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— Guère », répondit Cristoforo. Inutile de promettre davantage qu’il ne pouvait tenir : le capitaine avait le droit de savoir sur qui compter ou ne pas compter. « Je porte l’épée pour le respect qu’elle inspire.

— Ces pirates ne respecteront la vôtre que dégoulinante de sang. Comment vous débrouillez-vous au lancer ?

— Je savais jeter des pierres quand j’étais enfant.

— Ça me va. Si la situation tourne mal, il nous reste un ultime espoir : nous allons remplir des récipients d’huile. Nous y mettrons le feu et les projetterons sur les navires pirates. Ils auront du mal à se battre contre nous avec leurs ponts en feu.

— Oui, mais, pour ça, il faut qu’ils soient terriblement près de nous, non ?

— Je vous l’ai dit : nous n’employons ce moyen que lorsque les choses se présentent mal.

— Et qu’est-ce qui empêchera les incendies de se propager à nos propres navires si les leurs sont en flammes ? »

Le capitaine le toisa, glacial. « Encore une fois, le but est de faire de nous un gibier sans intérêt. » À nouveau, il se tourna vers les voiles des corsaires, loin derrière eux et à l’écart de la côte. « Ils essayent de nous coincer contre le rivage, dit-il. Si nous arrivons à passer le cap Saint-Vincent, nous pourrons virer au nord et les semer. Jusque-là, ils vont s’efforcer de nous intercepter lorsque nous louvoierons vers le large ou de nous jeter à la terre lors de la manœuvre inverse.

— Eh bien, tirons tout de suite vers le large, fit Cristoforo. Eloignons-nous le plus possible de la côte. »

Le capitaine soupira. « Ce serait le plus avisé, mon ami, mais l’équipage ne l’acceptera pas. Les hommes n’aiment pas perdre la terre de vue en cas de combat.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’ils ne savent pas nager. Tout ce qu’ils peuvent espérer, si nous n’avons pas l’avantage, c’est s’accrocher à une épave flottante.

— Mais si nous ne nous écartons pas de la côte, comment prendre l’avantage ?

— En de pareilles circonstances, n’attendez pas des marins qu’ils se montrent rationnels. Et une chose est sûre : on ne force pas un équipage à aller là où il ne veut pas aller.

— Ils ne se mutineraient pas, tout de même !

— S’ils croyaient que je les mène à la mort, ils jetteraient le navire à la côte et abandonneraient la cargaison aux pirates. C’est mieux que de finir noyé ou vendu comme esclave. »

Cristoforo n’y avait jamais pensé. La situation ne s’était présentée dans aucun de ses précédents voyages et les marins n’en parlaient pas lorsqu’ils étaient à quai, à Gênes. En ces occasions, ils se montraient téméraires, tout feu tout flamme. Et, quant à cette idée que le capitaine ne pouvait pas les mener partout où il l’ordonnait… Cristoforo la rumina pendant des jours, cependant que les corsaires les suivaient et les repoussaient toujours plus près de la terre.

« Des Français », dit le navigateur.

Aussitôt, un marin près de lui fit : « Coullon. »

Cristoforo sursauta. À Gênes, il avait assez souvent écouté bavarder des Français, malgré l’hostilité des Génois à l’égard d’un pays qui avait plus d’une fois pillé leurs quais et tenté d’incendier leur cité, pour savoir que « Coullon » était la version française de son patronyme : Colombo ou, en latin, Columbus.

Mais le marin qui avait parlé n’était pas français et paraissait inconscient du sens que ce nom pouvait avoir pour Cristoforo.

« C’est peut-être Coullon, répondit le navigateur. Vu son audace, il y a plus de chances que ce soit le diable ; mais ne dit-on pas que Coullon est le diable en personne ?

— Et tout le monde sait que le diable est français ! » lança un matelot.

Tous ceux qui étaient à portée d’oreille éclatèrent de rire, mais sans joie réelle. Et le capitaine tint à montrer à Cristoforo où se trouvaient les bombes incendiaires une fois que le mousse les eut préparées. « Ayez toujours du feu sur vous, recommanda-t-il. C’est ça, votre épée, signor Cristoforo, et celle-là, ils la respecteront. »

Coullon le pirate s’était-il amusé avec eux ? Fut-ce pour cela qu’il les laissa conserver leur avance jusqu’à ce que le cap Saint-Vincent, porteur d’espoir, soit en vue ? En tout cas, il n’eut aucun mal, à ce moment, à réduire la distance entre les deux flottes et à barrer la route aux marchands avant qu’ils puissent contourner le cap et virer au nord dans l’Atlantique.

Impossible de coordonner la défense des navires : chaque capitaine devait se débrouiller seul pour remporter la victoire. Celui du bateau de Cristoforo comprit tout de suite que, s’il gardait la même trajectoire, il allait se faire jeter à terre ou aborder presque aussitôt. « Pare à virer ! cria-t-il. Mettez-nous le vent dans le dos ! »

C’était une stratégie téméraire, mais les marins la comprirent et les autres bâtiments, voyant la manœuvre, l’imitèrent. Il allait falloir passer au milieu des corsaires, mais, en s’y prenant bien, la pleine mer devrait s’ouvrir devant eux, avec un vent favorable et les corsaires dans le dos. Cependant, Coullon n’était pas un imbécile et il rameuta ses corsaires juste à temps pour lancer des grappins aux marchands génois qui traversaient sa flotte.

Tandis que les pirates tiraient sur les cordes pour rapprocher les navires, Cristoforo put constater que le capitaine avait eu raison : l’équipage ne brillerait guère au combat. Oh, certes, les hommes se battraient vaillamment car c’était leur vie qu’ils défendaient ; mais il y avait du désespoir au fond de leurs yeux et ils tremblaient visiblement à l’idée du massacre à venir. Il entendit un solide matelot s’adresser au mousse : « Prie Dieu de te faire tuer. » Ce n’était guère encourageant, non plus que l’impatience évidente des pirates d’en découdre.

Cristoforo prit le boutefeu dans le pot de braises, s’en servit pour allumer deux bombes puis, en les tenant serrées contre lui bien qu’elles roussissent son pourpoint, il monta sur le gaillard d’avant, d’où il aurait une meilleure vue de sa cible. « Capitaine ! cria-t-il. Maintenant ? »

L’homme ne l’entendit pas – on hurlait trop autour du gouvernail. Qu’importait ? la situation était visiblement critique et plus les corsaires se rapprochaient, plus le risque grandissait de mettre le feu aux deux navires. Il jeta la bombe.

Il avait le bras solide et il avait visé juste, assez juste en tout cas : le récipient se fracassa sur le pont du corsaire en éclaboussant le bois de flammes ; on eût dit une explosion de teinture orange vif. En quelques instants, elles escaladèrent les écoutes en dansant et s’attaquèrent aux voiles ; du coup, les pirates cessèrent de rire et de pousser des cris victorieux, mais ils redoublèrent d’efforts pour tirer sur les cordes des grappins et Cristoforo se rendit compte que leur seul espoir, naturellement, maintenant que leur propre navire était la proie du feu, était de s’emparer du marchand.

Il se retourna et vit qu’un autre corsaire, également accroché à un bâtiment génois, se trouvait assez près pour y mettre le feu. Il fut moins précis cette fois : la bombe tomba dans l’eau. Mais le mousse avait entrepris d’allumer les récipients d’huile et de les lui passer ; Cristoforo parvint à en projeter deux sur le pont du navire ennemi et deux autres sur celui qui s’apprêtait à l’abordage de son propre bateau.

« Signor Spinola, dit-il, pardonnez-moi de perdre votre cargaison. »