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La jeune femme garda le silence et serra tendrement la main de son mari.

– Vous avez raison, dit-elle au bout d’un instant; je vous ai aimé assez pour vous pardonner une défaillance que votre jeunesse expliquait, et je ne veux me rappeler que, le bonheur que vous m’avez donné depuis… Seulement, vous le voyez, mon ami, je n’avais pas tout à fait tort quand j’insistais pour que votre fille Edmée restât encore au couvent. Sa présence ici peut nous créer bien des embarras, bien des tourments, et j’espère que vous jugerez vous-même opportun de vous rendre à mes raisons.

– La pauvre enfant sera bien malheureuse! objecta Beaufort, dont le front se rembrunit; elle croira que nous ne l’aimons pas… que nous voulons l’éloigner de nous.

– Quelle folie! répliqua la jeune femme; Edmée est une fille sérieuse; elle aime peu le monde, elle recherche la solitude; le bruit l’effraye; et je suis bien certaine que nous ferons plus pour son bonheur en agissant comme je le désire qu’en l’obligeant à une existence de plaisirs qui n’est qu’une fatigue et un ennui pour elle.

Mais ce n’est point le moment de traiter un sujet aussi grave; vous y réfléchirez, et nous en reparlerons. Ne restons pas plus longtemps seuls ainsi; le monde nous réclame et nous nous devons à lui; demain, nous reprendrons cet entretien, et d’ici là, ne nous occupons que de nos hôtes et de leurs plaisirs.

Pendant ce rapide colloque, Gaston de Pradelle avait pénétré dans le salon où l’on allait danser, et une vive sensation le prenait au cœur, chaque fois qu’il sentait le bras d’Edmée, s’appuyer sur le sien.

Le jeune capitaine de frégate avait peu changé depuis que nous l’avons présenté au lecteur.

Seulement, ses traits s’étaient accentués davantage; son regard avait pris plus de fermeté et d’aisance, sans que la douceur mélancolique, qui était son charme particulier, en eût été altérée: sous l’uniforme qu’il portait, sa taille se dégageait élégante et forte, et il y avait dans sa démarche, dans chacun de ses mouvements, une distinction personnelle qui s’imposait naturellement, sans raideur et sans morgue. L’effet qu’il produisit fut profond. La plupart des invités de monsieur et madame de Beaufort le connaissaient de nom. Depuis quelques années il avait été souvent cité dans les relations des explorations de notre marine, et il était considéré comme destiné au plus brillant et au plus rapide avenir.

Si l’on ajoute à ces différentes causes la modestie exquise de ses allures et l’espèce de timidité qui était le fond de son caractère réservé et peut-être un peu sauvage, on aura l’explication de la séduction qu’il exerça ce soir-là, tant sur les hommes graves qui se trouvaient rue de la Étrange qu’auprès des femmes, pour lesquelles il avait tout l’attrait de l’inconnu!

Cependant Edmée avançait, partagée entre divers sentiments qu’elle n’avait jamais éprouvés et qui furent une longue surprise pour elle.

Il y avait quelques mois à peine qu’elle était sortie du couvent, et depuis elle avait vécu retirée, presque solitaire, ne cherchant pas à se mêler à la vie qui faisait tant de tapage autour d’elle.

Tout était nouveau pour ses yeux et pour son cœur; à chaque pas qu’elle faisait elle se heurtait à certaines énigmes, dont elle eût vainement tenté de démêler le sens mondain.

Naïvement, elle attendait que la révélation vînt, et, jusqu’alors, rien n’avait troublé la paix sereine dont elle jouissait.

Elle était née soumise et confiante et obéissait simplement à ce qui lui était ordonné, sans se douter que l’on put se révolter devant de pareilles conditions?

Son père l’avait reprise au couvent, et elle en était sortie comme elle y était entrée, sans plaisir comme sans murmure.

Ce jour-là, on lui avait dit de s’habiller pour la fête que l’on donnait, et elle était arrivée, ignorant, pour ainsi dire, ce qui allait se passer et ne comprenant pas la joie enfantine qui éclatait sur le front de sa sœur.

Toutefois, quand, sollicitée par Gaston et autorisée par son père, elle sentit qu’on l’entraînait vers cette foule compacte et serrée; quand, pour la première fois de sa vie, elle se trouva seule aux bras d’un jeune homme qu’elle ne connaissait pas, auquel elle n’avait jamais parlé, une émotion inattendue la saisit par tous les sens, et elle ressentit quelque chose qui ressemblait à de la peur et où il y avait comme un frissonnement de plaisir.

Elle voulut regarder Gaston, et tout aussitôt elle baissa les yeux, pendant qu’une vive rougeur montait à ses joues.

Quand les deux jeunes gens prirent place au quadrille ils n’avaient pas échangé une parole, tant ils étaient troublés l’un et l’autre.

Mais Gaston ne tarda pas à comprendre qu’une pareille situation ne pouvait se prolonger plus longtemps sans devenir ridicule, et il se décida à rompre le silence.

– Vous ne sauriez croire, Mademoiselle, dit-il, combien je suis heureux d’avoir été accueilli avec tant de bienveillance par madame de Beaufort.

– C’est cependant bien naturel, Monsieur, répondit Edmée en s’enhardissant de son mieux; d’après les paroles qu’a dites ma mère tout à l’heure, vous avez connu dans l’Inde quelques membres de notre famille?

– Oui, Mademoiselle, les Wilson de Calcutta; de véritables nababs, qui ont conservé sous ces latitudes lointaines les habitudes d’hospitalité de l’Angleterre.

– Vous êtes resté longtemps dans ce pays?

– Un mois à peine.

– Vous avez beaucoup voyagé?

– J’ai passé presque tout mon temps à la mer, depuis dix ans au moins.

– Ce doit être là une existence pleine d’enchantement. Voir des pays ignorés, visiter des contrées neuves, pour ainsi dire inconnues! Il me semble qu’il n’y a rien de comparable à cela!

Gaston ébaucha un sourire.

– Détrompez-vous, Mademoiselle, répondit-il; à distance, oui, peut être; il y a certaines illusions d’optique auxquelles on se laisse prendre. Mais, en réalité, si vous saviez quel vide cela fait au cœur. Être toujours seul, en face de l’immensité, loin du pays où l’on voudrait toujours revenir et où l’on ne revient que pour s’éloigner de nouveau! C’est là, croyez-moi, une existence qui n’a rien d’enviable.

– Pourquoi alors ne quittez-vous pas cette carrière?

– Pourquoi? mais parce que je ne suis pas, moi, comme les autres hommes; parce que ceux que j’aurais pu aimer m’ont quitté, parce que, quand je reviens en France après avoir supporté mille fatigues, affronté mille dangers, personne n’est là pour m’attendre au retour et que le seul souvenir qui me rattache à la vie est enfermé dans les deux chères tombes où tout mon cœur se réfugie!

– Eh quoi! votre famille…

– Il y a plus de quinze années que mon père et ma mère sont morts.

Edmée se prit à frissonner à ces paroles et, cette fois, son regard attendri s’oublia quelques secondes sur le front du jeune marin.

Mais cela fut rapide comme l’éclair; elle n’eut pas le temps de s’y abandonner.

C’était à elle de figurer, et elle quitta son cavalier, pour se mêler au quadrille.