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Je morfle un bourre-pif très soigné qui me fait admirer la Croix du Sud en plusieurs exemplaires. Je tente de replier mes cannes pour pouvoir balanstiquer un coup de savate dans le coffret à bijoux du gars, mais il connaît toutes les astuces, ce petit futé. Une vraie anguille. Faut voir comme il sait vous glisser entre les cannes.

Il parvient à nouer ses mains à mon cou. Comme une patate je me suis filé sous le banc, si bien qu’il m’est impossible de lever les brandillons pour me dégager. Je suis coincé, quoi, y a pas !

J’essaie des reptations, elles ne donnent rien. Voilà que j’étouffe encore. Déjà que j’avais pas bien repris mon souffle. Mon sang cogne dans mes oreilles à tout va. J’entends des cloches ! Vous ne m’aviez pas dit que c’était dimanche et qu’on allait à la grand-messe, bande de petits cachottiers !

Mais voilà brusquement que l’étreinte du gars se relâche. Il tombe à genoux près de moi. Je m’offre un bol d’air et je me récupère. J’aperçois miss Victis, armée d’une pagaie, et je comprends qu’elle est intervenue pour éclaircir ma situation.

Alors je me lève. L’autre en fait autant.

Je passe une main dans mon dos.

— Donnez ! j’halète.

Je sens le manche rond et lisse de la pagaie dans ma main. Ça m’étonnerait pas que le brave San-Antonio prenne le dessus maintenant ; et vous ?

Comme l’autre plonge sur moi, je lui file, en coup de bélier, le bout de la pagaie dans l’œsophage. Il pousse un ahanement terrible et se fige. Faut pas lui laisser le temps de récupérer. Du plat de la pagaie, cette fois, manière de varier les plaisirs, je lui donne la plus monumentale des gifles en bois qu’on ait jamais inventée. Il culbute, tombe par-dessus bord et pique une tranche dans l’eau. Je saute au volant. Le yacht est minuscule, tout là-bas. C’est joli, du reste, toutes ces lumières qui miroitent dans le soir velouté. Je fais demi-tour. Je coupe un brin les gaz pour essayer de retrouver mon zigoto, mais il est difficile de repérer un point précis sur la mer mouvante. J’ai beau écarquiller les hublots, je ne vois rien.

Tant pis, hein ? Après tout, ce gentleman n’avait qu’à nous ficher la paix royale à laquelle nous avons droit. On l’avait sonné pour un whisky, pas pour nous jouer les nouvelles aventures de Fantômas.

Je coupe les gaz tout de même pour essayer de percevoir ses cris éventuels ; mais seule la grosse voix rabâcheuse de l’océan s’engouffre dans nos cornets. On s’est pas encore dit un mot, Gloria et moi. Elle est comme Manon, ma milliardaire : tout étourdie.

Quant à moi, j’ai l’impression que je viens de visionner un film à péripéties au Napoléon. Je suis groggy de l’intérieur.

Je contemple un instant les vagues frangées d’écume, comme on dit dans les romans qui coûtent plus cher que les miens mais qui sont moins intéressants, afin de m’assurer qu’aucun noyé en puissance n’y batifole. Puis, la conscience en bandoulière, je remets la sauce et je pique sur le yacht.

Le vent de la vitesse nous fouette le visage et nous ragaillardit. Gloria est presque bathouze au clair de moon, avec sa crinière flottante.

— Tony, me crie-t-elle tout à coup, je n’ai jamais vu un homme comme vous.

— Moi non plus, ma petite reine, je réponds en toute modestie.

Faut reconnaître que, cette fois, j’ai mis le paquet, non ? Je viens de les gagner, mes cinq mille dollars, y me semble ? Si vous êtes pas d’accord, dites-le-moi franchement, les gars, je consentirai un abattement au père Victis !

Toute cette bataille navale n’a pas duré plus de cinq ou six minutes ; mettons sept et n’en parlons plus !

En moins de temps qu’il en faut à votre fruitier pour transformer d’un coup de pouce discret huit cent cinquante grammes de prunes en un kilo de prunes, j’ai rétabli la situation, liquidé les trois gangsters, mis la main sur la vedette et sauvé Gloria.

Dommage que Gaumont-Actualités n’ait pas été là. Vous parlez d’une édition spéciale qu’ils auraient pu sortir, mes petits camarades de la caméra vadrouilleuse !

Un vrai festival ! Et ils cloquaient la bande à leurs confrères ricains vu que le sauvetage d’une milliardaire, ça plaît toujours chez les Dallassiens.

— Vous n’êtes pas blessée ? je questionne.

— Non, mais j’ai pris un bon bain.

— Vous avez reconnu les bandits ?

— Oui, c’étaient ceux de Cannes.

— Eh bien, ils ne vous embêteront plus…

Elle a un grand rire vorace.

— C’est bien fait pour eux !

On peut pas lui reprocher de pécher par excès de sensiblerie, à Gloria. C’est de la nature d’élite, ça. De la descendance de pionniers ! À voir ses réactions, on pige tout de suite que ses aïeux ont réglé le problème indien en deux coups d’escopette.

— J’ai dans l’idée, ma chérie, que vous allez être tranquille, désormais. Cette bande d’aigrefins est détruite. J’ai dans l’idée que ces trois vilains messieurs étaient nés sous le signe du poisson.

CHAPITRE IV

Moi, vous me connaissez… Je suis d’un naturel plutôt modeste. Pourtant, je dois convenir que lorsqu’une reine mère, un roi, des ministres, des milliardaires, un duc et un lord vous congratulent en vous disant dans toutes les langues que vous êtes un héros, vous sentez le rouge de la Légion d’honneur vous grimper au front via la boutonnière.

Okapis fils fait sabler le champagne pour saluer mon exploit. Ensuite de quoi, il me prend à part et me demande la permission d’écraser l’affaire, vu qu’il ne voudrait pas descendre en flamme la réception de son papa.

Comme ça m’arrange, je réponds « Mais-comment-donc-vous-pensez » et la plus parfaite harmonie règne à bord.

Le commandant, questionné, nous apprend que le steward-kidnappeur a été engagé au dernier moment à Guayaquil pour remplacer un membre du personnel rappelé au chevet de sa mère. Je m’attendais à un truc de ce genre. Le remplaçant battait passeport brésilien et prétendait s’appeler Alonzo Fiasco. Je visite sa maigre cabine et n’y trouve rien d’autre que des vêtements civils achetés à New York et une bouteille de whisky en provenance d’Écosse ce qui, pour une bouteille de scotch, n’est pas un signe particulier.

Quand je reviens au grand salon où Angelo Okapis fait un doigt de gringue à Gloria, histoire de lui faire oublier son aventure, je suis l’objet de nouvelles marques d’estime et d’admiration. La reine Mélanie me dit que la femme possédant un fiancé aussi courageux est la plus comblée des femmes. Je roucoule des trucs modestes en songeant tout bas que si la reine Mélanoche était moins vioque, je me ferais un plaisir de lui échantillonner mes autres qualités. Comme tous les zigs de modeste origine, j’ai toujours rêvé de m’embroquer une souveraine ; un peu pour le sport et itou pour lui prouver qu’à l’horizontale du moins, la démocratie reprend toujours le dessus. Mais cette reine mère va sur les soixante-dix carats et faudrait drôlement lui colmater les brèches pour la rendre présentable. Telle qu’elle est, de la trouver à loilpé sur un pucier, ça me donnerait le sentiment d’être un grand patron dans sa salle d’opération. Avec une dame dans son état (si j’ose dire en causant d’une reine) l’amour fait nettement chirurgie, faut se méfier. Après, même si on réussit l’opération, on a des complexes, et on n’ose plus taquiner les petites pétroleuses toutes neuves, toutes fraîches et bien juteuses.

Pour la nième fois, comme disent les amnésiques, Gloria raconte son odyssée à Homère. Elle suivait le faux steward vers la coursive afin de nettoyer sa robe (qui l’a été au-delà de toute teinturerie !) quand, brusquement, l’homme s’est approché du bastingage en murmurant : « Mais, qu’est-ce qui se passe ? ». Ce qu’entendant, Gloria s’est penchée à son tour. Lors, le salopard l’a empoignée par les chevilles et l’a fait basculer. Avouez que c’est rosse, comme disent les rhinos, non ?