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Je lui raconte ma découverte du matin et le voilà qui pousse une exclamation.

— À propos, ce que je voulais te causer…

— Oui ?

— Y a un instant, quand j’ai opéré mon valdingue dans le potage, j’ai aperçu des trucs bizarres au fond de l’eau.

— Quels trucs bizarres, Gros ? me passionné-je.

— On aurait dit des coffres.

— Des coffres ?

— Brèfle, des caisses en fer, si tu aimes mieux.

Il pointe le doigt vers les profondeurs.

— Là, tout contre la jetée.

Je m’agenouille pour mater. Mais l’eau qui paraît transparente et lumineuse, à partir d’une certaine profondeur devient opaque. J’ai idée qu’une nouvelle partie de pêche sous-marine s’impose. Je décide de l’entreprendre en fin d’après-midi, après ma visite à la ravissante Eczéma Okapis.

Chaque chose en son temps, non ?

— Écoute, Gros, décidé-je, tu vas fouinasser un peu partout. Ne t’inquiète pas du savant, ça n’est pas à lui que les ennemis mystérieux en ont. Mate un peu le comportement des uns et des autres. Si quelque chose cloche, tu me préviens discrètement.

Je lui vrille mon index dans le nombril.

— Et si tu as le malheur de te filer une nouvelle peinture au dîner, tu auras affaire à moi !

Il baisse la tête et, pour faire diversion, comme il n’a pas son pantalon et par conséquent pas de poches, donc pas de mouchoir, il se mouche énergiquement dans ses doigts.

CHAPITRE IX

Moi, vous me connaissez… Quand une dame me file la ranque, je mets un point d’honneur à ne pas arriver en retard. Aussi dès que le premier coup de fusil inaugurant le tir aux pigeons a retenti, je me faufile dans le château d’Okapis jusqu’à l’appartement de la dadame. Je suis adulte, vacciné, blindé même, et pourtant, chaque fois que je me rends à un premier rendez-vous, j’ai le palpitant qui fait sa culture physique. Les hommes ont beau grandir, vieillir, ils demeurent toute leur vie des collégiens.

La porte d’Eczéma n’est pas fermée. Je toque brièvement, juste pour que la chose de la politesse soit sauve, et j’entre.

Je relourde avec le maximum de rapidité et de discrétion et je m’avance vers la chambre. L’appartement comprend une antichambre, une chambre, une salle de bains, un dressing-room et un petit boudoir. Comme toutes les portes sont béantes il m’est aisé de m’en rendre compte.

La piaule à dorme de madame est un écrin dont elle est le joyau, comme oseraient l’écrire certains de mes confrères qui veulent entrer à l’Académie autrement que par la porte servant à livrer le charbon. Elle est tendue entièrement de peau de Suède immaculée. Le lit est rond comme une piste de danse, surmonté d’un ciel en fil d’or. C’est beau, hein ? Vous aimez ? Ah ! ça n’a rien de commun avec la Trappe ! Le dialogue des Carmélites, c’est pas chez Okapis qu’il faut le jouer, le cadre s’y prête mal.

Comme dans les films américains des années 30, la belle Eczéma est à sa coiffeuse. Elle porte un déshabillé qui mérite bien son blaze ; tellement transparent, il est, qu’on a l’impression que la dame s’est fringuée uniquement avec la fumée de sa cigarette. Le cadre de son miroir est en or massif, naturellement, vous aviez rectifié de vous-mêmes. Elle se tourne vers moi en m’apercevant et me virgule un sourire d’accueil qui ferait fondre l’obélisque de la place de la Concorde.

— Vous êtes gentil d’être venu, murmure-t-elle comme si je venais d’accomplir un fait d’armes.

Elle a la voix basse et bien timbrée (sans surtaxe). Elle se lève, va à sa porte et tourne le verrou, geste que je n’avais pas osé me permettre.

— Monsieur San-Antonio, murmure-t-elle, mon mari m’a appris que vous étiez un grand policier français.

Je chique à la violette modeste ; peut-être même que je lui offre un petit chouïa de rougeur, manière de la flatter.

Paisible comme Baptiste, j’attends la suite.

— J’ai peur, monsieur San-Antonio, me lâche-t-elle tout de go.

Elle s’assied sur son lit circulaire comme un gruyère pas entamé. Ce qu’on mate à travers le déshabillé translucide filerait le vertige au vainqueur de Lanna Purna, la célèbre montagne qui a su s’élever à la force du poignet dans l’échelle sociale et la chaîne de l’Himalaya.

— Asseyez-vous, je vais vous raconter ça, murmure-t-elle. (Des yeux, je cherche un siège, j’avise un pouf, je vais pour m’en emparer, mais Eczéma secoue la tête.)

— Mettez-vous là, nous serons mieux pour bavarder.

Là, c’est le plumard. Je dépose une grosse partie de ma personne auprès de mon accueillante hôtesse. Dans les zabords, ça pétarade. Verdun, les gars ! J’ai jamais pigé pourquoi des messieurs s’acharnent à défourailler sur de la terre cuite alors qu’il y a tant de salauds sur cette terre !

Son parfum me chavire un brin. Elle se renverse à demi, se maintient sur un coude et murmure :

— Oui, j’ai très peur.

— De qui, chère madame ?

— De cette île, fait Eczéma Okapis en libérant un frisson qui rampe sur le couvre-lit et arrive jusqu’à mon derme dont il fait rapidement la conquête.

— Pour quelle raison ?

— C’est inexplicable. Mon mari s’est obstiné à jouer les magiciens, mais quand j’ai vu cet îlot avant le commencement des travaux j’ai senti ma gorge se nouer. Il me faisait penser à la mort. Je l’ai dit à Okapis, il en a ri. C’est un homme si fort !

Un silence. Son regard admirable est perdu dans les méandres d’un rêve.

— Mais rien de particulier, hormis ce sentiment, ne s’est manifesté ?

— À Athènes, j’ai l’habitude de consulter une voyante. Je dois vous sembler ridicule à vous, homme dont le métier est d’être positif, n’est-ce pas ?

— Une jolie femme n’est jamais ridicule, madame Okapis.

Elle a un soupir pareil à un râle.

— Oh ! comme ce que vous me dites est joli, comme c’est français !

Je me dis que j’ai un truc encore beaucoup plus français à lui déballer, mais j’attends ma minute.

— Pour en revenir à cette voyante, c’est une femme extraordinaire. Tout ce qui m’est arrivé ces dernières années, elle me l’avait prédit.

Je retiens un sourire. L’homme a le goût du merveilleux, du mystérieux, de l’au-delà tellement chevillé à l’âme qu’il cautionne automatiquement tous les traducteurs de marc de café, tous les déchiffreurs de lignes de la pogne, tous les astrologues, les devins, les horoscopistes, les doublevuistes ; tous les frémissants du bulbe, tous ceux qui ont comme qui dirait pour ainsi dire une table ronde au bout des doigts et qui possèdent, prétendent-ils, le sombre privilège de pouvoir discuter le bout de gras avec les esprits ! Tu parles qu’ils ont envie de tailler une bavette, les esprits ! Quand on a le vase d’avoir largué cette vacherie de planète, comment qu’on doit prendre son essor ! Moi, je vous l’annonce, mes petits gars : le jour où j’aurai lâché la rampe, vous pourrez toujours venir me titiller l’ectoplasme à coups de guéridon ! M… que je vous répondrai si vous avez le mauvais goût d’insister ! Comme, dans les cagoinces, le monsieur qui est aux prises avec sa constipation répond aux énergumènes qui le supplient de se manier la tripe ! Ce que j’ai à vous bonnir, c’est maintenant que je vous l’offre. Mais n’espérez pas m’entendre débloquer après la fermeture. Sacha Guitry disait de Mozart que, lorsqu’on avait fini de le jouer, le silence qui suivait était encore de lui. Le silence qui suivra San-Antonio, mes amis, ce ne sera que du silence en blanc, du silence à l’état brut, du silence dans lequel une autre voix aussi mal embouchée que la mienne s’élèvera peut-être pour clamer la misère du monde.