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Intuitivement, cette épreuve-là, elle avait su la résoudre. Les blattes lui avaient enseigné à s'aimer elle-même. Or cette guêpe lui propose maintenant une tâche beaucoup plus délicate: justifier cet amour.

La reine réitère sa question.

La vieille guerrière fourmi revient à plusieurs reprises sur ses deux principales qualités, la combativité et la curiosité, qui lui ont permis de survivre là où tant d'autres ont péri. Les mortes possédaient donc un code génétique moins efficace que le sien.

La reine des guêpes papetières remarque que beaucoup de soldates maladroites ou sans courage survivent dans les guerres par simple hasard. Alors que des soldates habiles et courageuses décèdent. Cela ne signifie rien, c'est une question de hasard.

Déstabilisée, 103e finit par lâcher son argument-choc:

Je suis différente des autres parce que j'ai rencontré les Doigts.

La reine marque un temps d'arrêt.

Les Doigts?

103e explique que les phénomènes bizarres qui apparaissent de plus en plus souvent en forêt sont dus la plupart du temps à l'apparition d'une nouvelle espèce animale, géante et inconnue: les Doigts. Elle, 103e, elle les a rencontrés et a même dialogué avec eux. Elle connaît leur force et leurs faiblesses.

La reine des guêpes ne se laisse pas impressionner. Elle répond qu'elle aussi connaît les Doigts. Il n'y a rien d'exceptionnel à cela. Les guêpes en rencontrent souvent. Ils sont grands, lents, mous et transportent toutes sortes de matériaux sucrés inertes. Parfois, ils enferment des guêpes dans une caverne transparente mais quand la caverne s'ouvre, les guêpes piquent les Doigts.

Les Doigts… La reine des guêpes ne les a jamais craints. Elle prétend même en avoir tué. Certes, ils sont grands et gros mais ils ne possèdent pas comme nous de carapace et il est donc très facile de percer du dard leur épiderme mou. Non, désolée, une rencontre avec les Doigts ne lui apparaît pas comme un argument suffisant pour justifier son désir d'amputer en quoi que ce soit le trésor de gelée hormonale royale du guêpier.

103e ne s'attendait pas à ça. Toute fourmi à qui on parle des Doigts réclame encore et encore des informations. Or, voici que les guêpes papetières, elles, se figurent tout savoir. Quel signe de décadence! C'est sans doute la raison pour laquelle la nature a inventé la fourmi. Les guêpes, leurs ancêtres vivants, ont perdu leur curiosité originelle.

En tout cas, ça n'arrange pas les affaires de 103e. Si les guêpes papetières refusent de lui donner de la gelée, c'est sa fin. Tant d'efforts pour survivre et au bout du compte être fauchée tout simplement par le plus minable des adversaires: la vieillesse. C'est dommage.

Dernière ironie de la reine des guêpes papetières: elle signale que si, d'aventure, 103e avait un sexe, rien ne certifierait que ses enfants auraient aussi cette capacité à rencontrer les Doigts.

Évidemment, rencontrer des Doigts n'est pas une qualité héréditaire. 103e s'est fait piéger.

Soudain, il y a de l'agitation. Des guêpes nerveuses atterrissent et décollent depuis l'entrée de carton.

Le nid est attaqué. Un scorpion grimpe vers la cloche de papier gris.

L'arachnide a sans doute été chassé par la marée des criquets et lui aussi cherche refuge dans les frondaisons. Normalement, les guêpes repoussent les assaillants à coups de dards empoisonnés, mais la chitine des scorpions est trop épaisse pour eux et donc infranchissable.

103e propose de se charger de l'ennemi.

Si tu réussis seule, nous te donnerons ce que tu demandes, énonce la reine des guêpes.

103e sort par le tube-couloir central du guêpier et aperçoit le scorpion. Ses antennes reconnaissent les odeurs. Il s'agit de la scorpionne que les Belokaniennes ont déjà croisée dans le désert. Elle porte sur son dos vingt-cinq bébés scorpions, reproductions miniatures de leur mère. Ils s'amusent à se chamailler de la pointe de leurs pinces et de leur dard caudal.

La fourmi décide d'intercepter la scorpionne dans la terrasse circulaire, petite arène plate que forme un nœud du chêne immense.

103e nargue la scorpionne d'un tir de jet acide. L'autre ne voit dans la petite fourmi qu'un gibier à sa portée. Elle dépose ses petits et s'avance pour la manger. Le bout de sa longue pince la pique.

Deuxième jeu: PIQUE

61. TRAVAIL SUR LA PYRAMIDE MYSTERIEUSE

Pointe translucide. Triangle blanc. Maximilien était à nouveau face à la pyramide mystérieuse. La dernière fois, son inspection avait été interrompue par une piqûre d'insecte qui l'avait mis groggy pendant une petite heure. Aujourd'hui, il était bien décidé à ne pas se laisser surprendre.

Il s'approcha à pas précautionneux.

Il toucha la pyramide. Elle était toujours tiède.

Il posa son oreille contre la paroi et entendit des bruits.

Il se concentra pour les comprendre et il lui sembla percevoir une phrase intelligible en français.

– Alors, Billy Joe, je t'avais dit de ne pas revenir.

Encore la télévision. Un western américain, sans doute.

Le policier en avait assez entendu. Le préfet exigeait des résultats, il allait en obtenir. Maximilien Linart s'était muni du matériel indispensable à la réussite de sa mission. Ouvrant sa grande gibecière, il en sortit un long maillet de chantier et le brandit en direction de son propre reflet. De toutes ses forces, il frappa.

Dans un fracas étourdissant, le miroir s'émietta en fragments coupants. Vite, il recula pour éviter d'être touché par un éclat.

– Tant pis pour les sept ans de malheur, soupira-t-il.

La poussière dissipée, il inspecta la paroi de béton. Toujours pas de porte, ni de fenêtre. Seulement la pointe translucide au sommet.

Deux faces de la pyramide restaient camouflées de miroirs. Il les fît aussi exploser sans discerner la moindre ouverture. Il posa l'oreille sur la paroi de béton. À l'inté rieur, la télévision s'était tue. Quelqu'un réagissait à sa présence.

Il devait quand même bien y avoir une issue quelque part… Une porte basculante… Un système quelconque de charnières… Sinon, comment l'actuel occupant se serait-il introduit dans la pyramide?

Il lança un lasso vers le sommet de la pyramide. Après plusieurs tentatives infructueuses, il parvint à le crocheter. Avec ses chaussures antidérapantes, le policier entreprit d'escalader la surface plane en béton. Il examinait la paroi de près mais pas la moindre fissure, pas le moindre trou, pas la moindre rainure permettant d'enfumer le ou les occupants. Du sommet, il scruta les trois faces: le béton était épais et en tout point homogène.

– Sortez ou je vous garantis que nous trouverons bien un moyen de vous faire déguerpir!

Maximilien se laissa redescendre sur sa corde.

Il était toujours persuadé qu'un ermite s'était emmuré dans ce bâtiment de béton. Il savait qu'au Tibet certains moines particulièrement zélés se faisaient ainsi enfermer dans des cabanes de briques closes sans porte ni fenêtres et y restaient des années durant. Mais ces moines laissaient cependant une petite trappe ouverte pour que les fidèles leur déposent des aliments.

Le policier imagina la vie de ces emmurés vivants dans leurs deux mètres cubes, assis parmi leurs excréments, sans air et sans chauffage!

Bzzz… bzzz.

Maximilien sursauta.