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— Vous connaissez l’arrière-pays ? je susurre.

— Non.

— Je susurre qu’il vous plaira, jeu-de-moté-je. Les collines, le romarin… C’est tout Daudet, mon petit !

Et j’emprunte une petite route sinueuse qui, précisément sinue à flanc de coteau. Nous nous hissons rapidement au-dessus du niveau de la mer afin d’admirer celle-ci de plus haut. On attaque les bois de pins-parasols. L’odeur change, la qualité de l’air itou.

— C’est magnifique, me gazouille la Ricaine en frottant son fond de teint contre mon épaule.

Je me dis que, si je trouve une petite clairière dans la forêt pin-parasolaire, je pourrai faire visiter à Gloria mon hall-exposition, histoire de la mettre en train.

Comme je musarde dans les méandres de la route, une bagnole nous double à toute allure. Je n’ai que le temps de serrer ma droite pour éviter d’être raboté.

— Il y a des dingues à toute heure, philosophé-je.

Ça la fait marrer, Gloria. Aux States, ils en ont vu d’autres, faites-moi confiance. Là-bas, c’est monnaie courante, les siphonnés.

Je poursuis mon petit bonhomme de Michelin et soudain, une borne plus loin, alors que nous sommes en pleine forêt, j’aperçois la tire qui nous a doublés au travers de la route, une roue dans le fossé. La portière est ouverte, côté passager, et l’un des occupants est à demi éjecté du véhicule. Il a la joue sur le goudron, ses jambes étant encore sous le tableau de bord. C’est impressionnant de mater un pareil spectacle dans la lumière de ses Marchal.

Je freine tandis que Gloria pousse un cri pareil à celui de mes patins.

— Un accident ! balbutie-t-elle.

— Yes, réponds-je étourdiment, c’est la bagnole qui vient de nous doubler. Rien d’étonnant, à l’allure où elle bombait.

Je saute de ma calèche et je fonce vers l’auto accidentée. C’est une voiture amerlock décapotable et décapotée.

Je me penche sur le blessé. À cet instant précis, une voix murmure avec un accent étranger qui n’a rien de français :

— Moi, à ta place, je mettrais les mains sur ma tête !

Je me retourne pour découvrir derrière moi un grand gaillard en bras de chemise blanche, coiffé d’un chapeau de paille noire. Il a un solide argument à faire valoir en la personne d’une mitraillette.

Rien qu’à la façon dont il la tient, on sent que ça n’est pas un amateur et qu’il peut user de cet engin sans avoir à potasser le mode d’emploi.

Comme par enchantement, l’homme inanimé fait un gentil rétablissement et se met sur ses deux cannes.

— Et alors, Lazare, ça va mieux ? ironisé-je (car, vous le savez, dans les pires circonstances, je sais conserver intact ce délicat humour auquel l’almanach Vermot doit tant).

Au lieu de me répondre, le gars dont au sujet duquel je vous cause, dégaine une rapière conséquente et se dirige vers ma tire.

— Tes bras ! me répète mon antagoniste en ponctuant d’un coup de mitraillette dans la guêpière.

Je croise mes mains sur ma belle tronche d’intellectuel afin de lui faire plaisir, car Félicie, ma brave femme de mère, m’a toujours appris qu’on ne devait jamais contrarier ses contemporains.

Je mate à la sournoise en direction de ma brouette. Le faux blessé est en train d’ouvrir la portière à Gloria. En anglais, il lui ordonne de descendre et elle obéit. Lorsque le monsieur qui vous donne des ordres tient dans la main droite un 11 mm, il peut vous adresser la parole dans n’importe quelle langue, vous lui obéissez instinctivement.

Avant de s’éloigner de ma chignole, cet enviandé sort un couteau de sa poche et larde copieusement un de mes pneus avant.

Charmante soirée, non ? On est là, peinard, à faire du gringue à une souris yankee pour tenter de redorer le prestige français, et voilà messieurs les gangsters qui viennent foutre la chtouille dans le chantier !

À notre époque troublée, on ne peut plus flirter tranquillement, quoi ! Faut se rendre à l’évidence en passant par les durs chemins de la désillusion.

Le gnace qui est allé récupérer Gloria la fait monter dans sa propre charrette. Puis celui qui me tient à l’œil m’ordonne de m’agenouiller dans le fossé.

Ce qui va suivre, je peux vous le décrire en long et en large, et même vous le peindre à l’aquarelle pour que ça fasse plus délicat.

L’homme à la seringue va me filer un bon coup de crosse sur la boîte à phosphore afin de m’endormir. Puis ils se barreront avec la môme Gloria. Je sais qu’ils ne me flingueront pas à cause d’un détail : le pneu crevé. Si c’était ma peau qu’ils voulaient trouer, ils n’auraient pas perforé mon boudin. C.Q.F.D. !

Néanmoins, la perspective de morfler un coup de goumi ne m’enchante pas. Après ces incidents, on se ruine en aspirine. Sans compter que ce mastar ne doit pas pleurer l’huile de coude ! Pour peu qu’il en remette, ma théière peut fort bien voler en éclats. Je ne suis pas chaud pour éternuer ma cervelle dans les aiguilles de pin, moi.

— Tu as entendu, qu’il me répète, le méchant au bitos de paille : « à genoux ! »

— Ça m’ennuie à cause de mon beau pantalon blanc, expliqué-je.

— Si tu ne te mets pas à genoux, tu seras ennuyé à cause de ta belle chemise blanche parce qu’elle aura plein de trous ! me riposte l’intellectuel à la Thomson.

Le moyen de rouscailler ?

Je m’apprête donc à obtempérer lorsque mon ange gardien, qui avait la permission de minuit, regagne opportunément sa base. Le bruit d’un moteur retentit, et des phares balaient la route.

Le gars pousse un juron et lève sa mitraillette comme une hache. Mais il est ébloui par la lumière des calbombes. C’est pourquoi le vaillant San-Antonio lui file un coup de tatane dans le bide.

Je transforme cet essai d’un coup de boule dans l’écrin à dominos. M. le mitrailleur lâche sa pétoire et saute dans l’auto que son pote commence à manœuvrer.

Le gars Mézigue bondit. Déjà l’auto fait de l’escalade contre le talus pour pouvoir reprendre la route.

— Gloria ! Vite ! bramé-je.

C’est pas une beauté, cette nana, mais pour l’esprit de décision, on peut lui voter une mention.

Elle est déjà debout sur la banquette arrière. Le mec que je viens de chicorner essaie de la cramponner par les flûtes, mais la môme plonge en avant, et je la reçois dans mes bras. Nous tombons à la renverse sur l’asphalte. Les agresseurs foncent dans la nuit. Tout cela s’est déroulé en une vingtaine de secondes.

— Pas trop de bobo ? je questionne.

Elle est un peu contusionnée, Gloria, mais vaillante.

— Non, ça va. Thank you véry mutch.

— Qu’est-ce que c’est que ce circus ? demande une voix.

J’avise un gros mastar en tricot de corps, plus velu qu’un gorille. Il a une gâpette de camionneur à la visière relevée et un bide de curé de campagne.

Sa camionnette halète à quelques mètres de nous.

— Une agression, fais-je. Des gangsters ont essayé d’enlever mademoiselle.

Le costaud a un regard sans enthousiasme excessif pour miss Victis.

— Quelle idée ! fit-il.

— Vous êtes vraiment tombé à point nommé, remercié-je. Sans vous, la situation tournait au vinaigre.

— Besoin de quéque chose ? s’enquiert ce gentleman au Rasurel.

— Ils m’ont crevé un pneu, si vous pouviez m’aider à mettre la roue de secours…

Il m’aide. Je veux lui choquer cinq mille balles mais il me demande pour qui je le prends, car il a sa dignité.

Une plombe plus tard, nous voici à l’hôtel de la gosse, à Cannes.

— Vous montez boire un verre ? propose-t-elle.

C’est pas de refus, après ces émotions nocturnes.