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— Monsieur San-Antonio, pouvez-vous me recevoir ?

J’en suis éberlué.

— Mais comment donc !

Alors la porte s’ouvre et l’armateur paraît. Il me sourit.

— Mon fils Homère vient de m’apprendre ce qui s’est passé au cours de la traversée. Je tenais à vous présenter mes excuses et à vous exprimer mon admiration. Vous êtes un homme courageux et je féliciterai miss Victis d’avoir choisi un fiancé de votre trempe.

— Vous êtes bien aimable, monsieur Okapis, je réponds. Mais je ne vois pas pourquoi vous vous excusez.

— Mon capitaine aurait dû prendre des renseignements avant d’engager ce steward. Je vais le licencier.

Bigre, il plaisante pas, l’armateur !

— C’est tout ce que j’avais à vous dire, ajoute-t-il en me présentant une main trop large pour sa chétive constitution.

Et il sort. Le gars mézigue se met alors à loucher sur un bar que le valet vient de découvrir et qui, lui aussi (pas le valet, le bar) se planquait derrière un tableau de Renoir. Il est vachement achalandé (toujours pas le valet, toujours le bar) moi je vous le dis. Dix sortes de whiskies, vingt sortes d’apéritifs ! Siphon ! Frigo ! Oui, j’ai idée que je vais bien m’entendre avec l’île de Konkipok.

— Monsieur désire-t-il quelque chose ? s’informe l’esclave.

— Un double whisky et un doigt de solitude, réponds-je.

Avec une célérité dont je lui sais gré, il m’accorde l’un, puis l’autre.

Je porte mon godet jusque sur le balcon et je m’installe dans un fauteuil pour bigler l’océan plus commodément.

À cet instant, un cri terrible retentit, non loin de moi. Un cri comme on n’en entend qu’au ciné dans les films d’épouvante.

CHAPITRE V

Moi vous me connaissez… Je ne perds jamais la tranche. C’est pourquoi je prends la précaution de vider mon glass avant de sortir. Un whisky, je signale ça pour les amateurs, faut jamais en laisser fondre entièrement la glace avant de l’écluser. Vous le tournez lentement dans la main jusqu’à ce que le cube ait diminué de moitié et c’est à cet instant que vous devez vous le téléphoner en souplesse. Il doit toujours rester un morceau de glaçon au fond de chaque verre vide, c’est pigé ? O.K. ? Donc je biberonne mon sirop d’orge avec énergie et je quitte ma piaule rapidement.

Le couloir est tranquille vu que les chambres sont insonorisées. Je pige donc que si j’ai entendu le cri c’est parce que je me trouvais sur le balcon. Je sonne chez Gloria.

Le parlophone dit « Yes ? » et je réponds « Tony ».

La môme m’ouvre elle-même. Elle est en soutien-gorge et porte-jarretelles, ce qui n’est pas fait pour me choquer.

— Vous avez entendu ? lui demandé-je.

Elle fronce ses sourcils, dessinés main.

— Quoi donc, dear Tony ?

— Ce cri ?

— Quel cri ?

Je m’avance dans son appartement. La porte-fenêtre donnant sur son balcon est ouverte également.

Seulement sa radio joue à plein chapeau un air de jazz et avec une telle cacophonie, vous pourriez assister à la bataille de Pearl Harbor sans même vous en rendre compte.

— Pourquoi dites-vous que vous avez entendu un cri, darling ? qu’elle me demande, la lascive.

— Parce que j’ai entendu un cri, ma bien-aimée, riposté-je avec un chouïa d’irritation dans le laminoir à inflexions.

Je la cueille par la taille.

— Enfin, du moment que ce n’est pas vous qui l’avez poussé… Je lui distribue quelques baisers gentils, du genre de ceux qui, comme les petits cadeaux, entretiennent l’amitié et je lui demande ce qu’on fait.

— Que diriez-vous d’une partie de pêche sous-marine avant le déjeuner ? propose Gloria.

Ça me botte assez. J’ai idée que la faune aquatique doit pas être piquée des vers de vase, dans ce coin du Pacifique.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Une demi-plombe plus tard, nous avons revêtu l’attirail Nautilus. Le masque, les bouteilles d’oxygène, les palmes (non académiques), le fusil-harpon, et le poignard à la ceinture, v’là qu’on ressemble à deux gentils Martiens en voyage de noces.

Tout est tranquille chez Okapis. Dans le patio, les musiciens, assis en rond, jouent de la zizique de chambre pour noces et banquets. Sous des tonnelles de roses, quelques invités sirotent des boissons fraîches, tandis que Foscao Ier achève de se faire raser au soleil avec un tesson de bouteille, suivant l’habitude de son pays.

Nous prenons un sentier dallé avec du marbre et qui serpente à travers des pelouses jusqu’à l’océan. Quel plaisir de se replonger dans l’onde couleur d’émeraude, dont la tiédeur amollit le corps et l’âme[3]

— Le premier qui piquera un poisson aura droit à un cadeau ! lance Gloria en plongeant.

Je plonge à mon tour. Dans les profondeurs marines règne une clarté verdâtre, pareille à celle de certaines cathédrales. Quel étrange univers que le Monde du Silence ! Ici, le sol est composé de coraux saumon et verts qui paraissent donner aux eaux un éclairage par le fond. Les poissons grouillent. Leurs couleurs sont fabuleuses, il y en a des dorés, des bleutés, des rouges, des ocres, des jaunes, des noir et vert… À croire qu’un peintre, délirant, fou de couleurs, les a créés. Ils se débinent en nous apercevant. Mais, curieux comme tous les poissons, aussitôt ils reviennent nous dévisager.

En général, ils sont petits, c’est pourquoi nous les épargnons. C’est le gros bétail que nous cherchons, Gloria et moi. Le big morcif à côté duquel on a plaisir à se faire photographier. Je me déplace d’une allure irréelle dans cet élément fluide. Un coup de mes pieds palmés et je parcours une distance surprenante, à travers les colonnes de corail. La pente s’accentue très vite, à partir d’un certain point. Faut se gaffer car on risque très vite de morfler une pression abominable sur les endosses. Je ralentis. La lumière est moins nette à mesure que je descends. Je m’immobilise derrière un bloc rocheux, pareil au chasseur à l’affût. Après tout, pourquoi courser les poissons ? J’attends un instant en faisant plus de bulles que trente-six papes réunis. Au loin, je distingue la silhouette sombre et floue de Gloria poursuivant son exploration. Faudrait pas qu’elle aille trop loin. N’oublions pas que je suis payé pour la protéger. Il ne suffit pas de la défendre contre les truands, je dois assurer sa sécurité dans tous les domaines.

Me voilà parti à sa recherche. Mais, en cours de route, qu’avisé-je ? Un de ces mastars qui ne tiendraient pas, mesdames, dans votre turbotière ! Au moins un mètre cinquante de long, qu’il mesure, ce seigneur des profondeurs. Et il a de la moustache, comme Berthe Bérurier. Du reste, il lui ressemble, de face surtout.

Il me virgule un œil épaté, assez bon enfant. Je m’y connais pas des masses, en poisson, moi. Sorti du brochet, de la truite et du goujon, je donne ma langue aux poissons-chats !

Je me dis néanmoins que, comestible ou pas, ce gravos est une bonne prise. J’épaule mon harpon. On dirait qu’il a pigé mes intentions belliqueuses car le voilà qui se pique une plongée fulgurante. Je presse la gâchette de mon arme. Ça se débobine rapide, mais le poisson me dit « Bons baisers, à mardi ». Le harpon lui rase la nageoire dorsale et va se piquer dans le fond de l’eau. Comment qu’il se débine, le client ! Je tire sur mon filin, mais ça résiste. Alors je suis le fil pour aller décrocher le harpon.

Ce dernier est planté dans une espèce de tuyau recouvert d’algues qui gît sur le fond sableux. J’ai beau tirer comme un sourdingue, ça ne vient pas. Va falloir que je tranche le câble, ce qui est idiot, vu que ça condamne ma partie de pêche. Armé de mon couteau, j’essaie d’élargir le trou produit par la pointe du harpon. Je constate alors que le tuyau n’est pas un tuyau, mais un rouleau de grillage. Des couches d’algues ont composé une sorte d’enduit pardessus les mailles du grillage.

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3

Quand on lit des phrases aussi bien ciselées, on se rend compte à quel point il y a des Prix Goncourt qui se perdent.