erreur et, au lieu de désamorcer, elle déclencherait le désastre. Épuisées par le duel à mort, ses mandibules tremblaient. L'air imprégné de poison l'empêchait de réfléchir sereinement. La fourmi longea un chemin de cuivre aussi fin que l'un de ses poils. Elle compta trois microprocesseurs, tourna à un carrefour bourré de résistances et de condensateurs. Ses instructions étaient de trancher le quatrième fil du fond.

Elle tenailla la gaine de plastique, puis le cuivre et distilla du venin dessus. Mais alors qu'elle était à la moitié de la découpe, elle se dit que, non, ce n'était pas là le quatrième mais l'un des deux autres qui le jouxtaient.

Mac Yavel déclencha le ventilateur de refroidissement pour aspirer et broyer l'insecte dans les pales. Tempête!

Pour ne pas être emportée par cette bourrasque, Reine 103e s'arrima aux composants. Après avoir vaincu l'homme, il lui fallait vaincre la machine. Dans un bourdonnement, Mac Yavel entama son compte à rebours qui ferait exploser les bombes dans la forêt.

Le compteur numérique était devant la fourmi, l'éclairant des formes rouges de chacun de ses chiffres.

10, 9, 8,… Il ne restait plus que deux fils mais, pour la fourmi, avec sa vision infrarouge, le vert et le rouge apparaissaient tous deux marron clair.

7,… 6,… 5,…

La reine trancha l'un des deux au hasard. Le compte à rebours continuait.

Ce n'était pas le bon fil!

Vite elle entailla de manière désespérée le dernier.

4,… 3,… 2,…

Trop tard! le fil n'était qu'à moitié coupé. Pourtant, le compte à rebours s'arrêta sur 2. Mac Yavel venait de tomber en panne.

La fourmi regarda, ébahie, le compteur bloqué sur le chiffre deux.

Il se produisit en 103e quelque chose d'inattendu, une pression piquante qui montait dans son cerveau. Peut-être dû à toutes les émotions qu'elle avait connues jusqu'à cet instant, un mélange phéromonal bizarre était en train de donner naissance à une molécule inconnue dans son esprit. Reine 103e était incapable de maîtriser ce qui lui arrivait. La pression montait, pétillait, irrépressible, mais pas du tout désagréable.

Toutes les tensions issues des dangers traversés se mirent à disparaître les unes après les autres, comme par enchantement.

La pression gagnait maintenant ses antennes. Cela ressemblait à ce qu'elle avait ressenti lorsqu'elle avait fait l'amour avec 24e. Ce n'était pas de l'amour. C'était, c'était…

L'humour!

Elle éclata de rire, ce qui chez elle se manifesta par des hochements de tête incontrôlables, l'émission d'un peu de bave et des tremblements de mandibules.

239. ENCYCLOPEDIE

HUMOUR: Le seul cas d'humour animal recensé dans les annales scientifiques a été rapporté par Jim Anderson, primatologue à l'université de Strasbourg. Ce scientifique a consigné le cas de Koko, un gorille initié au langage gestuel des sourds-muets. Un expérimentateur lui demandant un jour de quelle couleur était une serviette blanche, il fit le geste signifiant «rouge». L'expérimentateur répéta la question en brandissant dûment la serviette devant les yeux du singe, obtint la même réponse et ne comprit pas pourquoi Koko s'obstinait dans son erreur. L'humain commençant à perdre patience, le gorille s'empara de la serviette et lui montra le petit ourlet rouge tissé sur son rebord. Il présenta alors ce que les primatologues appellent «la mimique du jeu», c'est-à-dire un rictus, babines retroussées, dents de devant exhibées, yeux écarquillés. Peut-être s'agissait-il d'humour…

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

240. RENCONTRE AVEC QUELQU'UN D'ÉTONNANT

Les doigts s'entremêlèrent. Les danseurs enlacèrent fermement leurs cavalières.

Bal au château de Fontainebleau.

En l'honneur du jumelage de la ville avec la cité danoise d'Esjberg, il y avait fête en la demeure historique. Échange de drapeaux, échange de médailles, échanges de cadeaux. Représentations de danses folkloriques. Chorales locales. Présentation du panneau: «FONTAINEBLEAU – HACHINOÉ – ESJBERG: VILLES JUMELÉES», qui marquerait désormais l'entrée des trois lieux.

Dégustation enfin d'aquavit et d'eau-de-vie de prune française.

Des voitures arborant les drapeaux des deux nations se garaient encore dans la cour centrale et des couples de retardataires en sortaient, en vêtements de gala.

Des officiels danois faisaient la courbette à leurs homologues français, lesquels leur serraient la main. Puis on échangeait sourires, cartes de visite et on se présentait les épouses.

L'ambassadeur du Danemark s'approcha du préfet et lui glissa à l'oreille:

– J'ai vaguement suivi cette histoire de procès de fourmis. Comment ça a fini, au juste?

Le préfet Dupeyron cessa de sourire. Il se demandait à quel point son interlocuteur avait suivi l'affaire. Il avait dû lire probablement un ou deux articles dans les journaux. Il éluda.

– Bien. Bien. Merci de vous intéresser à nos affaires locales.

– Mais pouvez-vous m'en dire plus, est-ce que les gens de la pyramide ont été condamnés?

– Non, non. Les jurés ont été très cléments. On leur à juste demandé de ne plus construire de maison en forêt.

– Mais l'on m'a dit qu'on parlait aux fourmis avec une machine?

– Ce sort des exagérations de journalistes. Ils se sont laissé berner et puis vous savez comment ils sont: prêts à monter n'importe quelle histoire en épingle pour vendre leurs feuilles de chou.

L'ambassadeur du Danemark insista.

– Mais, quand même, il y avait bien une machine qui permettait de parler en transformant les phéromones des fourmis en parole; humaines.

Le préfet Dupeyron éclata de rire.

– Ah! vous y avez cru vous aussi? C'était un pur canular. Un aquarium, une fiole, un écran d'ordinateur: Cette machine ne fonctionnait pas. C'était l'un de leurs comparses qui, placé à l'extérieur, répondait en se faisant passer pour une fourmi. Les gens naïfs y ont peut-être cru mais l'affaire a été éventée.

Le Danois se servit un canapé au hareng sucré qu'il happa avec un verre d'alcool.