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Pendant cette vadrouille dans mon subconscient, la dame Okapis a poursuivi sa sérénade. Je refais surface.

— Excusez-moi, vous disiez, chère amie ?

— Que ma voyante m’a dit très exactement ceci : « Vous préparez un voyage là où la mer est verte. N’y allez pas, il arriverait de grands malheurs à votre famille ! »

— Bigre ! souris-je.

Elle me lance une œillade réprobatrice.

— Je savais que ça vous ferait hausser les épaules !

— Je n’ai pas haussé les épaules.

Eczéma posa sa douce main tiède et frémissante sur la mienne.

— Cette affreuse histoire de grenade, tout à l’heure, vous prouve que la voyante a vu juste !

Que répondre à cela ?

— Votre mari a des ennemis ?

Question stupide à laquelle elle fait une réponse pertinente :

— On ne devient pas l’un des hommes les plus riches du monde sans en avoir !

Elle refrissonne et répète :

— J’ai peur ! J’ai peur ! S’il n’y avait pas tous ces gens illustres chez moi, je partirais sur-le-champ !

Le moment est venu pour votre bien-aimé commissaire d’interpréter sa grande scène de l’acte II, dite scène du consolateur. C’est un régal que de réconforter une petite dame comme ça quand elle est dans l’ennui.

— Je ne veux pas que vous trembliez, Eczéma, soupiré-je, je suis là, je veillerai sur votre sécurité.

J’ai employé ma voix de basse-noble 54 bis, celle que j’utilise pendant les pannes de courant et dans les wagons-lits Cook ; autrement dit l’irrésistible, quoi. Les mots ne sont rien sans leur rampe de lancement. Ce qui compte c’est la façon de les susurrer. J’ai idée que mes cordes vocales sont bien accordées car elle a le souffle qui se précipite, la madame Okapis. Je me suis offert un coup de culot en l’appelant par son prénom, mais qui ne risque rien n’a rien ; or, moi je veux tout, c’est connu.

Ce qu’elle attend, ça se lit sur sa physionomie comme le score d’un match au tableau d’affichage : c’est l’encerclement bicepstique. La grosse infusion de muscles qu’il lui faut, à Eczéma ! Je me grouille de la cramponner par les épaules et je l’attire contre moi. Maintenant l’opération devient délicate. On bosse à cœur ouvert, le moindre faux mouvement peut avoir des conséquences désastreuses.

Un zig hardi, mais moins expérimenté que le San-Antonio bien-aimé, enchaînerait par le mimi mouillé ou la paluche exploratrice. Ce serait une erreur. Souvenez-vous toujours qu’une dame tient à son honorabilité, même s’il s’agit d’une femme du monde, et qu’en brusquant les opérations on risque de tout foutre par terre, sauf la dame évidemment.

Elle se dit, la personne en question, quand un zig la séduit au pas de charge, qu’il la prend pour une Marie-Couche-toi-là, et parfois elle ne peut pas tolérer. Le grand art, c’est de la conditionner respectueusement et de la laisser faire le plongeon. Pour ça, faut savoir attendre. Si Popaul est trop turbulent, pensez à la mort de cette pauvre Marie-Antoinette, décédée de si effroyable façon. Ou bien, si le guillotinage de l’Autrichienne ne vous calme pas, adressez une pensée aux petits Indous qui ont faim, ou à la mémoire de Jean XXIII qui fut un si bon pape. Au cas où vous n’obtiendriez pas encore le résultat escompté, ouvrez alors votre parachute de freinage.

Je la tiens serrée contre moi, sans faire le moindre geste inconvenant. Je joue les grands copains protecteurs. J’ai le côté « ne-tremblez-plus-petite-fille-si-le-méchant-loup-vient-rôder-par-ici-je-lui-filerai-un-coup-de-trique ».

Je compte jusqu’à vingt parce que c’est à cet âge-là que Voltaire est entré dans sa vingt et unième année ; puis je me risque à balbutier à son oreille, très bas afin de pouvoir lui instiller dans la trompe d’eustache mon souffle chaud comme le sirocco :

— Je ne permettrai jamais qu’une femme comme vous tremble, Eczéma. Jamais ! Tout mon être se révolte à cette pensée ! Ne sentez-vous pas comme il se révolte ?

Elle sent. Elle fait oui de la tête because elle a les rouages qui se prennent les pieds dans la courroie de transmission de son moulin à paroles.

La voilà qui frotte doucement sa joue contre la mienne. Et pendant ce temps, au-dehors, le tir aux plâtras continue. Je parie que le père Okapis gagne ! Je suis en train de lui fourbir sa bonne étoile, les gars.

Qu’est-ce que c’est qu’un chasseur, sinon une espèce de petit guerrier, hein ? Or y a rien de plus cocu qu’un guerrier. C’est une question d’équilibre. Le guerrier conquiert. Mais pour conquérir, nécessairement, faut sortir de chez soi. L’homme qui sort de chez lui est déjà un cocu en puissance.

Je la serre un tout petit peu plus fortement. Et je balbutie d’une voix qui se brise comme un biscuit sec sur lequel s’assiérait Bérurier :

— Je vis l’instant le plus merveilleux de mon existence, Eczéma. Plus rien n’existe que la chaleur de votre corps contre le mien.

Ça, ça figure à la page 24 du petit lexique illustré, distribué dans les facultés, et qui s’intitule « La Sexualité et la façon de s’en servir », par le professeur Durdu.

Elle a un petit râle, et ses lèvres avides se mettent à chercher à vide ma bouche, comme celles d’un veau cherche un pis à lait.

Elles ont de la chance puisqu’elles la trouvent. La jonction a lieu dans les deux secondes qui suivent. On assiste alors à un bref échange de vues, puis les troupes de réserve se regroupent. Au programme : « La guerre de l’étroit n’aura pas lieu », « Un si joli petit pelage », « La fièvre monte à El Pageot » et « La Chevauchée fantasque ».

Eczéma crie si fort sa joie de vivre que je suis obligé de réclamer un temps mort pour mettre un disque d’Halliday sur l’électrophone afin de couvrir sa voix. La pièce est insonorisée, heureusement, mais deux précautions valent mieux qu’une, hein ?

Une heure plus tard, elle a les yeux cernés jusqu’aux genoux, Eczéma et elle marche entre parenthèses, la pauvre chérie. C’est pas tous les jours que la pauvrette fait une partie de plumard avec le Stromboli !

Le Vésuve à petite dose, on le supporte, mais une irruption d’une plombe c’est pompéiesque, comme sensation ! Moi, en écoutant tirer les tireurs d’argile, je me dis que mon tableau de chasse est plutôt bath à côté du leur. Quelle est la sombre pomme qui a prétendu qu’avec deux chaises on s’asseyait par terre ? Avec deux chaises, on peut se coucher, au contraire, vous êtes bien d’accord ? Et avec trois chaises on accède presque au confort. Entre Gloria, Eczéma et Antigone, je suis paré pour le séjour à Konkipok. Sans compter que je pourrais à la rigueur faire des extras avec une des petites brunettes de Foscao Ier ! Donc, de ce côté-là tout va bien. Si des pignoufs se hâtent d’assurer leurs arrières, moi au contraire, j’assure mes avants, question de mœurs !

Une fois que la belle Eczéma est gavée de bonnes émotions fortes mais délicates, je drague dans sa carrée pour me trouver une boutanche reconstituante.

— Le frigidaire est sous la commode, me chuchote-t-elle, et pendant que vous y serez, servez-moi un verre de scotch.

J’écarte le juponnage froufroutant de la commode, découvrant encastrée dans le meuble, la porte d’un réfrigérateur. Et, en me baissant pour examiner le contenu de celui-ci, j’avise, gisant par terre sous la commode, une paire de gants. Ce sont des gants de soie pour le soir. Ils sont de couleur bise. L’un d’eux est troué et éraflé. Du coup, j’ai le gosier qui fait des 8, mes frères ! Un flic de la trempe de San-Antonio (je fais comme Charlot-les-grandes-étiquettes : je cause de moi à la troisième personne, ça pose) n’a pas besoin d’un microscope à turbine pour réaliser que les fils de soie prélevés après le grillage du tennis proviennent de ces gants.