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Orson Scott Card

La rédemption de Christophe Colomb

Pour Tom Doherty,

l’éditeur venu de la planète Krypton :

son cœur est d’or,

sa parole d’acier,

et il connaît le terrain.

Merci du fond du cœur :

À Clark et Kathy Kidd, pour m’avoir fourni une excellente compagnie, une ermitage « virtuel », et pour les réactions à chaud, quoique pesées, de Kathy sur plusieurs chapitres ;

À Henrique Flory, voyageur, source d’aide et d’inspiration ;

Aux citoyens de Hatrack River sur America Online, pour m’avoir placé devant des dilemmes dont j’ignorais jusqu’à l’existence ;

À Richard Gilliam, pour avoir eu la patience d’attendre la version longue de l’histoire d’Atlantis ;

À Don Grant, pour tout un tas de superbes livres et pour avoir su attendre un roman dont la création a défié le calendrier ;

À Michael Lewis, pour la mer Rouge ;

À Dave Dollahite, pour les Mayas ;

Des reproches à Sid Meyer, à cause du jeu Civilisation qui a gravement perturbé ma capacité à me concentrer sur un travail productif (mais je le recommande à tous ceux qui voudraient savoir ce qu’on éprouve à modifier l’Histoire) ;

Merci à mes assistants Kathleen Bellamy et Scott Allen pour d’innombrables coups de main, grands et petits ;

Comme toujours, à Kristine, qui rend l’existence vivable, et à Geoff, Em, Charlie Ben et Zina, qui lui donnent son sens.

Prologue

Certains parlaient de « l’ère de la réparation » ; d’autres, se préférant plus optimistes, de « replantation », de « restauration ». voire de « résurrection » de la Terre. Toutes ces descriptions étaient exactes. Beaucoup de mal avait été fait et, aujourd’hui, on le réparait. Bien des espèces étaient mortes, avaient été dégradées ou éliminées, et à présent le monde revenait à la vie.

Telle était l’œuvre à laquelle se consacrait toute la planète : on réincorporait des substances nutritives dans le sol des vastes forêts équatoriales afin que les arbres puissent croître à nouveau ; le pâturage était désormais interdit aux confins des immenses déserts d’Afrique et d’Asie et l’on y plantait de l’herbe pour que la steppe puis la savane reconquièrent peu à peu des territoires abandonnés à la pierre et au sable. Du haut de leur orbite, les stations météo ne pouvaient certes pas modifier le climat, mais elles donnaient assez souvent un petit coup de pouce aux vents pour que plus aucune région de la Terre ne souffre de sécheresse, d’inondations subites ni de manque d’ensoleillement. Dans de grandes réserves, les animaux survivants réapprenaient à vivre dans la nature. Toutes les nations avaient droit et accès aux sources d’alimentation et plus personne ne redoutait la famine. Chaque enfant recevait un enseignement de qualité et chacun, homme et femme, avait une honnête chance de faire un jour ce à quoi tendaient ses talents, ses passions et ses désirs.

Elle aurait dû être heureuse, cette époque où l’humanité avançait hardiment vers un avenir où le monde serait régénéré, la vie vécue dans le confort, sans le remords de l’avoir acquis au détriment de quiconque. Et pour beaucoup – pour la plupart, peut-être –, elle l’était. Mais nombreux étaient ceux qui restaient incapables de tourner le dos aux ombres du passé : trop d’espèces avaient disparu sans espoir de résurrection ; trop de gens, trop de nations gisaient enfouis dans l’humus du passé ; à une époque, la planète grouillait de sept milliards de vies humaines ; aujourd’hui, le dixième de cette population soignait les jardins de la Terre. Les survivants ne pouvaient effacer de leur mémoire un siècle de guerres, d’épidémies, de sécheresses, de crues, de famines, de fureur éperdue qui ne menaient qu’au désespoir. On ne pouvait faire un pas sans marcher sur une tombe ; c’est du moins le sentiment qu’on éprouvait.

Ce n’étaient donc pas seulement les forêts et les prairies qu’on ramenait à la vie : les gens cherchaient aussi à retrouver les souvenirs perdus, les histoires, les chemins entrelacés que les hommes et les femmes avaient suivis et qui les avaient conduits à la grandeur comme à la honte. On fabriqua des machines qui permettaient de voir dans le passé, tout d’abord les grands changements qui avaient balayé les siècles, puis, à mesure que l’on perfectionnait les instruments, les visages et les voix des morts.

Il était naturellement impossible de tout enregistrer : les vivants n’étaient pas assez nombreux pour observer tous les actes des morts. Mais, en donnant des coups de sonde çà et là, en suivant telle question jusqu’à sa réponse, tel empire jusqu’à sa disparition, les hommes et les femmes de l’Observatoire du temps pouvaient rapporter des récits à leurs concitoyens, les fables que l’on découvrait authentiques et qui expliquaient l’ascension et le déclin des nations, la jalousie, la colère et l’amour qui motivaient les gens, le rire des enfants au soleil et leur frayeur à la nuit noire.

L’Observatoire du temps exhumait tant d’histoires oubliées, reproduisait tant d’œuvres d’art perdues ou endommagées, retrouvait tant de coutumes, de modes, de plaisanteries et de jeux, tant de religions et de philosophies qu’on en venait parfois à croire futile de vouloir inventer quoi que ce soit. Toute l’histoire du monde devenait, semblait-il, accessible, et pourtant l’Observatoire du temps avait à peine effleuré la surface du passé, et la plupart des Observateurs rêvaient d’un avenir sans limite voué à l’exploration du temps.

Le gouverneur

Une fois seulement, Colomb désespéra d’accomplir son voyage. Ce fut la nuit du 23 août, dans le port de Las Palmas, sur l’île de Grande-Canarie.

Après des années de lutte, les trois caravelles avaient enfin quitté Palos, pour se heurter presque aussitôt à des ennuis. À force de fréquenter tant de prêtres et de gentilshommes des cours d’Espagne et du Portugal qui lui faisaient risette puis essayaient de l’abattre dès qu’il avait le dos tourné, Colomb avait eu du mal à se convaincre qu’il ne s’agissait pas de sabotage lorsque le gouvernail de la Pinta s’était détaché et avait failli se briser. Après tout, Quintero, le propriétaire du navire, était tellement inquiet de voir son petit bâtiment lancé dans cette aventure qu’il s’était enrôlé à bord en tant que simple marin, rien que pour garder l’œil sur son bien ; et Pinzón avait confié à Colomb avoir vu un groupe d’hommes rassemblés à la poupe de la Pinta au moment où l’on mettait à la voile. Pinzón avait lui-même rajusté le gouvernail en pleine mer, mais la réparation avait lâché dès le lendemain. Furieux, il avait néanmoins juré à Colomb que la Pinta le retrouverait à Las Palmas au bout de quelques jours.

Colomb avait une telle confiance dans la compétence de Pinzón et dans son attachement à la réussite du voyage qu’il ne s’était plus inquiété de la Pinta et avait fait route avec la Santa María et la Niña vers l’île de Gomera, dont Béatrice de Bobadilla était gouverneur. C’était une rencontre dont il rêvait depuis longtemps, l’occasion de célébrer sa victoire sur la cour d’Espagne en compagnie de quelqu’un qui désirait le voir réussir et n’en avait jamais fait mystère. Malheureusement, dame Béatrice n’était pas là. Et, forcé de ronger son frein en l’attendant, il lui fallait en outre supporter deux mortifications intolérables.

L’une consistait à devoir écouter poliment les gentilshommes sans envergure de la petite cour de Béatrice, lesquels ne cessaient de lui rapporter les inventions les plus consternantes, celle par exemple concernant la vague image d’une île bleutée qu’on apercevrait vers l’ouest par certains jours de beau temps, du haut de l’île de Ferro, la plus occidentale des Canaries – comme si aucun bateau ne s’était jamais aventuré aussi loin vers l’ouest ! Mais Colomb avait appris à sourire et acquiescer devant la bêtise la plus criante, car, sans ce talent, on ne survivait pas à la cour, et il avait résisté non seulement à la cour de Ferdinand et d’Isabelle et à leurs déplacements, mais aussi à celle, plus rassise et plus hautaine, de Jean du Portugal. Et, ayant attendu plusieurs dizaines d’années les navires, les hommes, le ravitaillement et, surtout, la permission pour entreprendre ce voyage, il pouvait bien endurer quelques jours de plus la conversation de gentilshommes sans cervelle. Pourtant, il serrait parfois les dents pour ne pas leur jeter au visage qu’ils devaient être totalement inutiles aux yeux de Dieu et de quiconque s’ils n’avaient rien à faire de mieux de leur existence que de traînasser à la cour du gouverneur de Gomera alors même qu’il était absent. Nul doute qu’ils amusaient Béatrice – elle avait, d’une langue acérée, exprimé ce qu’elle pensait de la valeur de la plupart des membres de la chevalerie lors d’une conversation avec Colomb à la cour royale de Santa Fe. Elle devait sans cesse leur planter d’ironiques banderilles dont ils ne se rendaient même pas compte qu’elles étaient ironiques !