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– Horrible! c’est horrible!…

– Alors, vous saisissez bien, il ne faut pas trop m’en vouloir. Ce fut dans l’intérêt de l’enfant. Quand le comte vint, j’avais épuisé toutes mes ressources; il vit la petite qui était toute pâlotte. Il me dit qu’il était le père, me fit voir des papiers qui le prouvaient, disait-il; enfin il me menaça tout en m’offrant de l’argent si je cédais… et dans une pareille situation…

– Vous lui avez remis l’enfant?

– Cela valait mieux que de la voir mourir de faim.

– Ô misère!…

– Mais cela m’a bien coûté, allez, je puis le dire. On ne comprend combien on aime ces petits êtres-là que lorsque le moment vient de s’en séparer. Et si vous aviez vu comme elle pleurait, comme elle me tendait les bras… avec quelle voix déchirante elle appelait sa mère!…

Miss Stevenson jeta un cri et fondit en larmes, en roulant sa tête dans ses deux mains.

– Sa mère! sa mère! répéta-t-elle d’un accent brisé, et pendant qu’il l’enlevait, on me retenait, moi, dans cette prison où j’ai passé dix années de ma vie à l’appeler et à la pleurer. Ah! ils ne paieront jamais assez cher tout le mal qu’ils m’ont fait.

Mais voyons! voyons! ajouta-t-elle, le temps de la défaillance est passé; il faut avoir le courage de regarder en, face l’épouvantable réalité! Dites-moi, cet homme, le comte de Simier, ne vous a-t-il pas fait connaître en quel lieu il habitait?

– Non.

– Il n’est resté que peu de temps à Québec?

– Deux jours.

– Il était seul?

– Un domestique l’accompagnait.

– Vous savez son nom?

– Il l’appelait Gobson.

– Et lui, ce Gobson, ne vous a rien dit?

– Peu de chose.

– Mais quoi? quoi?

– Il m’a dit qu’il partait avec son maître, qu’ils se rendaient d’abord, à New-York, puis que de là ils iraient dans l’Inde.

– Vous en êtes sûre?

– Oui, Madame.

– C’est bien! cela suffit. Vous êtes une brave femme, Jenny Turner, et je vous remercie pour les soins vous avez donnés à mon enfant. Il n’a pas dépendu de vous de le garder plus longtemps, et je ne vous rendrai pas responsable de la méchanceté et de l’infamie des autres. Prenez ceci, et quelquefois priez Dieu pour qu’il m’accorde de revoir et d’embrasser un jour ma fille!

Et, prenant la tête de la vieille, dans ses mains, elle l’embrassa à plusieurs reprises, et partit en courant vers le quai où était amarré le bateau qui l’avait amenée.

Quand, une heure après, elle monta à bord, de l’Atalante, tous les préparatifs de la cérémonie funèbre étaient terminés.

Le cercueil, recouvert d’un drap noir, avait été descendu dans la chaloupe; les matelots se tenaient à leur poste, les avirons levés; Gaston de Pradelle occupait l’arrière où une place était réservée pour miss Stevenson.

Dès qu’elle eut embarqué, la chaloupe s’éloigna, se dirigeant vers le bourg de Smeaton où le service devait être dit.

Ce fut du reste fort court et fort simple.

Quand on partit pour le cimetière, Gaston de Pradelle suivit le cercueil, donnant le bras à miss Stevenson.

Derrière venait Maxime de Palonier, précédant les matelots de l’Atalante; puis quelques curieux du bourg, et au dernier rang le capitaine Palmer.

Le cimetière n’était pas éloigné de Smeaton. La fosse avait été creusée pendant la nuit. Le prêtre catholique la bénit, et chacun à son tour alla jeter l’eau sainte dans le trou noir.

Miss Stevenson sanglotait.

Pourtant, une fois la cérémonie achevée, elle se releva ferme et résolue, et secoua énergiquement le front, comme si elle eût voulu, au seuil de cette tombe, chasser toutes les mauvaises pensées qui l’assaillaient.

Elle venait de dire adieu à son père, et peut-être lui avait-elle pardonné.

Maintenant elle ne voulait plus songer qu’à son enfant.

Elle descendit vers la crique, sans précisément se rendre compte de ce qu’elle faisait, tant elle était absorbée et soucieuse.

Gaston respectait son silence. Ce ne fut qu’en arrivant près de la chaloupe qu’elle parut revenir à elle.

Elle regarda avec étonnement autour d’elle, et par un mouvement spontané et pour ainsi dire irréfléchi, elle tendit les deux mains au jeune commandant.

– Quelle reconnaissance ne vous dois-je pas!… dit-elle avec abandon, pour toutes les bontés que vous avez eues pour moi!

– Je n’ai fait que mon devoir, Madame, répondit Gaston d’un ton ému, et tout autre à ma place…

– Non! non! ne cherchez pas à vous dérober à ma reconnaissance, en diminuant le service que vous m’avez rendu… Moi du moins, Monsieur, je n’oublierai jamais le jour où j’ai eu le bonheur de vous rencontrer… et, en vous disant adieu…

– Qu’allez-vous faire?

– Oh! ma conduite est toute tracée.

– Vous avez vu Jenny Turner?

– Oui, Monsieur.

– Que vous a-t-elle dit?

– Des choses bien vagues, en réalité; mais il n’en faut pas tant à une mère qui veut retrouver son enfant.

– Où irez-vous?

– Tout à l’heure, je vais retourner à Québec: dans quelques jours, j’aurai, gagné New-York, et de là…

– De là?…

– À moins que Dieu ne m’abandonne tout à fait, avant que l’année se soit écoulée, j’aurai rejoint le comte de Simier, et il faudra bien qu’il m’apprenne ce qu’il a fait de ma fille!

– Alors, vous n’avez plus rien à réclamer de moi!

– Non, Monsieur, non. Mais du plus profond de mon cœur, merci encore une fois pour tout le bien que vous m’avez fait.

Puis, comme si elle eût eu regret de le quitter déjà, elle retint sa main, et oublia son regard sur son front.

– Vous avez un père? dit-elle d’un accent troublé.

– Non, Madame, répondit Gaston, un peu surpris de la question.

– Au moins, votre mère vit.

– Mon père et ma mère sont morts.

– Eh bien! reprit-elle, à votre âge, la vie commence à peine, et plus d’un bonheur vous est réservé en ce monde. Vous serez aimé un jour, bientôt peut-être, par quelque femme digne de vous, et, d’avance, j’appelle sur celle que vous aurez choisie toutes les bénédictions du Dieu juste et bon.

Et ayant ainsi parlé, elle s’éloigna d’un pas rapide et disparut bientôt sans oser regarder en arrière.

– Malheureuse femme! murmura Gaston.

– Malheureuse femme, sans doute, répliqua Maxime qui marchait à ses côtés; mais, tout de même, elle vous a un regard à donner le frisson, et je ne voudrais pas être à la place de M. le comte de Simier le jour où elle le repincera.

– Mais le repincera-t-elle? fit Gaston en souriant malgré lui au dernier mot de son ami.

Celui-ci eut un geste insouciant.

– Ça, c’est son affaire, répondit-il. Mais je serais assez curieux de voir la tête que fera le comte, quand il se trouvera en présence de la mère de l’enfant!