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Il ne trouva rien à répondre. Elle avait raison.

Elle éclata d’un rire moqueur. « Sale hypocrite ! dit-elle. Tu as fait exactement comme moi : tu as conçu la partie mésoaméricaine du plan de telle façon que tu sois le seul à pouvoir l’exécuter ! »

Elle avait encore raison. « Comme candidat, je suis aussi bon que toi – meilleur même, parce que je suis maya.

— Et plus grand de trente centimètres que les Mayas et les Zapotèques de l’époque, repartit-elle.

— Je parle deux dialectes mayas, le nahuatl, le zapotèque, l’espagnol, le portugais et deux des principaux dialectes tarasques. Tous tes arguments s’appliquent à moi. En outre, je connais toutes les technologies que nous allons essayer d’introduire et l’historique détaillé de chacun des personnages à qui nous aurons affaire. Je suis le seul candidat possible.

— Je sais, fit Diko. Je l’ai su avant toi. Tu prêches une convaincue.

— Ah !

— Tu es vraiment un sale hypocrite ! dit-elle d’une voix où perçait l’émotion. Tu étais tout prêt à y aller en t’attendant à me voir rester sagement ici ! Tu croyais vraiment que nous allions nous marier, avoir un enfant, après quoi je te laisserais partir, dans l’infime espoir que notre avenir continuerait d’exister tandis que tu accomplirais ton destin dans le passé ?

— Non. Je n’ai jamais sérieusement envisagé le mariage.

— Alors quoi, Hunahpu ? Une petite liaison sordide loin des yeux de tout le monde ? Je ne suis pas ta Béatrice, Hunahpu ! J’ai à faire de mon côté. Et, au contraire des Européens comme apparemment des Indiens, je sais que vivre avec quelqu’un sans l’épouser, c’est renier la communauté, refuser son rôle dans la société. Je ne veux pas m’accoupler comme un animal, Hunahpu ! Quand je me marierai, ce sera comme un être humain. Et ce ne sera pas dans le courant temporel actuel. Si je me marie un jour, ce sera dans le passé parce qu’il n’y a que là que j’aie un avenir. »

Hunahpu l’écoutait, le cœur lourd. « Les chances sont bien minces que nous vivions assez longtemps dans le passé pour nous retrouver, Diko.

— Et c’est bien pourquoi, mon ami, je refuse toutes tes invitations à prolonger notre amitié hors de ces murs. Nous n’avons pas d’avenir.

— C’est tout ce qui compte pour toi ? Le passé, l’avenir ? Tu ne laisses pas la moindre place au présent ? »

Encore une fois, des larmes roulèrent sur les joues de Diko. « Non », dit-elle.

Du pouce, il lui essuya le visage, puis se stria les joues des larmes de la jeune fille. « Je n’aimerai jamais personne d’autre que toi, fit-il.

— C’est ce que tu prétends aujourd’hui, répondit-elle. Mais je te délivre de cette promesse et je te pardonne dès maintenant l’amour que tu donneras à une autre, une autre que tu épouseras. Si nous devons nous rencontrer, nous serons amis, nous nous réjouirons de nous revoir et nous ne regretterons pas un instant de ne pas avoir fait de bêtise aujourd’hui.

— Oh que si, nous le regretterons. Diko. Moi, en tout cas, je le regretterai. Je le regrette déjà, je le regretterai plus tard et toujours. Parce qu’aucun de ceux que nous rencontrerons dans le passé ne comprendra ce que nous sommes, qui nous sommes vraiment, comme nous nous comprenons aujourd’hui. Personne n’aura partagé nos buts ni travaillé aussi dur pour nous aider à les réaliser que nous l’avons fait l’un pour l’autre. Personne ne te connaîtra ni ne t’aimera comme moi. Et, même si tu as raison et qu’il n’y ait pas d’avenir pour nous, je préférerais pour ma part affronter l’avenir qui m’attend en me souvenant que nous nous sommes aimés quelque temps.

— Alors c’est que tu es un idiot romantique, comme l’a toujours dit maman !

— Elle a dit ça ?

— Maman ne se trompe jamais. Elle a dit aussi que jamais je n’aurais de meilleur ami que toi.

— En effet, elle avait raison.

— Sois un véritable ami, Hunahpu : ne me reparle plus jamais de ça. Travaille avec moi et, quand l’heure sera venue d’aller dans le passé, accompagne-moi. Que notre mariage soit l’œuvre que nous accomplissons ensemble, et nos enfants l’avenir que nous créons. Laisse-moi me donner au mari que j’aurai sans que vienne s’interposer le souvenir d’un autre époux ou d’un autre amant. Que ton amitié me permette de faire face à mon avenir avec confiance et non avec culpabilité, que ce soit pour t’avoir refusé ou accepté. Veux-tu faire ça pour moi ? »

Non ! cria Hunahpu intérieurement. Ce n’est pas nécessaire, nous ne sommes pas obligés d’en passer par là ! Nous pouvons être heureux aujourd’hui et rester heureux dans l’avenir ! Tu te trompes, tu prends tout de travers !

Oui, mais si elle était persuadée que le mariage ou une liaison la rendrait malheureuse, elle serait malheureuse ; par conséquent, elle avait raison – en ce qui la concernait – et aimer Hunahpu serait une erreur – en ce qui la concernait. Aussi… l’aimait-il ou voulait-il seulement se l’approprier ? Était-ce son bonheur à elle qu’il cherchait ou la satisfaction de ses désirs à lui ?

« D’accord, dit-il. Je ferai ça pour toi. »

Alors, et alors seulement, elle l’embrassa ; elle se pencha vers lui et l’embrassa sur les lèvres, un long baiser mais dépourvu de passion. Un baiser d’amour tout simple, un seul baiser, puis elle s’en alla et le laissa plongé dans l’affliction.

Sombres avenirs

Le Père Talavera avait prêté l’oreille à tous les arguments, présentés sur le mode éloquent, méthodique, parfois passionné, mais, il le savait depuis le début, c’était sur la personnalité de Colon lui-même qu’il forgerait sa décision. Ils l’écoutaient depuis tant d’années – sans oublier de le chapitrer – qu’ils n’en pouvaient plus de ces conversations éternellement répétées. Au bout de tant d’années, depuis que la reine lui avait demandé de diriger l’examen des requêtes de Colon, rien n’avait changé : Maldonado paraissait toujours considérer l’existence même de Colon comme un affront, tandis que Deza semblait presque ensorcelé par le Génois. Les autres continuaient à se ranger derrière l’un ou l’autre, ou, à l’instar de Talavera, à demeurer neutres. À se vouloir neutres plutôt ; en réalité, telles les herbes d’une prairie, ils ondoyaient de-ci de-là selon le vent. Combien de fois chacun d’eux était venu le voir en privé pendant de longues minutes – des heures parfois – pour lui expliquer ses vues, qui se résumaient toujours à la même conclusion : chacun était d’accord avec tout le monde.

Seul, je suis véritablement neutre, songea Talavera ; seul, je demeure inébranlable devant les arguments quels qu’ils soient ; seul, je puis écouter Maldonado citer des extraits d’ouvrages oubliés depuis longtemps – rédigés dans des langages si obscurs qu’on peut légitimement se demander s’ils n’étaient pas employés par les seuls auteurs de ces textes –, seul, je puis l’écouter et n’entendre que la voix d’un homme acharné à empêcher la moindre idée nouvelle de fracasser l’image parfaite qu’il se fait du monde. Seul, je puis écouter Deza pérorer sur le génie dont a fait preuve Colon pour découvrir des vérités trop longtemps négligées par les savants, et n’entendre que la voix d’un homme qui se rêve en chevalier errant des romans d’autrefois, défenseur d’une cause qui doit sa noblesse au seul fait qu’il en est le champion.