Ce n'était donc pas un hasard si, à sa première interpellation, il avait été piqué par un insecte. Celui-ci avait partie liée avec la pyramide, le policier en était maintenant convaincu. Il ne se laisserait pas vaincre à nouveau par le minuscule ange gardien de l'édifice.
L'origine du bourdonnement était un gros insecte volant. Probablement une abeille ou une guêpe.
– Va-t'en, fit-il en agitant la main.
Il dut se contorsionner pour le suivre du regard. C'était comme si cet insecte comprenait que, pour l'attaquer, il fallait d'abord échapper aux yeux de cet humain.
L'insecte se mit à faire des huit. Soudain, il monta, puis fonça en piqué sur lui. Il tenta de planter son dard dans le sommet du crâne mais les cheveux blonds de Maximilien étaient drus et il ne parvint pas à franchir ce qui était pour lui une forêt de herses dorées.
Maximilien se donna de grandes tapes sur la tête. L'insecte redécolla mais ne renonça pas à ses piqués de kamikaze.
Il la défia de la voix:
– Que me veux-tu? Vous, les insectes, vous êtes les derniers prédateurs de l'homme, non? On n'arrive pas à vous éliminer. Vous nous ennuyez, nous et nos ancêtres, depuis trois millions d'années, et vous continuerez à ennuyer nos enfants pendant combien de temps encore?
L'insecte ne sembla pas prêter attention au discours du policier. Lui n'osait pas lui tourner le dos. L'insecte se maintenait en position géostationnaire, prêt à plonger dès qu'il aurait trouvé une faille dans la défense antiaérienne ennemie.
Maximilien saisit une chaussure et, la tenant comme une raquette de tennis, se prépara à smasher dans l'insecte dès que celui-ci attaquerait.
– Qui es-tu, grosse guêpe? La gardienne de la pyramide? L'ermite sait apprivoiser les guêpes, c'est ça?
Comme pour lui répondre, l'insecte fonça. En approchant de son cou, il vira, contourna l'humain, redescendit en piqué vers le mollet dénudé du policier mais avant d'avoir pu le toucher de son dard, il reçut en plein front une énorme semelle de chaussure.
Maximilien s'était baissé comme pour faire un lob et, d'un mouvement sec du poignet, il était arrivé à intercepter son minuscule adversaire volant.
Avec un bruit mat, l'insecte percuta la semelle et rebondit, complètement aplati.
– Un à zéro. Jeu, set et match, fit le policier, pas mécontent de son coup.
Avant de s'éloigner, il posa encore sa bouche contre la paroi.
– Vous, là-dedans, n'imaginez pas que je vais abandonner si facilement. Je reviendrai jusqu'à ce que je sache qui se cache à l'intérieur de cette pyramide. On verra bien combien de temps vous tiendrez, isolé du monde dans votre béton, monsieur l'ermite amateur de télévision!
62. ENCYCLOPEDIE
MÉDITATION: Après une journée de travail et de soucis, il est bon de se retrouver seul au calme. Voici une méthode simple de méditation pratique. D'abord, se coucher sur le dos, pieds légèrement écartés, bras le long du corps sans le toucher, paumes orientées vers le haut. Bien se détendre. Commencer l'exercice en se concentrant sur le sang usé qui reflue des extrémités des pieds, depuis chaque orteil, pour remonter s'enrichir dans les poumons.
A l'expiration, visualiser l'éponge pulmonaire gorgée de sang qui disperse le sang propre, purifié, enrichi d'oxygène, vers les jambes, jusqu'à l'extrémité des orteils.
Se livrer à une nouvelle inspiration en se concentrant cette fois sur le sang usé des organes abdominaux afin de l'amener jusqu'aux poumons. À l'expiration, visualiser ce sang filtré et plein de vitalité qui revient abreuver notre foie, notre rate, notre système digestif, notre sexe, nos muscles. À la troisième inspiration, aspirer le sang des vaisseaux des mains et des doigts, le rincer et le renvoyer sain d'où il est venu.
À la quatrième enfin, en respirant encore plus profondément, aspirer le sang du cerveau, vidanger toutes les idées stagnantes, les envoyer se faire purifier dans les poumons puis ramener le sang propre, gorgé d'énergie, d'oxygène et de vitalité dans le crâne. Bien visualiser chaque phase. Bien associer la respiration à l'amélioration de l'organisme.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.
63. DUEL
Le dard empoisonné du scorpion s'abat non loin de la vieille fourmi rousse qui le sent frôler ses antennes.
C'est le troisième coup de pince et le quatrième coup de dard qu'elle esquive. À chaque fois, elle est déstabilisée et évite de justesse l'arme fatale du monstre cuivré.
103e voit maintenant de très près cette scorpionne suréquipée en armes de guerre. À l'avant, deux pinces pointues, les chélicères, sont là pour bloquer la victime avant de lui porter le coup de crochet venimeux.
Sur les flancs, huit pattes pour se mouvoir à toute vitesse dans toutes les directions et même latéralement. À l'arrière, une longue queue qu'articulent six segments flexibles et qui s'achève par une pointe acérée, comme une épine de ronce, une énorme épine jaune, gluante de jus mortel.
Où sont les organes des sens de l'animal? La fourmi ne distingue pratiquement pas d'yeux, seulement des ocelles frontaux, pas d'oreilles, pas d'antennes. Faisant mine de toujours esquiver le monstre, elle le contourne et comprend: les véritables organes sensoriels du scorpion, ce sont ses pinces recouvertes de cinq petits poils sensi-tifs. Grâce à eux, la scorpionne perçoit les plus infimes mouvements de l'air autour d'elle.
103e se souvient d'une corrida, sur la télévision des Doigts. Comment s'en tiraient-ils déjà? Avec une cape rouge.
103e saisit un pétale de fleur pourpre apporté par le vent pour s'en faire une muleta qu'elle brandit avec ses mandibules. Pour ne pas donner prise au vent et ne pas être renversée par cette voile improvisée, elle prend garde à toujours se placer dans le sens des courants d'air. La vieille guerrière fatiguée multiplie les véroniques, en esquivant, au dernier moment, la corne unique de son adversaire.
Les coups de dard se font plus précis. À chaque tentative, 103e voit la lance poisseuse remonter, la viser puis partir en avant à la manière d'un harpon. Un dard est plus difficile à éviter qu'une paire de cornes et elle se dit que si un Doigt toréador avait à affronter un scorpion géant, il connaîtrait sans doute beaucoup plus de difficultés que dans ses arènes habituelles.
Quand 103e tente de s'approcher de son ennemie, les pinces ouvertes foncent sur elle. Quand elle essaie de tirer un jet d'acide avec son abdomen, les pinces se ferment en bouclier. Elles sont à la fois arme d'attaque et de défense. Les huit pattes si rapides remettent toujours la scorpionne au meilleur endroit pour parer et frapper.
À la télévision, le toréador n'arrêtait pas de gesticuler pour dérouter son taureau. De même, la fourmi bondit en tous sens essayant d'épuiser son adversaire tout en esquivant ses coups de pince et de harpon.
103e se concentre et cherche à se souvenir de tout ce qu'elle a vu en la matière. Quels étaient les commentaires à propos de la stratégie du toréador? De l'homme et de la bête, il y en a toujours un qui est au milieu et l'autre qui lui tourne autour. Celui qui tourne autour se fatigue plus vite mais il a la possibilité de prendre l'autre à contrepied. Les toréadors très doués parviennent à faire trébucher leur adversaire sans même les toucher.
Pour l'instant, son pétale-muleta sert surtout de bouclier à 103e. Chaque fois que le harpon s'abat, elle l'intercepte de son pétale cramoisi. Mais il est peu résistant et la pointe du dard le transperce aisément.
Ne pas mourir. Au nom de sa connaissance des Doigts. Ne pas mourir.
Dans son acharnement à survivre, le vieille fourmi oublie son âge et retrouve l'agilité de sa jeunesse.