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Voilà que ça recommence, les gars. Et cette fois, l’enlèvement de Gloria semble avoir parfaitement réussi. Je pige ce qui s’est passé. Comme coup fourré, c’est un petit chef-d’œuvre. Le steward a ceinturé ma pauvre Gloria qui ne s’attendait pas à ça et l’a balancée par-dessus le bastingage ; puis il a plongé à son tour.

La vedette qui filait le train au yacht s’est précipitée. Et maintenant, ces crapules vont foncer à toute vitesse vers quelque île voisine où un avion doit attendre.

Et tout ce micmac s’opère à mon nez et à ma barbe.

Je ne peux qu’être le spectateur impuissant !

Ôtez-moi d’un doute, vous avez entendu parler de San-Antonio, non ? Vous savez, c’est ce ravissant commissaire qui n’a froid ni aux yeux ni au cœur et pour lequel les nanas ont un penchant certain !

Il n’écoute personne, San-Antonio, sauf son courage.

Et il lui arrive de le prendre à deux mains son courage.

Alors je fais un truc qu’un équilibriste russe lui-même n’oserait faire. Je me hisse d’un rétablissement prodigieux sur le toit des cabines de pont.

Je prends un élan maximum. Si je rate mon coup je me casse le cou. Deux écueils terribles : le bastingage d’une part, la vedette de l’autre. Mais qu’importe. Je tombe la veste, je largue mes targettes, je fonce et je me catapulte dans le vide. Ce qu’on peut demander à son pauvre corps périssable, tout de même ! La rampe du bastingage passe à quelques centimètres de mon abdomen. Les mains jointes, loin devant moi, comme pour la plus ardente des prières, je pique à la rencontre du Pacifique. J’ai la vedette en point de mire. Le temps se paralyse dans ma rétine. Comme tout cela est lent ! Incroyablement lent ! Un ralenti cinématographique !

Je me dis calmement que j’ai pris trop d’élan et que je vais me fracasser le museau contre la coque de la vedette.

Je donne un coup de reins. Dans le vide, c’est duraille, essayez, vous verrez !

Je tombe à un rien de l’embarcation. J’entre dans l’eau avec une telle force que je me permets une visite express des fonds marins. Je passe du coup sous la quille de la vedette en chantonnant « Tiens, voilà la quille »[2].

Ce détail me sauve la mise. Vous savez pourquoi ? Enlevez vos boules Quiès, je vais vous le dire… Quand j’ai fait mon valdingue, les zouaves de la vedette m’ont vu. Étant donné que j’ai plongé à tribord, ils s’y sont précipités et ont dégainé leurs rapières pour m’assaisonner lorsque je ferai surface.

Seulement j’ai passé par-dessous la vedette, ce qui me fait émerger à bâbord, you see ? Je chope le plat-bord et j’affûte ma détente. Vous pouvez me souhaiter un prompt et complet rétablissement, it is the moment !

Dans la vie, il y a la conjoncture. Si elle se fait porter malade quand vous entreprenez quelque chose, il vaut mieux que vous restiez chez vous à relire Zig et Puce.

Heureusement qu’aujourd’hui elle est fidèle au rancart. À l’instant où je m’hisse, le loufiat-agresseur s’hisse aussi de l’autre côté. Si bien que ma traction est compensée par la sienne et que les tordus continuent de se pencher de l’autre côté.

Je ne perds pas de temps à m’ébrouer ! Ah ! mes aminches, que ne pouvez-vous applaudir votre San-A. dans l’action !

Tarzan s’évade ! Le retour de Zorro et les Aventures de Trompe-la-mort ne sont que des prouesses d’unijambistes à côté de celle que j’accomplis. Comment vous raconter ça avec quelque chance de me faire comprendre ? Vous êtes si peu intelligents que, chaque fois, ça pose des problèmes d’ordre descriptif.

Voilà. Je fais donc mon rétablissement et je le réussis.

Par chance, je me retrouve à califourchon sur une banquette. Comme j’enregistre la situation avec la rapidité d’une machine I.B.M., je me dis qu’il faut continuer sur ma lancée et je continue. Des deux pinceaux violemment propulsés en avant, je vais frapper le dos des deux kidnappeurs penchés au-dessus du bord. Ils culbutent avec un ensemble parfait. On se croirait dans un film de Jerry Lewis. Gloria, qui suffoque au fond de la vedette, me jette un regard halluciné à force d’incrédulité. Maintenant, je m’offre quelques secondes pour essayer de retrouver ma respiration qui s’est fait la malouze. L’aurais-je définitivement perdue dans les eaux de l’océan ? Il me semble que mes soufflets sont devenus gros comme des noisettes. Je dois me payer une crise d’apoplexie, y a pas ! J’ai beau me comprimer les cerceaux, ça ne se rétablit pas et mon usine à distiller le gaz carbonique demeure en grève. J’ai dû avaler trop de flotte, m’abstenir de souffler pendant trop de temps et surtout plonger trop profondément. Ce que je viens de faire, mes chéries, personne d’autre ne le refera jamais !

Et soudain, le miracle s’accomplit. Je respire à nouveau. Le plus marrant dans tout ça, c’est que le loufiat qui vient d’aborder se trouve dans le même état que moi. Nous sommes deux adversaires face à face, incapables de se battre. Curieuse situation, convenez-en !

Pendant ce temps, les deux plongeurs d’élite barbotent autour de l’embarcation et essaient d’y remonter.

Si le gars San-A. ne récupère pas très vite, il risque d’y avoir un sacré sport, non ?

Mais comme je me sens mou et vidé, tout à coup !

La notion du péril me galvanise une fois de plus.

Je constate que je suis à quelques centimètres du volant. Je le saisis d’un geste fantomatique. Je pousse le levier de marche avant et la vedette fait un bond terrible en avant. Les deux ouistitis qui s’y agrippaient hurlent en s’y cramponnant de plus belle. Je constate avec horreur que le gouvernail était dirigé face au yacht. Comme quelques mètres à peine nous en séparent, je vais le percuter de plein fouet et ce sera la catastrophe. Je tourne désespérément le volant. La vedette amorce un léger arc de cercle et je heurte la coque du bateau par le flanc. Ça ne fait pas le bruit que j’escomptais. Et savez-vous pourquoi ? Non, faut décidément tout vous dire, tout vous mâcher… Parce que c’est tribord qui cogne le yacht et que les deux rigolos qui se cramponnaient à tribord effacent la secousse. Ils n’ont pas un cri. Ça craque salement et voilà tout. La vedette racle encore le flanc du yacht et parvient à s’en détacher. Je décris un large cercle pour laisser — comme dit l’autre — la situation se décanter. Je regarde. Il y a une monstrueuse tache rouge contre le barlu d’Okapis, juste au-dessus de la ligne de flottaison.

Un cri de Gloria me fait me retourner. Le steward est debout derrière moi. Il tient un poignard levé et s’apprête à me le plonger dans le dossard. Il s’en faut d’un rien. Je fais un saut de côté et la lame acérée se plante dans le tableau de bord de la vedette.

Une rogne terrible me prend. Je cramponne ce gugus par une aile et je le fais virevolter. Hélas, dans le mouvement, je bute du mollet contre un banc et tombe à la renverse. Il me saute dessus. Heureusement que son couteau s’est planté profondément dans l’acajou du tableau de bord, car sinon ça pourrait me valoir des ouvertures non prévues sur mon permis de construire.

On se bat comme deux bons petits chiffonniers. Et pendant ce temps, la vedette lancée à soixante kilomètre-heure fonce vers le large. Si jamais on rencontre un récif, ça va être le Te Deum pour tous les trois !

Je perçois des cris, tout là-bas, en provenance du yacht où l’alerte a enfin été donnée. Mais que peuvent-ils pour nous, ces pauvres biquets ?

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2

Je vous dis ça pour faire joli, mais j’ai pas envie de chanter !