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L’heure de la mouche du Scotch a sonné.

Je traverse à son côté le grand hall désert où le portier de nuit prépare son tiercé du lendemain.

Ascenseur. Elle crèche au quatrième : une suite ultra-luxueuse avec eau chaude et balcon sur la mer.

Nous nous installons au salon. Gloria branche la radio et se laisse tomber dans un fauteuil. Elle met son visage dans ses deux mains et éclate en sanglots. La réaction qui se fait, dirait M’man. Je la laisse chialer un bon coup, vu que ça soulage. Rien de tel que les larmes pour vous décontracter. Les larmes, c’est comme les crevettes grises : plus elles sont salées, meilleures elles sont pour la santé !

Quand elle m’a virgulé ses trente centilitres d’émotion, je vais m’asseoir sur l’accoudoir de son fauteuil et je lui cajole le décolleté.

— Allons, allons, Gloria, murmuré-je, il faut réagir. On va porter plainte…

Elle hausse les épaules.

— À quoi bon, murmure la pauvre milliardaire. Ca fait la quatrième fois en moins de six mois qu’on cherche à m’enlever. Jusqu’ici, j’ai toujours eu la chance de m’en tirer, mais un jour ou l’autre, je sais bien que le sort me sera contraire…

— Que vous veulent-ils ? je demande avec une innocence un peu trop affectée.

— Oh ! rançonner papa, je suppose.

— Où est le whisky ?

Elle me désigne un meuble bas et je vais préparer deux drinks carabinés. Quand on a éclusé mes rations de travailleur de force, la vie prend un visage plus altier.

— Ces types devaient guetter notre départ, expliqué-je.

— Vous croyez ?

— Naturellement. Pas mal combiné, le coup du faux accident. Simple et efficace, quand on le pratique en pleine nuit sur une route secondaire.

Elle me tend son verre déjà vide.

— Un autre, please !

Elle tient le litre, Gloria, chapeau ! Un biberon comme celui qu’elle vient d’écluser endormirait un bébé de quarante-cinq ans !

— Il faut faire quelque chose, dis-je. C’est trop facile de se croiser les bras en décrétant que c’est la fatalité qui veut ça. Ces ouistitis doivent être pourchassés et arrêtés.

Ayant dit, comme je suis l’homme des décisions promptes, je vais décrocher le bavophone.

— Donnez-moi la Sûreté de Nice ! fais-je au préposé ahuri.

— Monsieur serait-il victime d’un vol ? bredouille le brancheur de fiches.

— Absolument pas.

Il n’insiste pas. Lorsque j’ai au bout du fil la voix hargneuse et aillée d’un poulaga de mauvaise plume (on ne saurait dire qu’un poulet est de mauvais poil !) je l’affranchis sur l’identité de son correspondant et je l’entends qui se fait une entorse en se mettant au garde-à-vous.

— Donnez des ordres pour qu’on recherche deux étrangers roulant à bord d’une Chevrolet décapotable bleue immatriculée dans la Seine. Je sais que sa plaque minéralogique se termine par P.B. 75. Les gars en question sont probablement américains. Très grands l’un et l’autre. L’un des deux est très large d’épaules et porte un chapeau de paille noire et une chemise blanche. L’autre est maigre. Il est vêtu d’un complet à rayures en tissu léger. Il a une chemise noire ou un polo noir. Ces deux hommes se trouvaient voilà trois quarts d’heure à une quinzaine de kilomètres de Saint-Raphaël, dans le massif de l’Esterel. Il est vraisemblable qu’ils ont regagné une grande ville de la Côte. Je suis au Méditerranée-Palace, à Cannes, chambre 444…

Je file un coup de périscope à miss Victis qui me regarde.

— J’y serai, fais-je, jusqu’à dix heures demain matin, tenez-moi au courant.

Je suis gonflé dans mon genre, non ? Comme séance de rentre-dedans, on ne peut faire mieux. Voilà que tout tranquillement je décide, sans consulter la gosse, de passer la noye avec elle.

Elle pourrait bien crier au charron ou m’envoyer chez Chprountz. Mais au lieu de ça, elle me refile son œillade à la pâte d’amande number one.

Je raccroche et je vais nous préparer un deuxième godet, tout aussi chargé que le précédent.

— Je préfère ne pas vous laisser seule cette nuit, dis-je d’un ton plein de fermeté.

— Je préfère aussi, qu’elle renchérit, la chérie !

CHAPITRE II

Moi, vous me connaissez… Je ne rechigne jamais pour vous raconter mes séances casanovesques parce que j’estime que si un auteur aussi distingué que moi fait des cachotteries à ses lecteurs, il vaut mieux qu’il change vite de métier et qu’il aille vendre des moules. Seulement, si je vous raconte avec planches en couleurs à l’appui que je fais cette nuit-là à miss Gloria Victis le Zèbre sans pyjama, la Queue de poisson algébrique, le Cerf-volant et le Cerf-pas-volant, ça risque de m’attirer des tracas judiciaires, comprenez-vous ?

Faut pas trop chahuter avec ces choses-là. Déjà bath que je sois traduit en plusieurs langues (y compris la langue fourrée princesse). Si, en supplément au programme on me traduit en correctionnelle pour attentat aux bonnes et aux nurses, alors là, mes fils, rien ne va plus. Sans compter que ça ferait jaser dans mon quartier. Le San-A., c’est un beau folklore tant qu’on ne lui cherche pas de noises, mais que les enrobés viennent me dénicher des morbachs dans l’Éminence et vous verriez cette brutale désaffection !

Je m’éveille assez tard, ayant eu une nuit tumultueuse. À mes côtés, Gloria en écrase divinement bien. Cette frangine a des dons au pucier, parole !

J’aime bien la manière dont elle griffe les draps de lit, ça dénote une nature d’élite, faite pour l’amour.

J’hésite à carillonner les esclaves pour le petit caoua matinal, crainte de la réveiller. Gloria, son standinge l’oblige à pioncer jusqu’à midi, nécessairement !

Les rupins ne peuvent pas se lever de bon matin — sauf pour la chasse à courre chez le baron de Montruc sinon ça jetterait des doutes sur l’authenticité de leur fortune. Les gensss pourraient penser qu’ils font équipe chez Renault pour améliorer les revenus chancelants.

J’en suis là de mon expectative lorsque le bigophone fait entendre son petit zonzon de luxe. Parce que je ne sais pas si vous l’avez remarqué, les gars, mais le confort, jusque dans le bruit qu’il se niche ! La sonnerie d’un téléphone de burlingue n’a rien à voir avec celle d’un téléphone de milliardaire. Il chuchote, le bignou du milliardaire. Il sonne à l’imparfait du sub, je vous le jure. Il cause à la troisième personne, dans les tons graves et cérémonieux.

J’attends un peu, biscotte, j’ai beau faire reluire la maîtresse de maison, après tout je ne suis pas chez moi ! Mais comme la maîtresse de maison a été la mienne dans le courant de la nuit et que c’est une occupation qui couperait les jambes à la femme tronc, elle reste dans les bras de l’orfèvre, Gloria. Je me décide donc à cramponner le combiné. Et je fais bien de me permettre cette privauté, vu que le coup de grelot me concerne.

La P.J. de Nice. Un inspecteur principal à l’accent corsico m’apprend qu’on a retrouvé la voiture des agresseurs. Elle se trouvait à deux kilomètres de l’endroit où nous avons été attaqués, dans un chemin creux. Natürlich, il s’agit d’une bagnole volée la veille à un industriel parisien.

Décidément, nos gangsters ne sont pas des enfants de chœur : ils avaient bien préparé leur coup puisqu’une seconde bagnole les attendait.

Le poulaga niçois me dit qu’on n’a pas retrouvé encore la trace des bandits. C’est signé pas de chance. M’est avis qu’on n’est pas prêt de leur mettre la main dessus !

Je dis merci et je raccroche. La môme, réveillée par cette conversation, s’étire languissamment et me refile un regard velouté.

— Bonjour, gazouille-t-elle.

Je lui offre le mimi du matin, celui qui n’arrête pas le pèlerin, mais qui au contraire l’incite au voyage. Elle trouve ça bon et en redemande. Comme je me suis réapprovisionné avant les vacances, je lui en redonne. Ce qui doit arriver arrive et on se dit bonjour à la façon cosaque.