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C’est magique. Cours-moi après, Totor ! Y a pas de trône qui tienne. L’honorable société met les adjas et je me retrouve en compagnie d’Okapis, d’Antigone et du docteur. Digne homme, ce toubib. Bonne situation, faut dire. Il doit palper une tuile par mois pour administrer de l’aspirine vitaminée aux migraineux de la maison et pour coller des bandes adhésives sur les brûlures.

— C’est un attentat ! qu’il fait, car, outre ses diplômes, il possède un esprit de déduction surmultiplié.

— C’en est un, que je réponds.

Antigone hocha sa jolie tête aux traits crispés par l’émotion.

— Je n’ai pas encore compris, avoue-t-elle.

— Voyons, réfléchis-je tout haut, toutes les balles du court avaient servi depuis le temps que vous jouez. Si encore j’avais ramassé la balle piégée dans un coin, mais non, elle se trouvait à mes pieds. J’en conclus donc qu’une main criminelle l’a déposée là.

La gente Antigone soupire.

— Mais personne n’a pénétré sur le court pendant notre premier set, voyons !

— Conclusion, on a fait rouler la balle par-dessous le grillage.

Je les quitte pour aller mater le bas de l’enclos métallique. J’en fais le tour, lentement et, tout à coup, mes tifs se mettent debout sur mon dôme comme des élèves à l’entrée de m’sieur l’inspecteur. Je viens d’apercevoir, gisant sur le gazon, le pauvre Équateur Sali. Il se trouvait près de l’endroit où Antigone lança la balle et il a morflé la grosse portion. Sa chemise est rouge de sang. Et il a une joue complètement ouverte.

— Docteur ! appelé-je, j’ai un client sérieux pour vous !

Je lui montre le peintre et l’homme de l’art fait une épouvantable grimace. Il sort du court en courant comme un dératé qui a des ratés. Le pauvre armateur fait sombre mine. Elle tourne au désastre, sa crémaillère à grand spectacle. Pour comble de malheur, les envoyés spéciaux qui devaient se piquer la ruche dans un coin frais rappliquent avec leur matériel photomatonesque.

— Messieurs, messieurs, je vous en prie, qu’il les implore, Okapis.

Mais autant essayer de persuader un taureau honorant une vachette qu’il ferait mieux d’aller s’acheter les œuvres complètes de Daniel Rops ! Ça mitraille à tout va. Et clic ! Et clac ! Et encore une ! Et je te la redouble sous un autre angle !

Pendant que ces braves garçons font leur boulot, moi, je fais le mien, c’est-à-dire que je continue d’explorer le bas du grillage.

Un qui prétendrait que le commissaire San-Antonio n’est pas le flic le plus futé d’Europe mériterait douze mille paires de tartes, dont la dernière à la crème afin de cautériser ses blessures. Il a vu juste, une fois de plus, le génial San-A. (Mais c’est moi, au fait ?)

Avec des cisailles, on a découpé une minuscule ouverture au ras du sol. Et je pige pourquoi on a pratiqué cette minuscule brèche à cet endroit-là précisément : c’est parce qu’il y a un massif de Strogonoff-Pigmentés[4] contre le grillage. Un type s’y tenait tapi (comme on dit en Orient) et, lorsqu’il l’a jugé bon, il a fait rouler doucement la balle piégée sur le court. Conclusion, c’est vraisemblablement le gars moi-même qui était visé. Voilà qui me chiffonne un brin. Ça ne me chiffonne certes pas parce que j’ai les flubes, vous me connaissez suffisamment pour savoir que le gars qui me guérira le hoquet en me faisant « hou ! » dans le dos n’est pas encore né, ou au contraire qu’il est encorné. Seulement je me dis que si on s’attaque à moi, c’est parce qu’on connaît ma profession et qu’on s’imagine des choses. Et si on s’imagine des choses c’est parce qu’il se mijote des trucs pas très catholiques dans l’île du Konkipok.

Je vais fureter dans le massif. Effectivement, les tiges brisées attestent du séjour ici d’un individu. Je renifle. Je crois vous l’avoir signalé en maintes occasions, j’ai le sens olfactif aussi développé que l’intelligence. Or mes narines exercées captent un parfum bizarre. Il ne s’agit pas de l’odeur de Strogonoff-Pigmenté, non ; cette plante dégage une odeur fade assez semblable à celle du Karabinier-Dofenbach. Le parfum que je renifle est celui d’une femme. D’ailleurs, en investiguant d’un peu plus près, je découvre quelques fils de soie bis accrochés au grillage cisaillé. Je les recueille précieusement et les range dans une pochette d’allumettes.

— Vous avez trouvé quelque chose d’intéressant ? me demande Okapis.

— Ça se pourrait, rétorqué-je, sans me mouiller.

Je désigne le groupe penché sur Équateur Sali.

— Comment va le Maître ?

— Il est très mal. Je vais le faire diriger par avion sur l’hôpital de Quito.

— Et vous prévenez les autorités ?

— Naturellement, je vais envoyer un câble à la police de San Cristobal. Je suis désespéré, mon cher, fait-il d’une voix sincère. Quelqu’un cherche à me déconsidérer aux yeux du monde en créant chez moi un immense scandale.

Ça m’en a tout l’air.

— Il faut découvrir l’agresseur, reprend Okapis.

J’ai l’impression qu’il n’a pas balancé cette dernière phrase dans le vague mais qu’il s’agit d’une supplique adressée à ma personne.

Je le regarde. Il me regarde. On se sourit brusquement, malgré la gravité des circonstances.

— Si on allait discuter à bâtons rompus dans un endroit tranquille ? suggéré-je.

— J’allais vous le proposer, riposte l’armateur.

Je réprime une grimace car ma blessure à la hanche me fait mal. Ça me gêne un peu pour marcher.

Je regarde Antigone qui vient à moi en boitillant. Elle a repris ses merveilleuses couleurs. C’est de la souris d’élite. Le gars qui se la coltinera chez m’sieur le maire aura droit, non seulement à une centaine de pétroliers à titre de prime, mais à une existence captivante.

— Ça va ? je questionne puérilement.

— Je crois que oui.

CHAPITRE VII

Moi, vous me connaissez… Je sais être sérieux dans les cas d’exception.

Voilà pourquoi le San-Antonio qui s’assied dans le burlingue d’Okapis n’est pas le San-Antonio vermotesque que vous appréciez. J’ai mis ma figure des grands jours, agréée par la Préfecture de Police : front soucieux à double ride transversale, bouche hermétique, nez pincé, œil froid, geste mesuré, maintien rigide.

— Vous appartenez à la police française, n’est-ce pas ? m’attaque l’armateur.

— C’est Gloria Victis qui vous l’a dit ?

— Non, mais je sais qu’un policier français devait participer à cette croisière.

Je fronce les sourcils, ce qui ajoute une troisième ride soucieuse à mon front. À vrai dire, cette troisième ride n’est pas soucieuse, mais étonnée, un tasterides diplômé de l’État saisirait immédiatement le distinguo.

— Comment le savez-vous, monsieur Okapis ?

— Mon cher, disons que c’est un secret.

Au ton, je pige qu’il n’y a pas à y revenir. Nous serions en France, j’userais de certains arguments pour insister efficacement, mais après tout, ces événements se déroulent sous un pavillon qui n’est pas le mien.

C’est pourquoi je laisse flotter les brides du soutien-gorge.

— Nous sommes sur un îlot, reprend mon hôte. Personne ne l’a quitté depuis l’agression de tout à l’heure, par conséquent…

— Par conséquent, monsieur Okapis, vous estimez que le criminel est parmi nous et vous me demandez de le démasquer ?

— Exactement.

Il se dresse, autant que le lui permet sa petite taille.

— Dix mille dollars si vous y parvenez aujourd’hui même, mon cher.

Ma parole, mais si ça continue, je vais faire fortune dans cette aventure rocambolesque, moi ! Dix mille dollars, ça fait cinq briques anciennes, ça. En rentrant, je vais pouvoir offrir un vison à Félicie !

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4

Plante polyvalente et herborigène dont la fleur rouge est de la taille d’un parapluie de dame et dont les feuilles servent à confectionner des pirogues.