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Quand j’en ai fini, la reine mère (excusez, j’oubliais de vous virguler son blaze, elle s’appelle Mélanie de Brabance) est prête à me faire cloquer la médaille de plomb du mérite brabançais, la plus haute distinction d’Europe après les palmes Académiques.

Quant à ma petite Gloria qui a beaucoup bâillé aux mouettes pendant l’entretien, elle est époustouflée.

— O Tony, gazouille miss Milliards, je ne savais pas que vous étiez aussi instruit !

Ne jamais perdre une occasion d’épater les femelles, les gars, n’oubliez pas ce que je vous dis. Ces petites gredines ont trop tendance à nous dominer ; aussi il est bon de leur montrer que la plus belle conquête du cheval, qu’on le veuille ou non, c’est encore l’homme !

Les hôtes de marque continuent d’affluer. M’est avis qu’il va faire le plein, le père Okapis. Je suis présenté tour à tour au Prince Salim Tanksapeuh, futur souverain de l’Arabie Bougnazé ; puis à lord Loge-Parlente, le ministre de Grande-Bretagne qui aurait pu être anglais s’il n’était déjà britannique ; ensuite je fais ma révérence à la Cavale, la célèbre cantatrice chauve dont le contre-ut a meurtri les tympans du monde entier ; on poursuit par un shake-hand à Ted Deulards, le roi de la tringle à rideau en bambou renforcé (ce dernier est accompagné de sa femme, une grande Américaine brune avec des cils comme des araignées à la renverse). On me présente ensuite à Herr Hoplann, le fameux constructeur d’avions allemand, l’inventeur du Chleux 39–44 à chambre à gaz transformée. Arrive alors Foscao Ier, proclamé roi du Banania Septentrional depuis que la France a reconnu l’indépendance du Territoire de Belfort ; le monarque est venu avec ses onze femmes et le fils de sa sœur, qui avait la rougeole et auquel un changement d’air était recommandé. Il est suivi de près par Son Excellence Yapa Lmétro Akyoto, ambassadeur du Japon à Pointe-à-Pitre ; lequel ne fait que précéder l’archiduc François-Joseph de Kronenbourg de Lux (cachet blanc) qui marchait devant le baron Samuel de Lévy de Télavoche, l’homme qui fit abattre le mur de l’Atlantique pour reconstruire celui des lamentations.

Tous plus moches les uns que les autres, ils sont. Je voudrais pas jouer les girafes et me monter le cou, mais jusqu’à présent je suis l’unique beau gosse du lot. Les bergères sont infumables. La moyenne d’âge des bonshommes est de soixante-cinq berges environ. Et ce n’est pas l’arrivée in extremis, comme on dit en latin, du général von Koklusch, héros de la guerre de 70 (qu’il fit en qualité de grand-oncle de Bismarck) qui serait susceptible de la faire tomber.

Il est quatre heures de l’après-midi lorsque nous appareillons. Une nuit de traversée et demain, à l’heure où blanchit la montagne, comme dirait Victor Hugo, l’île du Konkipok sera en vue. D’ailleurs, avec la réception monstrueuse qui se prépare, elle est très en vue dans les rédactions.

Chacun flâne sur le pont, se baigne, boit des choses délicates au bar ou écoute la philharmonique de Berlin dans le grand salon.

Un dîner merveilleusement composé nous réunit. On tortore dans de la vaisselle d’or incrustée de pierres précieuses. M’est avis que le plongeur doit filtrer son eau de vaisselle avant de l’évacuer dans le Pacifique ! Le menu ? Je vais le publier ici pour les gastronomes éventuels : caviar d’Iran sauce béchamel ; foie d’ortolan farci aux cœurs de truffe ; feuilles d’orchidées fourrées à la moelle d’oiseau-mouche (ça c’est une recette des îles, mais je me rappelle plus desquelles) ; et comme dessert, confiture de fleurs d’ananas sur timbale d’aile de libellule diabétique (on n’en trouve même pas chez Fauchon, place de la Madeleine !). Le tout est arrosé de Brut Impérial et d’une liqueur extraite de noyaux de fraise. Quand on sort de table, on se sent à la fois comblé, léger et euphorique. Je me dis que la richesse ne fait pas le malheur et qu’il vaut mieux un grand chez soi qu’un petit chez les autres.

Les ennoblis, les grossiums, les galonnés de la soirée sont des gens en vacances et se comportent comme tels (dirait Guillaume). La réunion n’est pas du tout gourmée. On est peut-être moins à son aise qu’au banquet des petits artisans du 14e, mais enfin ça n’a rien de déprimant, contrairement à ce que je redoutais.

Après le dîner, Gloria et moi, nous allons prendre le tiède sur le pont.

Vous verriez l’océan à cette heure crépusculaire, vous en baveriez des ronds de serviette, les gars ! Vert, qu’il est, le Pacifique, avec des tons saumonés à l’horizon. Un vrai chromo italoche ! On se laisse tomber dans des fauteuils. Illico, le steward de pont vient nous demander ce qu’on a envie d’écluser. On se commande deux scotches et on se prend la main pour faire comme si on s’aimait.

— Vous savez, Tony, que je voudrais réellement être votre fiancée, qu’elle me chuchote, la Gloria.

J’en ai le grand zygomatique qui prend du gîte !

Ce serait une expérience à tenter, non ? Larguer la poule pour se lancer dans les affaires de papa Victis, c’est sûrement payant. D’autant plus qu’il n’a que cette fille, le cher homme ! Vous l’imaginez, votre San-A., derrière un burlingue grand comme la place de la Concorde, avec une barrière de téléphones et de secrétaires pin-up sur les accoudoirs de son fauteuil ? La culture de la perlouze, ça rapporte plus encore que celle de la betterave ou de l'épinard en branche, moi j’ai idée ! Je m’imagine, radinant au pays à bord d’une Cadillac en or massif, sapé comme un dieu. La suite au Georges V ; ma table à demeure au Grand Vefour et…

Et après ? Je serais bien avancé ! Adieu mes bons potes, les petits bistrots sans histoire, les petites Parigotes délurées qui ont le slip consentant.

— Vous ne dites rien, Tony ?

— Je pèse vos paroles, mon petit cœur. Je pense que vous êtes bien trop riche pour moi. Je sais qu’aux States ça n’est pas un obstacle, mais en France, on a des idées plus étroites…

Le loufiat nous sert des whiskies et je ne sais pas comment qu’il s’y prend, cette pomme à l’eau, mais le voilà qui trouve le moyen de renverser un des godets sur la belle robe de Gloria. Elle l’enguirlande comme du poiscaille daubé.

— Si Mademoiselle veut bien me suivre, qu’il bredouille, je vais réparer ce malheur…

Je sais pas où il le recrute son personnel, Okapis, mais quand on se mêle d’inviter des rois, faut avoir de la main-d’œuvre qualifiée, non ?

Gloria se lève et suit le steward. J’ai un sourire vers le ciel. Quand je vais raconter à M’man que j’ai bouffé avec des rois et des reines, elle va pas en revenir, la pauvre chérie !

Drôlement chouette, le ciel, à cette latitude ! Violet sombre. Et la lune est pas pareille que chez nous, c’est poilant, non ? À croire que c’est pas la même. Elle est orangée avec une sorte de serti rouge comme sur les toiles de Picassiette.

Tout à coup, je perçois un plouff. Que dis-je, un ploufff (j’avais oublié un « f »). Et dans la fraction de seconde qui suit, je me dis que quelqu’un vient de se piquer un valdingue dans la flotte. À peine ai-je pensé ça qu’un deuxième ploufff (pardon, un deuxième plouffff, il est plus fort que le premier) retentit. Je bondis au bastingage, mais je ne vois rien. C’est alors que le fracas d’un moteur retentit vers l’arrière. J’y cours. Et qu’apercevé-je, mes chéries ? Une vedette automobile est stoppée, moteur au point mort, à quelques mètres du yacht d’Okapis. Dans l’eau, entre le yacht et la vedette, deux personnes nagent éperdument.

Chose curieuse, excepté le fameux commissaire San-Antonio, personne à bord ne s’est rendu compte de rien.

Je hèle, mais il n’y a pas un greffier à la poupe !

Je me demande ce qui se passe. Je retourne au bastingage. Le premier nageur vient de rallier la vedette. Des bras se tendent. Mes crins se dressent sur ma tranche. Le nageur que je vous cause, c’est une nageuse. Et quelle nageuse ! Gloria ! Vous entendez ? À bord de la vedette, deux zigs l’aident à y grimper. Cependant que le second nageur radine à son tour. Lui, c’est le serveur qui a renversé le scotch sur la robe de ma pseudo-fiancée.