Et Béru poursuit son rush. Au point que la Cavale pique sa crise. Son fa-dièse, c’est devenu un pet de mouche dans le vacarme. Elle vrille, elle trille, elle fuse, elle vrombit, mais elle a le bonjour d’Alexandre-Benoît ! Un Bérurier qui chante devant des rois, des reines, des princes et des fleurs, il est inarrêtable. Douze chars Patton, peut-être, pour le stopper, et encore, je me demande ? Je suis pas sûr ! Faudrait voir !
Il fait le geste auguste du cardeur. C’est son quart d’heure à lui. Et flûte pour la Cavale ! C’est là qu’on s’incline devant la suprématie de l’homme. Son contre-ut célèbre elle peut le confier à son pharmacien habituel pour qu’il le lui déguise en suppositoire. Il passe plus ! Béru est là, qui couvre tout, qui fait saigner les trompes d’Eustache et s’épanouir les hémorroïdes. Béru est là qui sème la tempête, ayant depuis belle lurette récolté le vent. Béru est là à l’apogée de sa force vocale, avec au cou des veines grosses comme mon poignet !
Oh ! comme il est bien là, mon Béru ! La reine Mélanoche en oublie son doigt télé-mordu et sa douleur. Stoïques, voilà comme elles sont, les reines. Elles savent souffrir en silence. Voyez Marie-Antoinette, par exemple. Est-ce qu’elle a crié quand le couperet lui est tombé sur la coloquinte ? Non ! Et même après, elle n’a rien dit. Pas un mot ! Le silence c’est ce qu’on fait de plus digne.
Faut voir, les princes gagnés par l’émulation (comme Scott) et les reines ! Et le duc ! Et les banquiers ! Et le lord, le général, l’excellence, le président, même le professeur Prouvette y vont de leur goualante. Faudra le dire, mes enfants, que Béru a réussi à faire chanter les matelassiers par le gratin de l’univers. Faudra semer la bonne parole ! Le monde doit savoir que la France est capable d’accoucher d’autre chose que de la pièce de un centime format lentille (la mornifle d’un régime, je vous répète !).
Gloria qui nous a rejoints (déjà, vous voyez) pouffe en se tenant les côtes qu’elle a fort saillantes :
— Impayable, cet homme !
Moi, je cesse de rire pour lui chuchoter, mine de rien :
— Les deux types que vous avez allongés dans la chambre n’étaient que d’honnêtes gardes du corps.
Je m’attends à la voir grimacer sa stupeur apitoyée. Au lieu de ça, elle se marre davantage. J’en ai le frisson.
— Et alors ? Ils cherchaient à vous neutraliser, non ?
— C’est tout ce que ça vous fait ?
— Mais, Tony chéri, vous êtes une petite fleur bleue dans votre genre ! Un garde du corps, c’est fait pour prendre des balles dans la peau, après tout !
La logique féminine n’a pas plus de limite que l’organe du Gros. Il a entonné tout seulâbre le second couplet, Béru, la Cavale venant de déclarer forfait pour cause de concurrence déloyale. Elle rouscaille, annonce qu’elle va déposer une plainte au syndicat des vociféreurs. Il vient de perdre son ticket avec madame, mon Gravos. Elle ne lui pardonnera pas cette prédominance.
La société scande en battant des mains. Le roi Farouche se blesse même avec sa chevalière creusée dans un diamant à force de frapper ses nageoires. Qu’à cela ne tienne, ça fait partie des accidents professionnels, or les risques d’applaudissements sont couverts par la sécurité royale dont le siège est à Londres (adresse télégraphique : Buckingham Palace, London).
Du délire. J’en arrive à oublier le merdier dans lequel nous sommes. Mais voilà que soudain…
CHAPITRE XVII
Moi, vous me connaissez…
J’adore stopper un chapitre sur un point de suspension. Ça donne envie au lecteur de tourner la page, ou bien alors de fermer carrément le livre.
Mais voilà que soudain, disais-je, un bruit plus fort que le chant bérurien (ou béruréen, on peut employer les deux expressions, mais pas à la fois) retentit. C’est comme une explosion caverneuse. Parfois, lorsqu’on sonorise une salle de bal et qu’on fait des essais en soufflant dans le micro, le bruit est tellement amplifié qu’on en a les portugaises qui se fêlent.
« Allô ! Allô ! » fait une voix semblant dégringoler de la planète Mars.
Le Béru fait un couac et se tait. Les monarques cessent de se meurtrir les phalanges et la reine mère moule le majeur qu’elle était en train de fignoler à la pédale.
Tous, nous dressons la tête, car cette voix vient d’en haut, comme toutes les voix surnaturelles.
Je découvre alors, niché au sein de l’immense lustre central, un haut-parleur. Au milieu des pendeloques de cristal, il passait absolument inaperçu, mais le bruit qui s’en échappe fait bruire les grosses larmes de verre. Des questions fusent et infusent puisqu’elles ne trouvent pas de réponses : « Qu’est-ce que c’est ? De quoi s’agit-il ? » On regarde Okapis, c’est lui qui semble le plus abasourdi. La grosse pomme de Béru, ulcéré par cette interruption, dit que ça ne se fait pas de clore le bec d’un chanteur. C’est comme si on chatouillait un sauteur à la perche au moment où il plante sa canne à pêche pour s’enlever au-dessus (espère-t-il) de la barre ! Y a eu des accidents mortels, comme ça. Des ténors qui ont eu un rémineur coincé dans le gosier et qui sont morts étouffés sans que la respiration artificielle y puisse rien !
Mais il n’a pas le temps de doléer. La voix caverneuse, immense et formidable, mugit de nouveau.
— Allô ! Allô ! Que tout le monde se taise, garde son calme et écoute attentivement ce qui va suivre !
Un court silence. La reine Mélanie se signe. C’est le privilège des rois et des reines de signer à tout hasard, avec une croix bien souvent.
— Mais qu’est-ce que cela signifie ! tonne Okapis. Qui a installé cette sonorisation ?
La voix poursuit :
— Monsieur Okapis, approchez-vous du bouquet de plantes vertes situé dans l’angle du salon, derrière la statue de Diane. À l’intérieur des plantes, vous trouverez un micro qui vous permettra de correspondre avec nous !
Je vais vous dire, les gars ; les invités se bilent pas. Au contraire, ils croient que c’est un gag, le clou de la soirée, et ils attendent patiemment que le spectacle continue. Il n’y a que trois personnes pour l’instant qui éprouvent du mou dans la corde à nœuds, ce sont : Gloria, Okapis et votre bon petit camarade San-A. Alors, eux, oui, ils pigent illico que c’est du sérieux et qu’on va enfin savoir le pourquoi du comment du schtroumpf.