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Lui ayant présenté mes devoirs, je me tourne vers son féal adjoint et alors, là, c’est la commotion de gala, mes frères. L’homme corpulent, impec dans un costar blanc, qui se tient devant moi est le sosie de Bérurier. À croire qu’ils sont issus, soit de la même paire, soit du même maire ! Un Béru cultivé, manucuré, rasé, talqué, épilé, maniéré, bichonné, mais un Béru, quoi !

Il porte de grosses lunettes achardiennes aux verres jaunes et à la monture plus large que l’autoroute de l’Ouest. Un petit chapeau de paille jaune, agrémenté d’un ruban lilas, couronne sa grosse tête. Sa chemise de soie aux poignets mousseux lui confère un aspect précieux.

Il a la poignée de main molle, ce qui le différencie de ce broyeur de cartilages qu’est Bérurier, le vrai.

On s’affirme mutuellement qu’on est ravi. Sa voix n’est pas non plus celle du Gros. L’organe de ce monsieur est plutôt fluet.

On échange trois mots, juste pour dire :

— Nous arrivâmes à Guayaquil ce matin, m’explique ce sosie. Nous prîmes un hydravion appartenant à M. Okapis qui nous amena ici en un temps record. Je pensais le règne de l’hydravion révolu, mais j’ai pu mesurer toute son utilité dans une région d’archipels.

Si un instant j’ai pu avoir un coup de chaleur en le prenant pour Bérurier, mon doute s’est volatilisé. Jamais le Gravos n’aurait été capable de ciseler une phrase pareille.

Cela dit, je ne vois guère ce que l’illustre Bérurier viendrait fiche aux Galápagos, hein ? En ce moment, il est au turf à la Grande Cabane puisqu’il doit partir en vacances lorsque je rentrerai.

Je m’excuse car je suis en slip de bath et je vais me changer.

Je me déguise en gravure de mode et je m’esbigne à la suave avant que Gloria m’ait remis le grappin dessus. Un peu de liberté ne fait pas de mal. Et je me suis mis dans l’usine à phosphorer de retrouver Antigone Okapis afin de lui offrir deux doigts de cour dans un grand verre.

Les invités papotent par petits groupes, selon leurs affinités. Les reines sont entre elles, les rois aussi et les financiers pareillement. Foscao Ier apprend à la reine mère Mélanie de Brabance comment éplucher une banane avec ses pieds, tandis que l’archiduc François-Joseph de Kronenbourg de Lux explique au prince Konsör de Fromagie comment on fait blondir le houx lorsqu’on veut obtenir du houblon sans se lancer dans la culture. Le baron Samuel de Lévy de Télavoche donne à MM. Nocey and Bankey les raisons de la chute du papier hygiénique à la Bourse de New York ; tandis que M. Pédal des Nations-Désunies fait un doigt de cour au maître d’hôtel des Okapis.

Vous voyez que notre armateur est obéi lorsqu’il recommande à chacun de faire ce que bon lui semble. Ainsi, moi, San-Antonio, le champion du mystère toute catégorie, la première chose que je fais, c’est d’aller dégauchir un cadavre au sein des eaux profondes. C’est rien, mais ça dénote une certaine constance dans la manière de se distraire, vous ne pensez pas ?

À force de musarder, de patio en salon et de jardin en court de tennis, je finis par me dire que cette réunion ressemble un peu à Pont-aux-Dames. La vioquerie des invités m’incommode. J’aime bien les vieux, mais à petite dose. Un bon grand-père en parfait état de marche, c’est formide, mais une épidémie de mirontons cacochymes, ça me fiche des complexes.

Le sosie de Bérurier, le corpulent M. Mahousse, feuillette une revue technique imprimée en chichoit.

— Vous lisez le chichoit ? admiré-je.

— Couramment, me répond avec une certaine suffisance M. Mahousse. Nous sommes six en France à parler couramment cette langue.

Plus je le mate, plus je me dis que la ressemblance avec Sa Majesté est fabuleuse.

— Ne seriez-vous pas apparenté à un de mes bons amis nommé Alexandre-Benoît Bérurier ? risqué-je.

Il fait la moue.

— Pas à ma connaissance !

Comme j’ai l’air de le faire tartir, je poursuis ma balade à la recherche de la belle Antigone. C’est marrant comme elle m’a percuté la prunelle, cette mignonne. Faut dire aussi que c’est pas un lot à réclamer comme Gloria.

Je suis resté sous le charme du bref regard qu’elle m’a accordé.

Je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé, à vous qui êtes aussi romantiques qu’un traité sur l’électricité statique, ce brusque déchaînement de votre potentiel affectif ? Hein ? N’ayez pas d’arrière-pensées à cause de vos bouilles défraîchies et répondez-moi franchement. Vous boudez ? Parce que je viens de vous dire que vous avez des bouilles défraîchies ?

Faites pas les cabochards, quoi ! D’autant plus que bronzés et avec un masque à gaz, vous seriez presque présentables. Mais enfin, puisque vous chipotez sur les confidences, je m’en passerai. Je vous interrogeais par politesse ; y a des gens qui adorent ça. La prostitution marcherait moins bien si les hommes n’avaient pas besoin de se confier à tout prix. La plupart des messieurs qui grimpent ne le font pas seulement pour emmener Popaul au cirque ; mais surtout parce qu’ils veulent raconter à quelqu’un de compréhensif la manière dont ils font reluire Bobonne, leurs vacances au Danemark, la vacherie de leurs chefs de burlingue, l’otite pernicieuse de leur petit dernier et le patacaisse résultant du testament de grand-papa. Une pute, c’est la confidente idéale puisqu’on la paie. Dans la vie, mes fils, on ne jouit vraiment que de ce qu’on achète. Tout le reste est source d’ennuis. Que ça soit une femme, une bagnole, une maison ou la conscience d’un électeur, si vous ne l’achetez pas, vous vous caillez le lait.

À force de chercher ce qu’on désire on finit par le trouver. « Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde », qu’il disait, Machin. Le levier, je l’ai déjà (merci) avec son roulement à billes et sa calandre grand luxe. Il me reste plus qu’à dégauchir mon point d’appui : en l’occurrence : la très ravissante et très percutante miss Okapis (Antigone pour les familiers et pour Sophocle.) Je me la découvre sur un court de tennis. Et moi je vous le dis sans préambule, vu que j’ai oublié mes préambules dans le tiroir de ma table de nuit, mais avec sa jupette blanche, elle est en train de faire monter les cours, Antigone.

Des cuisses comme les siennes, y a qu’au Lido qu’on peut trouver les presque mêmes, et encore, pas par paquets de douze, croyez-moi ! Cette peau ocrée, lumineuse, soyeuse, où mousse un duvet blond ; ce beau visage éclairé par des yeux couleur de Zappy-la-Julie, comme le dit si justement Béru, ses dents éclatantes de blancheur persilienne, ses bras plus dorés que je ne sais pas quoi (zut, voilà que j’ai une panne d’épithète) vous ensorcellent et vous captivent.

Comme j’arrive vers le court, elle vient de filer une rouste à son adversaire. Ce dernier est un homme grand, maigre, avec des valoches sous les lotos, une naze comme une petite trompe et une barbouze carrée, collée à son menton comme les poils d’un pinceau à vernis. Cette bouille pas croyable me dit quelque chose. Il s’agit d’un homme célèbre, mais en tenue de tennisman, je le remets difficilement. Et puis, ça me vient d’un seul coup ; il s’agit d’Équateur Sali, le peintre. Vous savez ? Celui qui peint des escargots géants sur fond de becs de gaz éclairés au néon ou des bicyclettes dont les roues sont en guirlandes de roses ?

— Votre revanche, maître ? lui propose Antigone.

— À mon grand regret, j’abdique, vous êtes beaucoup trop forte pour moi, répond Équateur.

Un qui ne perd jamais une occasion de placer sa bonne marchandise dans les familles, c’est le cher et vénéré San-A., vous ne l’ignorez pas ? Je me hasarde.