Je la chope par les montants et la catapulte dans un fauteuil.
— Écoute, ma gosse, dis-je. Je vais jouer les extralucides, moi aussi. Et je te parie ta parure de diams contre une paire de tartes que je vais pulvériser ta fameuse voyante sur le plan du prémonitoire.
Je me racle le gosier, histoire de donner à ma voix ces inflexions langoureuses qui m’ont valu le premier prix d’écriture lorsque je fréquentais l’école primaire.
— Si tu ne t’affales pas, Eczéma, j’appelle ton bonhomme et je lui raconte tout.
Elle se décide enfin à moufter.
— Tout quoi ? qu’elle questionne hardiment.
La voilà qui se lève et qui se met à arpenter sa piaule. La grande nervouse ! Un cameraman de téloche ferait un gros plan de ses doigts qui s'entortillent pour traduire son agitation interne.
— Ton attentat du tennis ainsi que celui qui vient d’avoir lieu en bas !
— Mon attentat ! Mais, monsieur, vous perdez la tête !
C’est la meilleure, non ? Elle se croit au vieil Odéon des années 30, en train de jouer le troisième acte de « Mets pas le pied sur le savon tu te casserais la figure dans l’escalier ».
Elle est étourdissante de cynisme, cette beauté !
— Pas à moi, Eczéma, lui dis-je. Tu perds ton temps à nier. J’ai vu tes cartes et si je veux te foutre capot j’ai qu’un mot à dire à ton pauvre bonhomme de milliardaire, lequel est dans ses petits souliers.
Un rire qu’un romancier médiocre qualifierait de cristallin s’échappe de ses lèvres charnues (je fouille de plus en plus mon style, vous avez remarqué ?).
— Mais, ma parole, vous déraisonnez, mon cher !
Quand je vous le causais qu’on était en plein répertoire de l’époque « Vierge et Grande-Vioque ».
— Inutile de bluffer. Vous avez écorché votre gant au grillage du tennis en faisant rouler la balle, j’ai prélevé les fils et j’ai le gant déchiré ! N’importe quel expert vous confondrait avec de tels éléments.
Elle ricane.
— Et après ?
— Ce soir, le coup de la rose fluorescente, c’est une jolie idée, en effet. C’est vous qui distribuiez les roses, vous avez remis à votre beau-fils celle qui était lumineuse. Il ne vous restait plus alors qu’à le poignarder paisiblement dans le noir. Merveilleuse cible. Non seulement cette petite lueur vous désignait la victime mais elle vous indiquait en outre l’endroit où il fallait frapper puisque généralement on accroche ce genre de truc sur son cœur ! Bravo ! Vous avez des idées, Eczéma.
— Vos suppositions sont odieuses !
— Ah oui !
— Je vous somme de sortir !
— Si je quitte cette pièce, ce sera pour aller trouver Okapis afin de le mettre au courant de la situation !
— Mon mari ? Mais je vais le faire venir immédiatement, et nous verrons !
Elle va à sa table de chevet et presse un timbre.
— Vous allez lui répéter ce que vous venez de me dire, ricane-t-elle, et nous verrons comment il réagira.
Je me compose un petit sourire suffisant. Mais tout à fait entre vous, moi et Machin, je n’en mène pas plus large qu’un thermomètre dans l’exercice de ses fonctions ! Les maris, je les connais, vous pensez, depuis le temps que je pratique leurs épouses. Plus ils sont cornards, plus ils ont confiance ! Ils peuvent vous trouver couché à poil avec madame, si cette dernière certifie que vous avez tenté d’abuser d’elle, ils vous expulsent avec perte et fracas. C’est bath, du reste, la crédulité. C’est réconfortant ; dans certains cas, on se dit qu’il est pas si mauvais bougre que cela, l’homme, puisqu’il suffit du regard angélique de sa bergère pour lui faire avaler des couleuvres grosses comme ma cuisse ! D’ici que l’Okapis me consigne dans ma chambre en attendant le retour hypothétique de sa flotte, y a pas loin !
J’attends une minute trente secondes et on sonne. Eczéma débloque le système d’ouverture automatique. Voilà deux larbins qui entrent. Pas des mauviettes : des armoires bavaroises ! L’un et l’autre possèdent une tête de plus que moi. Je pige vite fait qu’il y a maldonne et que cette bougresse m’a enviandé de première. Elle leur dit quelque chose en grec. Je cause pas le grec, mais c’est pas la peine que j’aille m’acheter la méthode Assimil ! J’ai pigé tout de même. Les deux mastars s’avancent sur bibi. Que fait le San-Antonio bien-aimé dans ces cas-là ? Il dégaine son camarade tu-tues ! Seulement voilà, j’ai laissé mon artillerie dans ma chambre à pieuter, because un pétard de 11 mm dans un smoking en soie sauvage, ça se remarque autant qu’un curé à Courchevel. Alors que fait le San-Antonio intrépide dans ce second cas ? Il cramponne une chaise par un panard et il attend que ça se précise. C’est cette solution extrême que j’adopte.
— Dis donc, Eczéma, gouaillé-je, il s’est déguisé en gorille ton bonhomme, on dirait ?
Elle s’assied sur son lit, s’empare d’une lime à ongles, comme elle a vu faire dans les superproductions d’Hollywood et feint de se désintéresser de la situation.
Les deux chourineurs ont la technique. Au lieu de m’attaquer de front, ils se séparent. L’un d’eux décrit un arc de cercle pour me contourner, l’autre reste dans l’encadrement de la lourde. J’ai beau essayer de surveiller ces deux messieurs simultanément, étant donné que Félicie a omis de me doter de phares de recul, je suis dans l’obligation de décrire un recul itou afin de former la troisième pointe d’un triangle avec ces messieurs. La chaise est légère dans ma main. Je la ferai déguster au premier qui se présentera, mais y en aura pas pour deux. C’est l’inconvénient du Louis XVI !
Un court moment d’observation se déroule.
— Et alors ? je fais. On attend des nouvelles de la météo ou on s’envole de confiance ?
Mais je n’ai plus la moindre envie de me gondoler quand je vois le zig de la porte tirer des basques de son habit à la française une curieuse escopette. Ça ressemble aux vieilles trompes d’auto de jadis. Il y a un pavillon évasé, une grosse poire de caoutchouc avec en plus, une poignée, façon manche.
Je louche dessus.
— Tu donnes un récital, Bébé ? je lui demande.
Il a pas l’air d’entraver la noble langue de Molière. Il a un mot pour Eczéma et la dame sort sans un regard.
J’ai idée que ça va hallebarder ferme, les gars ! Je ne sais pas trop à quoi sert sa poire à lavement style la Voix de son Maître, mais j’ai idée que rien de très bon pour moi ne peut en sortir.
Je me tourne vers la porte-fenêtre. Hélas, le store métallique est à demi baissé à l’extérieur. D’autre part, la pièce étant insonorisée je suis repassé côté goualante. Faudrait peut-être pas trop tarder à me servir de la chaise, hein, qu’en dites-vous ? Lorsqu’on laisse passer la minute M, c’est l’heure H qu’on prend sur la théière !
Je lève la chaise. Le zig à la trompe avance la main. Je balance ma pauvre arme pitoyable. Sans trop y croire j’en conviens. L’autre a des réflexes de caméléon ! Sans décoller ses pieds du sol, il exécute une fulgurante esquive. Ma chaise va fracasser le miroir de la coiffeuse. Allons bon, me voilà avec sept ans de malheur sur le râble en supplément au programme, c’est le bouquet !
Le trompettiste ne peut retenir un sourire amusé. Il avance sur moi. Je me dis, in petto, afin de ne pas être entendu par les oreilles ennemies « Mon petit San-Antonio, tu t’es trouvé dans des maverdaviers beaucoup plus sévères. Ça s’est toujours terminé à ton avantage. Cet après-midi par exemple, la situation s’avérait autrement dramatique. Alors laisse parler ton instinct, il a l’éloquence naturelle ».
Bien senti, non ? Quand je m’exhorte ainsi, je ne peux pas me résister. J’obtiendrais tout de moi avec des arguments semblables.