— Si vous n’êtes pas trop exigeante sur le choix du partenaire, mademoiselle, je suis à votre disposition.
La toute belle me file un regard que les mailles du grillage ne sont pas assez étroites pour arrêter. Je pige illico que ma proposition lui agrée.
— Volontiers.
Et me voilà dans l’arène, aussi sec. J’ai bien fait de passer un futal blanc et une Lacoste. Le peintre, sans qui l’escargot ne serait que ce qu’il est, me refile sa raquette avec un sourire ambigu (comme disent les habitants de la Porte Saint-Martin).
— Mon garçon, me dit-il avec un accent indéfinissable qu’il a eu tant de mal à mettre au point, je vous souhaite bien du plaisir !
— Merci, papa, que j’y rétorque, du tac au tac.
Il manque en arracher ses poils d’artichaut, le Maître. Ordinairement, les foules se prosternent sur son passage. Les dames balancent leurs soutien-truc sous ses pas pour donner du velouté à ses déplacements, et les hommes jouent de la trompette dorée. Il me cloaque un regard noir. Ma parole, il aurait sa palette sous la pogne qu’il me portraitiserait méchamment pour me faire expier ce crime de lèse-augustée. Il me représenterait en chien galeux, ou en moulin à légumes, c’est recta, vindicatif comme il a la réputation d’être un vrai teigneux, cet Équateur Sali !
Un éclat de rire rentré d’Antigone m’indique que je viens de lui faire plaisir.
On commence à faire quelques balles. Mais je pige illico que ma forme est restée au vestiaire. Comment diantre voulez-vous parer les balles d’une souris dont vous ne fixez que le visage et les flotteurs, hein ? Elle est tellement belle qu’on a envie de lui jouer de la mandoline sur sa raquette. Et pourtant, j’aimerais lui faire voir mon lob. J’ai un lob qui fait l’admiration des foules, parole ! Il fut un temps, à Roland-Garros, on m’avait surnommé San-A-le-beau-lob, c’est concluant, non ?
On démarre. Je suis un peu ridicule au début. L’autre patate de Sali ricane comme un Méphisto de patronage, de l’autre côté du grillage. S’il continue commak, il se pourrait qu’il finisse la journée avec une raquette autour du cou. Le premier jeu est à ma ravissante partenaire, le deuxième aussi. Et facile ! Mais au troisième, je sors mon lob et la gosse n’en revient pas.
Je me fais le troisième jeu, puis le quatrième, le cinquième et finalement je remporte le set. Un qui a cessé ses gloussements, c’est ce dindon-barbouilleur.
Sa barbichouze pend comme une médaille sur la poitrine d’un gars voûté. Va falloir qu’il se l’amidonne dare-dare s’il veut remonter son standinge.
Nous attaquons le second set. C’est pour bibi le service. Je ramasse deux balles et j’engage. Mal parti : je loge dans le filet. Je m’apprête à envoyer la seconde balle lorsque, à l’ultime fraction de seconde, je suspends mon geste. Un réflexe fulgurant. L’avenir appartient à ceux qui réagissent vite. Figurez-vous qu’au moment précis où j’allais la lancer en l’air pour taper dedans, quelque chose m’a surpris : son poids. Elle m’a paru légèrement plus lourde que les autres balles. Je fais un signe d’excuse à Antigone et je soupèse la balle. Pas d’erreur, il s’en faut de quelques grammes et puis elle n’a pas non plus la même consistance.
— Que vous arrive-t-il ? demande la chère petite en s’approchant.
Je lui montre la balle.
— Soupesez, elle n’est pas semblable aux autres !
Elle opine.
— Sans doute a-t-elle été mouillée ?
— Je ne crois pas. Son élasticité diffère également.
— C’est vrai, reconnaît Antigone.
Et, pour éprouver le rebond de la balle, elle la lance à la main, de toutes ses forces dans le court.
O, madame, ce travail ! La guerre du Pacifique, version revue et corrigée ! Une explosion épouvantable ! Une gerbe de feu ! Une grêle d’éclats ! Une colonne de fumée ! Nous sommes sourdingues. Nous sommes secoués par le souffle ! Nous sommes meurtris ! Nous sommes en sang !
En sang et peut-être aussi en mille, non ?
Non ! Entiers ! Pressés l’un contre l’autre. Antigone est blême. La surprise (en anglais : surprise, merci, Berlitz vous l’offre !). La surprise qui fait qu’un accident n’a pas le temps de faire peur. Cette balle bidon était une charmante petite grenade.
— Vous êtes blessée, petite fille ? je demande à la môme Okapis.
Elle me regarde de ses grands yeux de tapis-la-jolie (comme dit également le Gros). Elle ne semble pas avoir pigé ma question. Moi, vous me connaissez… Les gerces et les mouflets d’abord. J’aurais dû être capitaine de naufrage, dans le fond. Pour ce qui est de la chaloupée et de l’organisation S.O.S., je ne crains personne, mon autorité fait loi.
Comme elle est incapable d’en bonnir une broque, je fais son petit inventaire de fin d’année. Elle a une entaille au bras, une autre au mollet plus une éraflure au front. Je mate sa jupe et sa chemise : pas de perforations sournoises, tout est O.K. On va s’en tirer avec du mercurochrome. Du moins j’espère qu’il en est de même pour le dévoué San-A. Rapide inspection de l’athlète. J’ai pris un éclat à la hanche et un autre dans le gras de la main gauche. La petite aurait jeté la balle à nos pieds, on aurait eu de chouettes orifices dans l’abdomen. Moi je risquais, avant de canner, d’apercevoir mes bijoux de famille dans le filet ! Une navrance horrible pour les pauvres dames dont le cœur est lourd et la vertu légère.
Et imaginez un chouïa ce qui se serait passé si je n’avais pas eu le prodigieux réflexe de ne pas cogner la balle en constatant qu’elle ne pesait pas son taf homologué. Ce que c’est que d’avoir une balance romaine au bout des doigts, hein ! Sans ce don de Dieu, c’est le fils unique de Félicie qui allait être bon comme la romaine !
La déflagration a attiré la populace et ça radine coudes au corps dans le stadium (Faut les voir, les encouronnés, les blasonnés, les titrés, les gradés, les réputés, les fortunés dans le déboulé anxieux. C’est l’ambassadeur japonais qui franchit le premier la ligne d’arrivée, le père Yapa Lmétro Akyoto possède une foulée jazyenne. Il glapit comme un rat qui s’est fait coincer la queue dans l’engrenage d’un moulin à caoua !
— Miss Okapis ! Miss Okapis, qu’elle s’égosille, l’Excellence !
Et de presser frénétiquement dans ses bras de mauviette la môme Antigone qui se trouve ainsi entachée d’embrassades.
Je tapote l’épaule de celui-ci.
— Remettez-vous, Excellence, je lui dis, c’est pas télévisé.
La vice-reine du Ténia, Aloha Kélébatouze éclate en sanglots, c’est nerveux : on peut être vice-reine et n’en être pas moins femme, après tout. La Cavale pousse un contre-si qui fait tomber douze poires-avocats inscrites au barreau. La confusion, la contusion, le désordre règnent.
Le court de tennis ressemble à la Bourse. Il est plein de gens qui vitupèrent et gesticulent. On nous demande des explications, je les donne. Gloria Victis fait une arrivée tardive et remarquée. En me voyant ensanglanté, elle joue les moulins à vent et annonce qu’elle va s’évanouir. Personne ne lui prêtant assistance, elle décide de remettre ça à une date ultérieure. Des larbins qu’on presse s’empressent d’amener des compresses. Le médecin privé d’Okapis radine. Il nous désinfecte, nous cautérise, nous panse, nous sparadise. On ressemble vite fait à un dessin de Dubout.
— Mesdames et messieurs, fais-je, oubliant dans la frénésie du moment de leur encaustiquer le blason à coups de Sa Majesté, de Votre Altesse et autres termes triés sur l’arbre généalogique, mesdames et messieurs, il se pourrait que d’autres balles de tennis fussent piégées ; en conséquence nous vous serions reconnaissants de sortir du court en bon ordre et avec précaution.