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Ils ne savent pas qu’ils sont en minorité, maintenant ; ou s’ils le savent, ça les énerve davantage. L’avenir est à l’Oubangui, aux Chinetoques et peut-être aussi aux Pygmées. Un Pygmée, quand il a troqué sa lance de bambou contre une mitraillette, ça doit faire un bath fantassin, non ? Le fantassin passe-partout, celui qui vous arrive dans le dossard parce qu’il s’est planqué sous les poireaux du jardin et qui vous défouraille dans les omoplates en criant « Poisson d’avril ».

Pendant quelques minutes, le secteur bérurien reste calme car Sa Majesté tortore le fromage. Son éclat a été oublié. Mais voici qu’on amène un soufflé aux bananes. Pour une belle pièce, c’est une belle pièce ! On dirait un champignon atomique solidifié.

Et c’est délicieux, j’ai demandé la recette au cuisinier d’Okapis, un Irlandais nommé O’Liver et comme il a bien voulu me la communiquer, je vous l’offre, mesdames, à titre gracieux. Pour quatre personnes, vous prenez un régime de bananes, vous jetez le régime mais vous gardez les bananes, vous les épluchez et faites bouillir la peau dans de l’alcool de menthe. Ensuite de quoi vous pilez les fruits avec du poivre de Cayenne et un roman de Claude Farrère (si vous pouvez trouver une édition originale, ça n’en est que meilleur). Lorsque vous avez obtenu une pulpe fluide, vous filtrez afin d’évacuer les points d’exclamation et les fautes d’impression, puis vous mettez dans un moule de forte dimension. Vous arrosez le tout d’essence et vous mettez le feu. Si la cuisinière n’explose pas, vous obtenez un dessert succulent dont vos invités vous sauront gré. Vu ? O.K., je poursuis.

À peine avons-nous attaqué le fameux soufflé que le Gravos interpelle l’armateur.

— Dites donc, m’sieur Okapis, glapit-il, vous pourriez pas faire la morale à votre barman qui me fait tricard de champagne ? Il m’a versé une petite coupe de misère et j’ai beau y faire des signes discrets, il renaude pour venir au rabe, c’tordu !

La voix glapissante, aigrelette et pointillée du père Prouvette retentit :

— Cher Mahousse, je pense qu’au contraire vous devriez vous arrêter de boire, vous savez bien que vous ne supportez pas l’alcool !

Il est dans ses petits escarpins, le membre (non viril apparemment) de l’institut.

Le front de Béru violit.

— C’est le bouquet ! barrit mon camarade. V’là le professeur Nimbus qui joue les rosières ! Je supporte pas l’alcool ! Non mais, dis, pépère, t’as la matière grise en vacances, ou quoi ? C’est toi qui la supportes pas, l’alcool, vu que tu t’es évadé de ton bocal à fœtus !

Un silence glacé accueille ces robustes paroles. Et puis, tout à coup, un rire formidable secoue la tablée. C’est la reine Mélanie de Brabance qui démarre, suivie de Ted Deulards et de Herr Hoplann. Ça monte comme le bruit de la mer et ça les casse en deux. Rien de plus communicatif ! Les ceuss qui ne causent pas français rient de confiance. Une vraie épidémie de rifouille, les gars.

Le Mastar ne se sent plus.

Se tournant vers la grand-mère de Pédal, il murmure :

— Dites, Mémé, vous verriez-t-il une objection à ce que j’ôtasse ma ceinture ?

La vioque qui est hors-circuit fait non de la tête. Du coup, Béru se dresse et lance à la société :

— Excusez-moi si je vous demande pardon, mes rois et mes reines, mais je supporte pas d’être comprimé.

Il ouvre sa veste, défait sa chemise et nous découvre une ceinture élastique large de quatre-vingts centimètres.

— Je vous présente l’engin à gommer les durillons de comptoir, fait le Gravos. D’accord, ça donne la ligne papillon, mais pour tortorer, vaut mieux s’abstiendre. Depuis le début du commencement de ce gueuleton, j’ai l’estom’ comme un fourreau de pébroque ! Jamais je pourrai arriver au bout du soufflé si j’accorde pas un peu de vacances à ma boîte à ragoût.

Et il commence à dégrafer la ceinture. À mesure que les pressions sont séparées, le gros bide velu et constellé de cicatrices du Gros s’épanouit. Il exerce une pression de plus en plus forte sur la ceinture, si bien que le dernier bouton pète avant qu’on ne s’occupe de lui et va frapper le monocle du général Von Koklusch. Bris de vitre ! Le lampion hagard du vieux militaire ressemble à celui d’un hibou qui recevrait le faisceau d’un projecteur de D.C.A. dans le bec. Béru s’excuse.

— Autant pour moi, général, mais ça vous donne un petit aperçu de ce qui arrivait à vos troupiers pendant nos joyeuses chicornes. Natürlich, comme on dit chez vous, dans vos casemates à air conditionné vous pouviez pas vous rendre compte.

Il arrache sa ceinture, la pose sur le dossier de sa chaise et déclare :

— Ouf, j’ai l’impression que je suis chez moi, tout d’un coup !

CHAPITRE VIII

Moi, vous me connaissez… J’ai toujours eu une certaine emprise sur le Mastar. C’est pourquoi, soucieux de limiter le scandale, je braque mes Wonder dans les siens.

J’ai la manière de lui exprimer mon sentiment. Bien qu’il soit rond comme un boulon, il se décide à la boucler. Heureusement, le repas se termine et tout le populo passe dans le salon 8 bis, le plus grand. Depuis un bout de moment, je dois vous annoncer que mes actions viennent d’être cotées en Bourse. Non seulement la séance discrète de rentre-dedans-en-faisant-le-grand-tour que j’ai entreprise sur Antigone a l’air de porter ses beaux fruits juteux, mais je me suis aperçu que j’avais un ticket avec sa belledoche, la très belle Eczéma. J’ai fait cette découverte fortuitement. Comme je portais mes prunelles dans sa direction, j’ai surpris son ardent regard braqué sur ma personne. Et ce regard, croyez-moi, en disait long comme le Boléro de Ravel sur l’intérêt que j’éveillais en elle.

Me voilà donc à la tête d’un cheptel intéressant.

En entrant dans le grand salon, je fais la grimace. La première chose que j’aperçois, c’est un piano à queue. Rien de plus traître que cet instrument lorsqu’on villégiature avec une cantatrice. Vous remarquerez qu’il se trouve toujours dans l’assistance un locdu pour réclamer une chanson de la dame. C’est comme chez les amis qui reviennent d’une croisière aux Canaries. Faut toujours qu’un futé leur demande de projeter les diapositives célébrant cet événement. On est obligé de digérer son homard Thermidor en matant Ténériffe et ses palaces. Moi, j’ai envie de hurler à la mort dans ces cas-là. Et c’est toujours assorti d’un commentaire pertinent du maître de maison qui se prend pour Zitrone, tout d’un coup, derrière le faisceau de sa loupiote.

« Ça, c’est Germaine qui sort de sa cabine ; tu te rappelles, Germaine, le garçon de bain, cette gueule qu’il avait ? D’ailleurs, vous allez le voir. Ça c’est un gros plan de coquillage ; il est beau, non ? »

Et vous v’là obligé de gueuler en réprimant des rots que c’est féerique et tout et qu’on ne pouvait en effet pas clamser avant d’avoir vu un coquillage pareil.

Pendant qu’on touille son caoua, ça ne rate pas. Voilà ce tordu d’Herr Hoplann qui fait des huit avec sa jambe devant la Cavale et qui implore :

— Notre grande artiste va nous chanter quelque chose, j’espère !

Je te l’emplâtrerais, le constructeur d’avions, avec un certain plaisir. De quoi je me mêle ! Il devrait y avoir des salons « Non chanteurs », comme il y a des compartiments « Non fumeurs ». Au début, j’ai de l’espoir, car la Cavale fait sa chochotte comme quoi après un aussi bon repas, son contre-ut ne passe plus. Je veux bien la croire, elle a jaffé comme une benne à ordures, la gravosse !

Je m’approche d’Antigone et je lui gazouille :