Выбрать главу

Il scruta les visages qui l’entouraient ; respect religieux, surprise et, çà et là, rancœur. Bah, rien d’étonnant à cela ; dans le village, la structure du pouvoir allait connaître bien des bouleversements avant que tout soit fini. Ces gens allaient devenir les dirigeants d’un puissant empire, mais quelques-uns d’entre eux seulement seraient à la hauteur du défi et beaucoup resteraient à la traîne parce qu’ils n’étaient adaptés qu’à la vie dans leur village. Nul déshonneur à cela, mais certains se sentiraient délaissés et se vexeraient. Hunahpu ferait de son mieux pour leur apprendre à se satisfaire de ce qui était à leur portée, à tirer fierté des réalisations des autres, mais il ne pouvait pas changer la nature humaine. Certains s’en iraient à la tombe en le haïssant à cause des chamboulements qu’il aurait provoqués, et jamais il ne pourrait leur révéler comment leur existence aurait pu s’achever sans son intervention.

« Où habitera Un-Hunahpu ? demanda-t-il.

— Chez moi ! cria aussitôt Na-Yaxhal.

— Prendrai-je la maison du roi d’Atetulka alors qu’il commence seulement à devenir un homme ? Elle a été la maison d’hommes-chiens et de femmes-chiennes ! Non, vous devez me bâtir un nouveau logis, ici même, là où je me trouve. »

Hunahpu s’assit en tailleur dans l’herbe.

« Je ne bougerai d’ici que je n’aie une nouvelle maison autour de moi. Et, au-dessus de moi, je veux un toit recouvert avec du chaume pris du toit de toutes les maisons d’Atetulka. Na-Yaxhal, prouve-moi que tu es un roi : organise ton peuple pour qu’il construise ma maison avant la nuit, et enseigne-lui ses devoirs de façon que les ouvriers soient capables de la bâtir sans prononcer un mot. »

Il était déjà midi, mais, aussi impossible que la tâche pût paraître aux villageois, Hunahpu les savait parfaitement capables de la mener à bien. L’histoire de la construction de la maison d’Hunahpu se répandrait et convaincrait les villages voisins qu’ils étaient bien dignes de posséder la plus grande cité de toutes les cités du nouveau royaume de Xibalba-sur-Terre. Ce genre de récit était nécessaire pour consolider une nation naissante avec des visées impérialistes : ces citoyens devaient avoir une foi inébranlable en leur propre valeur.

Et, s’ils n’y arrivaient pas avant la nuit, Hunahpu allumerait simplement le panier de lumière en déclarant que les seigneurs de Xibalba allongeaient le jour grâce à ce fragment de soleil afin qu’ils puissent terminer avant la tombée du soir. Dans l’un et l’autre cas, cela ferait une bonne histoire.

Les villageois l’abandonnèrent promptement pour prendre les ordres de Na-Yaxhal quant à la construction de la maison. Enfin libre de se détendre. Hunahpu prit du désinfectant dans un de ses sacs et s’en appliqua sur son pénis meurtri ; le produit contenait des agents coagulants et cicatrisants qui réduiraient bientôt l’écoulement de sang à un simple suintement, puis le stopperaient complètement. Les mains d’Hunahpu tremblaient, non à cause de la douleur, car elle n’était pas encore apparue, ni même de la perte de sang, mais plutôt de soulagement après la tension du rituel qu’il venait d’accomplir.

Après coup, il s’était avéré aussi facile d’impressionner ces gens que Hunahpu l’avait imaginé en proposant son plan à ses camarades, dans l’avenir disparu. Facile, mais en attendant il n’avait jamais eu aussi peur de toute sa vie. Où donc Colomb a-t-il trouvé l’audace de créer un nouvel avenir ? Dans son ignorance de la façon dont l’avenir pouvait déraper, se dit Hunahpu ; c’est seulement son ignorance qui lui a permis de façonner le monde avec autant de témérité.

« Il est difficile de concevoir qu’il s’agit là des grands royaumes de l’Orient dont Marco Polo parle dans son récit », fit Sânchez.

Cristoforo était bien en peine de le contredire. Colba semblait assez vaste pour être le continent de l’Asie, mais les Indiens soutenaient que c’était une île et qu’il s’en trouvait une autre, nommée Haïti, au sud-ouest, beaucoup plus riche et où l’or abondait. Se pouvait-il que ce soit Cipango ? Peut-être. Mais il était décourageant de devoir constamment assurer aux matelots et surtout aux fonctionnaires royaux que des fortunes inouïes n’étaient plus qu’à quelques jours de mer de là.

Quand Dieu allait-il lui accorder son triomphe ? Quand donc les promesses d’or et de grands royaumes allaient-elles se réaliser au vu et au su de tous, afin qu’il puisse rentrer en Espagne avec les titres d’amiral et de vice-roi de la Mer océane ?

« Quelle importance ? rétorqua don Pedro. La plus grande richesse de cette terre est sous nos yeux.

— Comment cela ? demanda Sânchez. Cette terre ne regorge que d’arbres et d’insectes !

— Et d’habitants, fit don Pedro. Les gens les plus doux, les plus pacifiques que je connaisse. Nous n’aurons aucun mal à les mettre au travail et ils obéiront parfaitement à leurs maîtres. Ils n’ont aucune violence en eux, n’est-ce pas évident ? Imaginez-vous les prix qu’atteindraient des serviteurs d’une telle docilité ? »

Cristoforo fronça les sourcils. Il y avait déjà pensé, mais cette idée le troublait : était-ce bien le souhait du Seigneur, qu’on les convertisse et qu’on les enchaîne en même temps ? Cependant, il n’y avait pas d’autre source de richesse apparente dans ce pays où Dieu l’avait conduit ; et, manifestement, ces sauvages étaient inaptes à faire de bons soldats pour une croisade.

Si Dieu avait voulu qu’ils soient des chrétiens libres, Il leur aurait appris à se vêtir au lieu de les laisser aller tout nus.

« Naturellement, dit Cristoforo. À notre retour, nous ramènerons un échantillon de cette population à Leurs Majestés. Mais je pense qu’il sera plus profitable de les maintenir ici, dans le pays auquel ils sont acclimatés, et de les employer dans les mines d’or et d’autres métaux précieux, cependant que nous leur enseignerons les Évangiles et veillerons à leur salut. »

Aucun de ses compagnons ne manifesta le moindre désaccord – comment discuter une telle évidence ? Par ailleurs, ils restaient affaiblis et fatigués par l’affection qui s’était emparée des équipages des trois navires et les avait obligés à jeter l’ancre et à se reposer plusieurs jours. Nul n’en était mort : le mal n’avait pas, et de loin, la virulence des terribles maladies qui avaient assailli les Portugais en Afrique, les contraignant à bâtir leurs forts sur des îles au large des côtes. Néanmoins, Cristoforo en avait gardé une solide migraine dont les autres souffraient aussi sans doute. Si elle n’était pas si douloureuse, il en viendrait presque à souhaiter qu’elle dure car elle interdisait qu’on élève la voix. Les fonctionnaires royaux étaient beaucoup plus supportables lorsque la douleur les empêchait de s’exprimer d’une voix stridente.

Ils avaient des mines de déterrés en arrivant devant la cité nommée Cubanacan. Cristoforo avait cru que la dernière syllabe faisait référence au grand khan des écrits de Marco Polo, mais, parvenus à la « cité » dont les indigènes leur rebattaient les oreilles, ils s’étaient trouvés devant un pitoyable ramassis de huttes, peut-être un peu plus peuplé que les autres villages sordides qu’ils avaient visités sur l’île. La cité du grand khan, ah ouiche ! Sânchez avait alors osé élever le ton, et devant les hommes. Peut-être cette maladie sans gravité était-elle une remontrance de Dieu à l’encontre de ses plaintes et de son comportement insoumis. Peut-être Dieu voulait-il lui fournir un véritable sujet de pleurnicherie.