— Facile…
Pour m’épater, elle fait tourniquer son feu au bout de son doigt, comme jamais ce pauvre Gary n’a su le faire !
— Très joli, apprécié-je, vous passez quand à l’Olympia ?
Ce que les femmes sont coquettes tout de même !
— Une lettre anonyme est arrivée un matin au Département d’État, poursuit Gloria. Elle contenait en substance l’avis suivant : « Que les États-Unis empêchent coûte que coûte cette croisière à Konkipok, sinon elle aurait des conséquences effroyables. »
— C’est tout ?
— Pratiquement.
— Et le Département d’État a eu des vapeurs ? Je croyais les Américains plus calmes.
— C’est un détail qui les a fait tiquer, Tony.
— Lequel ?
— La lettre était anonyme mais elle avait été rédigée sur du papier à en-tête de l’ambassade américaine de Quito (Équateur). Une enquête menée dans ces services n’a rien donné. À toutes fins utiles, on a prévenu Okapis. Ça l’a inquiété, seulement tout était déjà organisé ! Alors, on m’a collée sur cet os, my dear.
— Il est au courant ?
— Bien sûr. C’est même lui qui a arrangé le coup avec le vieux Victis afin de me faire passer temporairement pour la fille du milliardaire. Victis a été tout heureux de pouvoir produire aux yeux du monde cette héritière de rechange. N’avoir qu’une fille et être obligé de la boucler secrètement dans une chambre capitonnée, c’est désespérant. À propos : il paraît que je lui ressemble, à la vraie Gloria.
— Magnifique ! Y a qu’aux States qu’on peut voir ça. Et San-Antonio, sans indiscrétion, que vient-il faire dans cette brouette ?
Elle me toise du haut en bas, puis de bas en haut.
— Une idée d’Okapis. Caprice de milliardaire !
— Vous vous foutez de moi ?
— Non. C’est un homme qui vous admire éperdument depuis que vous avez débrouillé l’affaire d’un de ses compatriotes, armateur lui aussi, un certain Bitakis[17].
— Pas possible ! Et alors ?
— Il ne jurait que par vous ; je crois qu’il n’a guère confiance dans les femmes agents secrets. Il a appris que vous étiez en vacances et m’a chargé de vous contacter.
— Les agents américains font du démarchage, maintenant ?
— Je dois dire que, dans cette affaire qui ne repose sur rien de tangible, j’avais carte blanche. C’était pour moi des espèces de semi-vacances… Tous frais payés ! Grassement payés ! Et puis moi aussi j’avais entendu parler de vous. J’ai donc joué la petite comédie que vous savez !
— Bravo ! Un de ces jours, vous devriez briguer un rôle à la Métro, ça marcherait sûrement. Mais alors, les agressions dont vous fûtes victime ?
— Excepté celle qui s’est déroulée à bord du yacht, les autres, c’était du vent !
— Y compris celle de la Côte d’Azur ?
Elle pouffe.
— Surtout celle de la Côte d’Azur ! Du cinéma, Tony. Y compris l’arrivée providentielle du camionneur !
Je dois pousser une sale vitrine car elle s’inquiète :
— Vous en faites une drôle de figure !
— Gloria, murmuré-je, je crois que jamais de ma vie je n’ai eu autant envie de flanquer une fessée à une fille !
— Essayez, murmure-t-elle d’une voix rauque ; venant de vous ça ne doit pas être si mal que ça ! J’ai toujours soif de sensations fortes, Tony, c’est ce qui vous explique que j’ai choisi cette dangereuse carrière.
J’abandonne ce projet pour me consacrer au présent.
— Où en êtes-vous de votre enquête, chère collègue et néanmoins fiancée ?
— J’attends ce soir. Je vous ai observé, surveillé, suivi. Ça m’a permis tout à l’heure de tout entendre. Je crois effectivement qu’Okapis aurait mieux fait d’épouser en secondes noces un boisseau de serpents-minute, il aurait été davantage en sécurité qu’avec la belle Eczéma.
— Vous savez que l’île est isolée complètement, à l’heure où vous me parlez ?
— Okapis me l’a dit.
— Je ne vois pas le rôle exact que joue sa femme. Pourquoi a-t-elle eu besoin de couper Konkipok du monde ?
— Si on allait le lui demander, Gloria ?
Elle se dresse et défroisse sa jupe.
— Embrassez-moi, Tony, soupire-t-elle, la frénésie de l’action, ça m’a toujours terriblement excitée.
— J’ai pas l’habitude de lutiner dans les cimetières, coupé-je en enjambant les deux cadavres.
— Vous êtes moins sensuel que moi ! reproche ma douce consœur.
Je hausse les épaules.
— Pas moins sensuel, mon petit cœur : moins compliqué. Je peux vous poser une question ?
— Allez-y.
— Vous ne seriez pas aussi dingue que l’autre Gloria, par hasard, sans en avoir l’air ?
Le plus marrant, c’est que ça l’amuse !
CHAPITRE XV
Moi, vous me connaissez…
Quand je viens de subir une grande surprise, je cherche toujours à en tirer des conclusions.
En l’occurrence, celles que j’extrais des événements sont assez contradictoires. D’un côté, nous avons donc des gens qui veulent empêcher le professeur E. Prouvette de venir à Konkipok et qui font le maximum pour l’en dissuader. D’un autre côté (de l’Atlantique) d’autres personnages, tout aussi occultes, écrivent au Département d’État pour annoncer qu’il y aura de la casse. D’un troisième côté enfin, cette Mme Saute-au-Slip d’Okapis qui balance romantiquement des balles de tennis piégées et plante des couteaux (ou les fait planter, ce qui revient au même) dans la poitrine de son beau-fils tout en donnant l’ordre à sa garde personnelle d’expédier le cher San-Antonio dans le cirage. Pour couronner le tout, les bateaux et les avions sont partis et nous n’avons plus de radio à Konkipok. Pour toute correspondance, prière d’expédier ses bafouilles par bouteille-à-la-mer ! La marée s’en chargera (deux levées et deux distributions par jour comme dans les fortes agglomérations !) Existe-t-il des liens entre ces différentes forces ci-dessus énoncées ? Les coffres immergés, par exemple, qui ont failli me coûter la vie, sont-ils des accessoires propres à Eczéma ? Les harponneurs agissaient-ils sur son ordre ? Tout ça, il va falloir qu’on le mette au net, mes petits choux ! On ne peut pas s’user la matière grise à vide ; c’est comme l’onanisme, ça finit par rendre pincecorné.
Gloria, alias O.S.S. 116, m’annonce qu’elle va déposer sa pétoire dans sa chambre, le colt étant pratiquement importable avec une robe de soirée.
— Confiez-moi ce petit camarade des mauvais jours, lui dis-je. Il peut encore servir. Vous n’avez consommé que deux prunes et il en contient huit, si mes connaissances en armurerie sont exactes.
Elle me le tend sans difficulté.
— Dites voir, toute charmeuse, y a un petit détail qui me turlupine. Quand j’ai effacé les voyous qui vous kidnappaient au large des côtes équatoriennes, vous m’avez dit que c’étaient les mêmes bonshommes que dans le midi, pourquoi ce mensonge ?
Elle a un sourire en biais.
— Parce que je vous croyais meilleur flic, mister San-Antonio et que je voulais endormir vos doutes pour le cas où vous en auriez eu.
Le violet de la honte me déguise en évêque.
— C’est-à-dire ?
— Lors de notre faux kidnapping, la police de Nice vous a annoncé qu’on avait retrouvé la voiture des soi-disant gangsters sur les lieux de l’agression, souvenez-vous !
Je bondis.
— O.K., poupée, j’ai été la crème des buses. L’attentat s’étant déroulé en pleine montagne, de nuit, sur une route peu fréquentée, ils n’ont effectivement pas pu repartir à pied.