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Mac Yavel lui montra comment indiquer à sa tribu l'intérêt de fabriquer des murs en torchis, des briques en glaise et des épieux aux pointes durcies par le feu. Il ne s'agissait évidemment que de simulation sur un écran, mais, à chaque intervention de Maximilien, le village représenté sur l'écran devenait plus fonctionnel, du foin s'entassait dans les granges, des pionniers partaient fonder des bourgades voisines et la population s'accroissait, signe de réussite.

Dans ce jeu, après chaque choix politique, militaire, agricole ou industriel, il suffisait d'appuyer sur la touche «espace» pour que dix ans s'écoulent. Il pouvait ainsi constater immédiatement l'effet de ses décisions à moyen et long terme. Il surveillait son niveau de réussite en haut à gauche de son écran dans une sorte de tableau de bord qui lui indiquait le nombre d'habitants, leur richesse, leur réserve de nourriture, leurs découvertes scientifiques acquises et leurs recherches en cours.

Maximilien réussit à lancer une petite civilisation qu'il orienta de façon à la doter d'un art de type égyptien. Il parvint même à lui faire construire des pyramides. D'ailleurs, ce jeu était en train de lui prouver tout l'intérêt qu'il y avait à construire des monuments, ouvrages qu'il estimait jusque-là être des gaspillages d'argent et d'énergie. Les monuments créent l'identité culturelle du peuple. De plus, ils attirent les élites culturelles des peuples voisins et ils assurent la cohésion des membres de la communauté autour du monument en tant que symbole.

Hélas! Maximilien n'avait pas fabriqué de poteries, ni stocké de céréales dans des cuves hermétiques. Son peuple vit donc ses réserves alimentaires détruites par des insectes genre charançons. Le ventre vide, son armée affaiblie ne put soutenir les attaques d'envahisseurs numides venus du sud. Tout était à recommencer.

Ce jeu commençait à l'amuser. On n'enseignait nulle part aux enfants qu'il est vital de fabriquer des poteries. Une civilisation pouvait mourir de n'avoir pas pensé à mettre des céréales à l'abri dans des jarres bien fermées, les protégeant des charançons ou des ténébrions de la farine.

Toute «sa» population virtuelle, soit six cent mille personnes, avait péri dans le jeu mais son conseiller Mac Yavel lui indiqua qu'il lui suffisait de lancer une nouvelle partie pour tout recommencer avec une population «neuve». Dans Évolution, on avait droit à des brouillons de civilisations pour s'exercer.

Avant d'appuyer sur la touche qui allait tout réinitialiser, le commissaire considéra sur le petit écran couleur la vaste plaine, avec ses deux pyramides abandonnées. Ses pensées vagabondèrent.

Une pyramide n'était pas une construction anodine. Elle représentait un puissant emblème.

Que pouvait donc receler la pyramide, bien réelle celle-là, de la forêt de Fontainebleau?

43. COCKTAIL MOLOTOV

Un havre de paix. Après mille détours pour rentrer chez elle, Julie s'était à demi allongée sous le drap de son lit et, éclairée par sa lampe de poche, lisait confortablement l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu. Elle voulait comprendre de quel genre de révolution exactement parlait cet Edmond Wells.

La pensée de l'écrivain lui paraissait confuse. Par moments, il parlait de «révolution», à d'autres, d'«évolution» et dans tous les cas «sans violence» et «en évitant le spectaculaire». Il voulait changer les mentalités discrètement, presque en secret.

Tout cela était pour le moins contradictoire. Il y avait des pages racontant des révolutions et il fallait en tourner beaucoup d'autres avant d'apprendre que, jusqu'ici, aucune n'avait abouti. Comme s'il était fatal qu'une révolution pourrisse ou échoue.

Julie n'en découvrit pas moins, comme à chaque fois qu'elle ouvrait le livre, quelques passages intéressants et, entre autres, quelques recettes pour fabriquer des cocktails Molotov. Il en existait de plusieurs sortes. Certains prennent feu grâce à leur bouchon de tissu, d'autres, plus efficaces, se déclenchent avec des pastilles qui, en se brisant, libèrent des composants chimiques inflammables.

«Enfin, des conseils pratiques pour faire la révolution», songea-t-elle. Edmond Wells précisait les dosages des composants du cocktail. Il ne restait plus qu'à le confectionner.

Elle ressentit une douleur à son genou meurtri. Elle souleva le pansement et scruta la plaie. Elle percevait chacun de ses os, chaque muscle, chaque cartilage. Jamais son genou n'avait autant existé. À haute voix, elle dit:

– Bonjour, mon genou.

Et elle ajouta:

– … C'est le vieux monde qui t'a fait mal. Je vais te venger.

Elle se rendit dans la remise, où étaient rangés les produits et les outils réservés au jardinage. Elle y trouva tous les ingrédients nécessaires pour confectionner une bombe incendiaire. Elle s'empara d'une bouteille en verre. Elle y versa du chlorate de soude, de l'essence et les autres produits chimiques indispensables. Un foulard de soie piqué à sa mère en guise de bouchon, son cocktail était prêt.

Julie serra sa petite bombe artisanale. Il n'était pas dit que la forteresse du lycée lui résisterait indéfiniment.

44. LE TEMPS DU SABLE

Elles sont fourbues. Il y a longtemps que les exploratrices n'ont pas mangé et elles commencent à souffrir des premières affres du manque d'humidité: les antennes se rigidifient, les articulations des pattes se soudent, les sphères oculaires se recouvrent d'une pellicule de poussière et elles n'ont pas de salive à gaspiller pour les laver.

Les treize fourmis se renseignent sur la direction du grand chêne auprès d'un collembole des sables. À peine leur a-t-il répondu qu'elles le mangent. Il y a des moments où dire «merci» est un luxe au-dessus de vos forces. Elles suçotent jusqu'aux articulations des pattes de l'animal pour récupérer la moindre molécule de son humidité.

Si le désert se poursuit encore sur une grande distance, elles périront. 103e commence à éprouver des difficultés à mettre une patte devant l'autre.

Que ne donneraient-elles pas, ne serait-ce que pour une demi-goutte de rosée! Mais depuis quelques années, la température a grimpé en flèche sur la planète. Les printemps sont chauds, les étés caniculaires, les automnes tièdes et il n'y a qu'en hiver que le froid et l'humidité se font un peu sentir.

Elles connaissent par chance une manière de marcher qui épargne l'extrémité de leurs pattes. C'est la technique des fourmis de la ville de Yedi-bei-nakan. Il faut avancer en n'utilisant que quatre de ses six pattes puis alterner avec quatre autres. On dispose ainsi constamment de deux pattes fraîches reposées des brûlures du sol.

103e, toujours intéressée par les espèces étrangères, admire des acariens, ces «insectes des insectes», qui hantent tranquillement ce désert, hors de portée de leurs prédateurs. Ils s'enterrent quand il fait chaud et sortent quand le temps fraîchit. Les fourmis décident de les copier.

Ils sont sans doute aussi minuscules pour nous que nous le sommés pour les Doigts et pourtant, dans cette épreuve, ils nous donnent un exemple de survie.

Voilà qui prouve encore à 103e qu'il ne faut sous-esti-mer ni les dimensions supérieures ni les dimensions inférieures.

Nous sommes en équilibre entre les acariens et les Doigts.

Le temps fraîchissant, les fourmis sortent de leur couverture de sable.

Un coléoptère rouge file devant elles. 15e veut le mettre en joue mais 103e lui dit que cela ne servirait à rien de l'abattre. Si cet insecte est rouge, ce n'est pas par hasard Il faut le savoir, dans la nature, tout ce qui arbore des couleurs tape-à-Pœil est toxique ou dangereux.

Les insectes ne sont pas fous. Ils ne vont pas s'afficher en rouge écarlate aux yeux de tous pour le plaisir d'attirer leurs prédateurs. S'ils le font, c'est bien pour signaler à tout le monde qu'il est inutile de leur chercher noise.