Aussi, vous savez quoi t’est-ce que je fais ? Devinez ! Votre manque d’imagination m’ulcère. Eh bien, je fais mine de vouloir passer par-dessus le plumard d’Eczéma pour gagner la sortie. Mon vis-à-vis à l’escopette veut me barrer le chemin et fait un saut de côté. Du coup, je lui plonge dans les cannes, en une cabriole formide. Il a tous les vases, cet endoffé. Au lieu de culbuter, il parvient à rester droit et à me filer un coup de savate sur la nuque. Oh ! pardon ! Môssieur possède le coup de pédale de Poulidor ! Il m’offre une de ces voies lactées en état de marche qui ferait la joie d’un astronome. Je vois le parquet qui monte me rendre visite et qui me file une grosse tape sur le nez.
Maladroit comme une tortue à la renverse, je tente de me redresser. C’est alors que l’abominable larbin me file l’entonnoir de sa trompe en pleine bouille et se met à presser sur sa poire d’angoisse. Un liquide glacé m’asperge le visage. Je sens que tout chancelle. Je retombe à plat ventre. Je voudrais essayer quelque chose, mais c’est impossible. Inscrivez absent et tournez la page !
CHAPITRE XIV
Moi, vous me connaissez…
Je suis pas facile à neutraliser. Vous avez des zigs qui partent dans le sirop pour peu qu’on leur fasse « Hou ! » dans le dos. C’est pas le genre de San-A. Dès que j’ai pigé que le truc qu’on me souffle au nez est un narcotique puissant, je fais ce que je faisais naguère au fond de l’eau : je me retiens de respirer.
Mieux, j’expire doucement pour chasser les vapeurs nocives qui m’environnent. C’est reculer pour mieux sauter, penserez-vous ? Peut-être. Mais il faut toujours reculer ses échéances au maximum si l’on veut faire un bénéfice car la dévaluation est en marche et le temps travaille pour vous.
Ça tournique sous ma coiffe. Je vois douze pieds à mon tourmenteur, encore un et je suis preneur ! Les deux hommes discutent en grec. Et puis ils se taisent. Je perçois un claquement qui rappelle l’explosion d’un ballon rouge caressé par le bout incandescent d’une cigarette.
Un gros choc. Je prends un poids considérable sur le paletot et je réalise qu’il s’agit de la carcasse d’un des deux hommes. Ça m’oblige de prendre une grande gorgée d’air, seulement, comme l’air qui se trouve à ma portée est pollué, je perds la notion de tout.
Ça ne dure pas. Une minute tout au plus. Dans les limbes que je traverse, j’entends un second claquement, un second choc plus massif peut-être… Enfin, je m’extirpe du cloaque avec un monumental mal de cœur.
Je parviens à me tordre sur le côté, à ouvrir les yeux… Et que vois-je ? Vous le dis-je ? Des surprises pareilles pour vous autres, c’est bien de la marchandise gaspillée ! Enfin, il est dit que j’aurai avec vous toutes les faiblesses !
Quelqu’un se tient dans la pièce. Quelqu’un qui est entré par le balcon et qui s’est faufilé sous le store. Quelqu’un qui est armé d’un très joli pétard muni d’un silencieux. Quelqu’un qui n’a pas hésité à allumer et qui s’est offert mes deux boy-scouts comme on grignote deux cacahuètes ! Quelqu’un de bien quoi ! Et d’efficace surtout.
Qui ? Si j’étais vache, je vous le dirais pas !
Si j’étais cupide, je vous enverrais la réponse par la poste contre remboursement.
Si je n’étais pas sérieux, je vous inventerais n’importe quoi !
Mais quand on est San-Antonio, avec tout ce que ça représente[15] on ne triche pas, on ne brade pas, on suit le droit chemin ; on joue franc-jeu un point c’est tout ! On dit au lecteur qu’il est une crêpe certes, mais on agit néanmoins avec lui comme s’il était presque intelligent. La renommée avant tout.
Dans mon job, c’est comme dans la charcuterie : faut que ça soit de la première fraîcheur ! Oui, la renommée, y a que ça. Et puis d’abord, qu’est-ce que je ferais d’une ceinture dorée. Je suis pas de la jaquette ! Vous m’imaginez dans une robe de mousseline blanche avec ma ceinture dorée et mon colt à la main ? Ça ne serait pas sérieux !
Pardon ? Vous me causez ? Vous trouvez que je tarde trop à vous affranchir ? Bande d’impatients ! Vous serez bien avancés quand je vous l’aurai dit, le nom de la personne salvatrice. Un petit coup de surprise, et encore ! Je parie qu’il y a des tordus qui ont déjà deviné par inadvertance.
La personne, puisqu’il faut l’appeler par son nom, capable d’enrichir en un jour l’Achéron !… Mais qu’est-ce que je débloque ! V’là que je vous débite du La Fontaine. Notez que la citation s’applique à la situation. Tu parles que c’est une peste à elle toute seule, Gloria, quand elle s’y met ! La façon dont elle a culbuté mes deux gorilles en dit long comme le nez de Cléopâtre sur ses capacités.
— Comment vous sentez-vous, Tony chéri ?
Au lieu de répondre, le Tony se carapate jusqu’au lavabo le plus proche pour se libérer l’estomac. Les narcotiques frelatés et les grosses surprises conjuguées, ça donne des résultats de ce genre, parfois.
Tout en bradant mes surplus, je réfléchis. Moi, vous me connaissez… Je suis capable de réfléchir dans toutes les positions et pendant l’accomplissement des actes les plus divers depuis l’acte de chair jusqu’à l’acte notarié. Je pense que ce rodéo de Gloria est extraordinaire. Voilà une petite décervelée qui ne pense qu’à jouir des milliards de papa. À tout bout de champ, il faut la tirer des griffes du grand méchant loup et, tout à coup, alors que je me trouve dans une situation critique, elle s’annonce comme la fée Pimprenelle quand il a fallu changer cette fameuse citrouille en carrosse, avec une baguette magique qui me vient pas de chez Hermès mais plutôt de chez Castine-Rainette[16].
Je ressors du lavabo. La môme Victis m’attend, assise sur le lit, avec son tableau de chasse à ses pieds.
— Joli safari, Gloria, approuvé-je. Et bravo pour cette intervention. Vous jouez souvent les Jeanne d’Arc ?
— Toutes les fois qu’un grand idiot de flic français se laisse posséder par des gorilles comme ceux-ci, répond-elle du tac au tac.
Je désigne messieurs les décédés-sans-laisser-d’adresse et je questionne :
— Qu’est-ce qu’on fiche ? On les met en boîte ou on commande des faire-part ?
— Laissons-les ici, Tony. Leur maîtresse s’en arrangera.
Je suis barbouillé comme des murs de pissotière, les gars. Ils m’ont drôlement fadé avec leur soporifique, les écuyers de la petite Madame. En titubant, je vais vers le flacon d’élixir du Docteur Gilbey’s puisque je sais où il se niche et je m’en octroie un nombre respectable de centilitres dédouanés. Ouf ! Ça va mieux, je dois reprendre des couleurs.
Je considère Gloria et, ma parole, je la trouve presque jolie en guerrière. Elle n’a plus du tout son petit air futile et désœuvré. Son œil est aigu, son menton volontaire.
Un indéfinissable sourire joue sur ses lèvres.
— Vous semblez parfaitement connaître les lieux, murmure-t-elle.
Ou bien je me goure, ou bien cette petite en sait beaucoup plus que vous ne l’imaginez sur mes relations avec Eczéma.
— On se dit tout ou on continue de se faire croire que les petits enfants naissent dans les choux ? je lui demande tout de go.
Elle regarde son pistolet comme s’il s’agissait d’un tube de rouge à lèvres.
— Agent O.S.S. 116 ! annonce-t-elle.
— Il s’en est manqué de peu, remarqué-je.
Elle sourit et déclare :
— On me l’a déjà dit.
— Il existe une miss Victis pour de bon ?
— Bien sûr, Tony. Elle est dans une maison de repos et on lui sert un électrochoc et deux croissants chaque matin à son petit déjeuner.
— Vous me racontez tout avant que je dégringole à vos pieds, foudroyé par la curiosité ?