Выбрать главу

Hunahpu s’accroupit et prit la torche à haute intensité posée entre ses pieds, au fond d’un panier. « Les seigneurs de Xibalba m’ont confié ce panier de lumière. Il contient un petit morceau du soleil, mais il n’obéit qu’à moi. » Il leur braqua le faisceau dans les yeux pour les éblouir, puis enfonça un doigt dans un trou du panier et l’appuya sur la plaque identificatrice. La lumière s’éteignit. Inutile de vider les batteries – le « panier de lumière » n’aurait qu’une durée de vie limitée, malgré les collecteurs solaires qui le flanquaient, et Hunahpu préférait l’économiser.

« Lequel d’entre vous veut porter les présents que les seigneurs de Xibalba ont faits à Un-Hunahpu lorsqu’il est apparu sur ce monde pour vous annoncer la venue du roi ? »

Bientôt, tous, emplis de révérence, se retrouvèrent chargés des sacs de matériel dont Hunahpu aurait besoin au cours des mois à venir : fournitures médicales pour quelques guérisons bien choisies, armes pour se défendre lui-même et démoraliser les armées ennemies, outils, ouvrages de référence encodés numériquement, costumes de circonstance, équipement de plongée, bref toutes sortes de petits tours de magie bien pratiques.

Le trajet ne fut pas agréable : à chaque pas, le poids des aiguilles de métal lui tirait sur la peau, ouvrait un peu plus ses blessures et aggravait le saignement. Hunahpu envisagea un instant de tenir sans attendre la cérémonie du retrait des épines, puis rejeta cette idée : c’était Na-Yaxhal, le père de Yax, qui était le chef du village et, pour consolider son autorité et l’installer dans la relation idoine avec Hunahpu, c’est lui qui devait retirer les aiguilles. Aussi Hunahpu continua-t-il d’avancer pas à pas, en espérant que la perte de sang resterait bénigne et en regrettant de n’avoir pas organisé la rencontre plus près du village.

Lorsque leur destination fut en vue, Hunahpu y envoya Yax avec les yeux d’Uitzilopochtli. Il ferait sans doute un méli-mélo de ce que lui avait expliqué Hunahpu, mais le sens général demeurerait probablement, et le village, prévenu, l’attendrait.

Et, de fait, il était attendu : tous les hommes étaient là, lance à la main, prête à servir, tandis que les femmes et les enfants avaient couru se cacher dans la forêt. Hunahpu jura : il avait choisi ce village parce que Na-Yaxhal était intelligent et imaginatif ; sachant cela, comment Hunahpu avait-il pu croire qu’il prendrait pour argent comptant l’histoire d’un roi maya venu de Xibalba ?

« N’avance plus, menteur, espion ! » cria Na-Yaxhal.

Hunahpu rejeta la tête en arrière et partit d’un grand rire, tout en insérant le doigt dans le panier de lumière pour l’allumer. « Na-Yaxhal, un homme qui se lève deux fois dans la nuit le ventre douloureux à cause de la diarrhée, aurait-il le front de se dresser devant Un-Hunahpu, qui apporte un panier de lumière de Xibalba ? » Et il braqua le faisceau lumineux dans les yeux de Na-Yaxhal.

Fille-de-Six-Kauil, l’épouse de Na-Yaxhal, s’écria : « Épargne mon sot de mari !

— Silence, femme ! aboya Na-Yaxhal.

— C’est vrai, il s’est levé deux fois cette nuit avec la diarrhée, et il geignait de douleur ! » cria-t-elle. Les autres femmes se mirent à gémir devant cette confirmation du savoir mystérieux de l’inconnu, et les lances vacillèrent, puis commencèrent à s’abaisser.

« Na-Yaxhal, je vais te rendre très malade. Deux jours durant, tes entrailles couleront comme des fontaines, mais je te guérirai et je ferai de toi un homme au service du roi de Xibalba. Tu régneras sur de nombreux villages et tu construiras des bateaux qui visiteront toutes les côtes, mais cela seulement si tu t’agenouilles devant moi. Si tu refuses, je te ferai tomber par terre avec un trou dans le corps qui ne cessera de saigner que lorsque tu seras mort ! »

Je ne serai pas obligé de lui tirer dessus, se dit Hunahpu ; il va se soumettre et nous allons devenir amis. Mais s’il m’y force, j’y arriverai, j’arriverai à le tuer.

« Pourquoi l’homme de Xibalba me choisit-il pour tant de grandeur si je ne suis qu’un chien ? » répondit Na-Yaxhal d’une voix forte. S’il acceptait la discussion, cela augurait bien de la suite.

« Je t’ai choisi parce que tu es ce qui se rapproche le plus d’un homme parmi ceux qui aboient le zapotèque, et parce que ta femme est déjà une femme deux heures par jour. » Voilà pour récompenser la vieille taupe d’avoir parlé en faveur de Hunahpu.

Na-Yaxhal se décida et, aussi vivement que le lui permettait son corps vieillissant – il avait près de trente-cinq ans –, il se prosterna. Les hommes du village l’imitèrent.

« Où sont les femmes d’Atetulka ? Sortez de vos cachettes, vous et tous vos enfants ! Venez me voir ! Parmi les hommes je serais roi, mais je ne suis que le plus humble des serviteurs du roi de Xibalba. Venez me voir ! » Autant établir tout de suite les bases d’un traitement plus égalitaire des femmes. « Que chacun s’entoure de sa famille ! »

La confusion ne dura pas : les villageois avaient tendance à se regrouper par clans et familles, même face à un ennemi, si bien que son ordre n’entraîna guère de déplacements.

« Et maintenant approche, Na-Yaxhal. Retire la première aiguille de mon pénis et applique-t’en le sang sur le front, car tu es l’homme qui sera le premier roi du royaume de Xibalba-sur-Terre tant que tu me serviras, parce que je suis le serviteur du roi de Xibalba ! »

Na-Yaxhal s’avança et extirpa l’aiguillon de pastenague. Toujours anesthésié, Hunahpu ne tressaillit pas, mais il sentit l’aiguille tirailler la peau et songea que la blessure ne serait pas belle à voir, le soir venu. Si jamais je retrouve Diko, qu’elle ne vienne pas se plaindre de ce qu’elle aura dû subir pour la réussite de la mission ! Puis il se rappela le prix que Kemal devrait payer, lui, et la honte l’envahit.

Avec-le sang de l’aiguillon de raie. Na-Yaxhal se marqua le front, le nez, les lèvres et le menton.

« Fille-de-Six-Kauil ! » La femme sortit du clan dirigeant du village. « Enlève l’aiguille suivante. De quoi est-elle faite ?

— D’argent, dit-elle.

— Peins-toi le cou de mon sang. »

Elle se passa la longue aiguille d’argent sur le cou.

« Tu seras mère de rois et ta force emplira les bateaux du peuple zapotèque, si tu sers le roi de Xibalba-sur-Terre et moi, le serviteur du roi de Xibalba !

— Je le promets, murmura-t-elle.

— Plus fort ! ordonna Hunahpu. Tu ne chuchotais pas lorsque tu as sagement parlé des diarrhées de ton mari. La voix d’une femme peut se faire entendre aussi fort que la voix d’un homme, dans le royaume de Xibalba-sur-Terre ! »

Pour l’instant, je ne peux guère faire davantage pour l’égalité des sexes, songea Hunahpu, mais l’histoire devrait déjà révolutionner les esprits.

« Où est Yax ? » cria Hunahpu.

Le jeune homme s’approcha d’un air craintif.

« Jures-tu d’obéir à ton père et, lorsqu’il partira pour Xibalba, jures-tu de gouverner son peuple avec sagesse et compassion ? »

Yax se prosterna devant Hunahpu.

« Ôte l’aiguille suivante. De quoi est-elle faite ?

— D’or, répondit Yax quand il l’eut retirée.

— Peins ta poitrine avec mon sang. Tout l’or du monde sera à ta disposition quand tu seras digne de devenir roi, à condition que tu n’oublies pas qu’il appartient au roi de Xibalba, et non à toi ni à aucun homme. Tu le partageras libéralement et avec équité entre tous ceux qui boivent le sang et mangent la chair du roi de Xibalba. » Cela devrait inciter l’Église catholique à la conciliation lorsqu’elle rencontrerait ces étranges protochrétiens hérétiques. Si l’or se déversait en abondance dans ses coffres et si les indigènes confessaient manger la chair et boire le sang du roi de Xibalba, l’hérésie serait en bonne voie de se voir reconnue comme une variante acceptable du dogme catholique. J’aimerais savoir, se dit Hunahpu, si on va me sanctifier. En tout cas, ce ne sont pas les miracles qui vont manquer, pour un moment du moins.