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Il continuerait longtemps encore sur ce ton et ce sujet car, dès qu’il s’agit de sa baleine, vous le savez, Sa Majesté devient intarissable, mais je lui retire mon oreille pour inspecter les invités. Je note que la belle, l’incandescente Eczéma n’est pas encore descendue. J’admire le bel uniforme d’apparat en toile d’araignée de l’archiduc François-Joseph de Kronenbourg de Lux, la tenue du prince Sovetoa Vlalpouma toute en paille de riz brodée et celle du prince Konsör de fromagie. Des uniformes chamarras, dans une soirée en musique, c’est aussi nécessaire que des orgues à la grand-messe. M. Edgard Faible arbore sa cravate de commandeur de tournées générales, le général von Koklusch a sur la poitrine une plaque de blindage en forme d’étoile qui est la croix du mérite Humbompoin tandis que son compatriote Herr Hoplann porte en sautoir le grand cordon de Paul Hisse[9]. Foscao 1er a mis son pagne de cérémonie à carénage incorporé, sangle de sécurité et calbasse de protection. Bref, tout ce grand monde s’est surpassé.

Moi, qui ne véhicule aucune médaille, aucun cordon et pas le moindre bout de ruban, je me sens quasiment tout nu.

Je m’approche d’Okapis. Il est plus blanc que mon smok.

— Quel est le programme de la soirée ? lui demandé-je.

— On va me remettre quelques ordres étrangers, explique-t-il. Ensuite de quoi, pendant deux heures, nous danserons avant de procéder au feu d’artifice.

— Mme Okapis n’est point encore là ?

— Elle aime arriver la dernière, c’est une coquetterie de femme.

L’orchestre achève son morceau. On applaudit à la ronde. C’est sur ce fond de bravos qu’Eczéma apparaît. À côté d’elle, la plus fabuleuse des vedettes d’Hollywood ressemblerait à une exploreuse de poubelles. Eczéma est moulée dans une robe blanche, en soie surnaturelle tissée à la langue (c’est dur, déjà quand on veut faire avec la bouche un nœud à une queue de cerise, il faut s’évertuer pendant des heures !) Elle n’a qu’un bijou ; mais quel bijou ! La parure des Fouinozoff, c’est vous dire ! Trois rangs de pierres précieuses pour soutenir le célèbre « Balochard » le seul diamant du monde qui soit en bois véritable !

Des murmures admiratifs, flatteurs, jaloux, équivoques, tendancieux, contrits, dubitatifs, éloquents, escamotés, émerveillés, surpris, bouleversés, perfides, transportés, parcourent l’assistance sociable.

Elle a drôlement réparé les dégâts que je lui ai causés au cours de notre tête-à-tête à emboîtage automatique. Fraîche comme une rose, elle est, Eczéma !

Elle me virgule au passage un z'œil polisson, style : « C’était mieux qu’un concours de belote au café du Cadran et si tu n’as rien à foutre cette nuit, viens me trouver je te donnerai de quoi ! »

L’instant est grave. Voilà Son Altesse Machinchouettissime, la reine mère Mélanie qui s’avance, altière dans sa belle robe violette suramidonnée pour la faire tenir droite.

— Monsieur Okapis, dit-elle, en vertu des pouvoirs exceptionnels qui me sont conférés, je vous décore de la médaille du Héros Pétrifié de Zigomar-le-Consterné, pour services rendus au chef jardinier du palais[10].

Un domestique lui présente un coussin sur lequel repose la décoration décernée. Ça représente une cuillerée à soupe d’huile de foie de morue sur fond de baïonnettes, allégorie dont la signification profonde n’échappera je pense à personne.

Oubliant pour un bref moment ses soucis, Okapis fait une génuflexion devant la reine mère. Cette dernière veut épingler la décoration sur la poitrine de l’armateur, mais ça résiste. Elle réclame ses lunettes. On les lui passe, et elle peut enfin mener à bien sa délicate besogne. Le père Okapis pousse néanmoins un léger cri.

— Majesté, murmure-t-il, je m’excuse, mais vous m’avez épinglé la peau avec !

La vioque sourit avec sa bonté coutumière (son peuple ne l’a-t-il pas surnommée Mélanie la bonne à tout faire ?) et recommence l’opération.

C’est ensuite autour du prince Salim Tanksapeuh à élever notre hôte à la dignité de Grand Scarabée. La vice-reine Aloha lui décerne immédiatement après le ruban du Ténia-tronçonné, puis le prince Konsör de Fromagie lui remet au nom de la reine son épouse, la croix des Vaches Scandinaves. Le roi Farouche lui épingle le crachat étoilé du peuple Méprisant. Foscao le décore du Mérite National de la Banane et lord Loge-Parlente transmet de la part de la reine d’Angleterre une carte de réduction sur l’ensemble du réseau des chemins de fer britanniques. L’ambassadeur japonais cherche un peu de place sur la veste de smoking pour y fixer le Nâ-Bû-Ko-Do-No-Zor, décoration difficile à caser sur un complet de ville car elle mesure vingt centimètres de long sur quinze de large. N’en trouvant plus, il l’accroche au bouton du bas. Si bien que, lorsque le président Edgar Faible s’annonce pour décorer à son tour Okapis du Caulombé de Maideuzé, la décoration à la mode (se porte surtout avec le tweed, le Prince de Galles et le survêtement sportif), il est obligé de contourner l’armateur à deux reprises avant de se poser. Les emplacements non occupés ont été réservés par téléphone, et il ne reste de disponible que le dos, une manche et la braguette du pantalon. Le chef d’Edgar serait mécontent s’il trouvait son Ordre personnel aussi mal logé, c’est pourquoi le président Faible use d’une astuce bien française.

— Monsieur Okapis, dit-il, mon pays a tenu à vous honorer tout particulièrement en élevant à la dignité de Chevalier du Caulombé de Maideuzé madame Okapis !

Il fait un triomphe ! Tout le monde applaudit, sauf les décorateurs précédents qui l’ont dans le Laos, comme le fait si justement remarquer le prince Sovetoa Vlalpouma, lequel n’a pas encore promu Okapis grand Chancelier du Thé-des-Famines. Aussi cet astucieux Asiatique se grouille-t-il de cloquer son cordon à poulie au fils d’Okapis, le jeune Homère qui observait jusqu’alors un calme virgilien.

Edgar donne l’accolade à Eczéma. Il rayonne !

C’est l’Edgar d’Austerlitz[11]. La belle Mme Okapis en est émoustille. Elle a eu des tas de trucs sur le placard, déjà, mais jamais aucune médaille. Démarrer sa collection par une décoration française, c’est flatteur, non ?

Y a du remous côté des Illustres, c’est la vice-reine Aloha Kélébatouze qui pique une crise de jalousie. Elle voudrait le Caulombé de Maideuzé aussi pour mettre un petit tailleur de ville qui est presque du même ton. Le chef du protocole vient chuchoter à l’oreille d’Edgar. Heureusement, le président Faible ne s’embarque pas sans biscuits. C’est le genre d’homme qui ne roule jamais s’il n’a pas deux roues de secours dans sa malle arrière. En magicien qu’il est, il sort une seconde médaille de la boite à gants de son slip, défroisse le ruban en le lissant entre le pouce et l’index et, séance tenante, élève la vice-reine au grade sus-indiqué. Il a un bref instant d’embarras au moment de fixer la décoration sur la poitrine de la vice-souveraine, vu que le décolleté de cette dernière lui arrive au-dessous de la ligne de flottaison. Il veut l’accrocher à l’étroite bride de la robe, et c’est alors qu’une explosion se produit.

Il y a un début de panique dans l’assistance. Mais, renseignement pris, c’est le nichon gauche de la vice-reine qui vient d’exploser, car elle le gonflait au butane. Sa pression habituelle, m’a-t-on confié, était de 1,8 à l’avant et 1,9 à l’arrière. Béru s’approche de moi, les yeux brillants de larmes.

— C’est beau, non ? Toutes ces médailles, balbutie-t-il.

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9

Rappelons que Paul Hisse possédait de toutes petites mains, de là vient, nous assure le poète, le mot menotte. C’est lui qui, au cours d’une visite à la Tour Pointue, découvrit ce passage secret qu’on devait baptiser « passage à tabac » puisque beaucoup de visiteurs devaient par la suite y casser leur pipe.

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10

Okapis aurait fait parvenir à ce haut fonctionnaire brabançonnais de la graine de vermicelle, permettant ainsi à la nurse du petit prince héritier de faire à celui-ci les potages de pâtes que lui prescrivait le corps médical.

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11

Encore une fois, si vous n’aimez pas ce genre d’esprit, vous pouvez aller vous faire admettre chez les Grecs, je vous attends ici.