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— La langue des insectes ? dit-elle, en lançant à Husathirn Mueri un long regard empreint d’hostilité.

— Ah ! Pardon ! J’aurais dû dire des hjjk.

— Je trouve l’autre terme injurieux.

— Je te prie d’accepter mes excuses les plus sincères. J’ai employé ce terme inconsidérément. Cela ne se reproduira plus.

Husathirn Mueri semblait ne plus savoir où se mettre et il avait l’air sincèrement désolé.

— Veux-tu lui parler ? poursuivit-il après quelques instants. Et voir si tu peux découvrir pourquoi il est venu ici ?

— Je vais voir ce que je peux faire, dit Nialli Apuilana d’un ton glacial.

Elle s’avança vers l’étranger et s’arrêta juste devant lui, si près qu’elle pénétra elle aussi dans le cône de lumière et que la pointe de ses seins effleurait presque le talisman du Nid qui pendait sur la poitrine du jeune homme. Il leva les yeux et les plongea dans les siens.

Il était un peu plus âgé qu’elle ne l’avait pensé de prime abord. De loin, il lui avait semblé n’être encore qu’un garçon, mais c’était à cause de son aspect famélique. En réalité, il devait avoir au moins son âge, voire un ou deux ans de plus. Mais il n’avait pas une once de graisse, et très peu de muscles.

Pour en avoir fait l’expérience, Nialli Apuilana savait que c’était le résultat d’une alimentation limitée aux graines et à la viande séchée.

L’étranger avait probablement vécu pendant plusieurs années chez les hjjk, assez longtemps en tout cas pour que son corps soit transformé par leurs rations frugales. Il avait même la posture raide et guindée d’un hjjk, comme si la fourrure et la chair qu’il portait n’étaient qu’une enveloppe abritant l’insecte fluet qui se trouvait à l’intérieur.

— Vas-y ! Parle-lui !

— Une seconde ! Laisse-moi un peu de temps !

Elle s’efforça de rassembler ses idées. La vue des talismans que l’étranger portait au bras et sur la poitrine avait remué en elle des sentiments très vifs. Elle était trop excitée pour réussir à retrouver une seule syllabe de la langue hjjk, du peu qu’elle avait appris quelques années auparavant.

Les hjjk communiquaient entre eux de différentes manières. Ils avaient un langage articulé, les bourdonnements, claquements et sifflements qui leur avaient valu le nom que le Peuple leur donnait, mais ils étaient également en mesure de se parler, et de parler aux membres du Peuple qui croisaient leur chemin, grâce à un langage silencieux de l’esprit, une forme de seconde vue appliquée à la parole. Ils disposaient enfin d’un système de communication complexe reposant sur un ensemble de sécrétions chimiques, tout un code de signaux olfactifs.

Pendant le temps passé dans le Nid, Nialli Apuilana avait surtout communiqué avec les hjjk par le biais du langage mental qui leur permettait de se faire parfaitement comprendre d’elle et de comprendre tout ce qu’elle disait. Elle avait également réussi à apprendre quelques centaines de mots de leur langage articulé, mais elle en avait oublié la plupart. Le langage des sécrétions chimiques lui était toujours demeuré étranger.

Pour rompre l’interminable silence, elle leva la main et effleura le talisman de l’étranger tout en se penchant vers lui et en lui adressant un sourire chaleureux.

Il eut un mouvement de recul, mais parvint à se dominer et il prononça quelques mots rauques en hjjk. Son visage demeurait grave et il semblait incapable de changer d’expression. On l’eût dit taillé dans un bois dur.

Elle posa de nouveau la main sur le talisman du Nid et la ramena sur sa propre poitrine.

Quelques mots de hjjk lui revinrent alors en mémoire et elle les prononça malgré les difficultés qu’elle avait à former les âpres sonorités dans sa gorge. C’étaient les mots signifiant le Nid, la Reine et l’abondance du Nid.

Le jeune homme retroussa les lèvres en une grimace qui était presque un sourire. Mais peut-être s’agissait-il d’un sourire qui ne pouvait prendre une autre forme que celle d’une grimace.

— Amour, dit-il dans la langue du Peuple. Paix.

C’était un début.

Venus des profondeurs de son esprit, d’autres mots hjjk lui montèrent aux lèvres. Les mots signifiant la force du Nid, la nature de la Reine, les pensées du Penseur. Le visage de l’étranger s’illumina.

— Amour, répéta-t-il. La Reine… Amour.

Il leva ses poings serrés, comme s’il essayait de toutes ses forces de découvrir d’autres mots de la langue du Peuple enfouis depuis longtemps au plus profond de sa mémoire. L’anxiété se peignit sur sa face anguleuse.

Il parvint enfin à articuler un nouveau mot hjjk que Nialli Apuilana reconnut comme celui qui pouvait être traduit par « le peuple de chair », le terme employé par les hjjk pour parler du Peuple.

— Qu’est-ce que vous racontez, tous les deux ? demanda Husathirn Mueri.

— Rien de très important. Nous en sommes encore aux contacts préliminaires.

— T’a-t-il dit son nom ?

— Il n’y a pas de mot exprimant l’idée de nom dans leur langue. Les hjjk ne portent pas de nom.

— Peux-tu au moins lui demander ce qu’il est venu faire ici ?

— C’est ce que j’essaie de faire, répondit-elle. Tu ne le vois donc pas ?

Mais c’était sans espoir. Pendant dix longues minutes, elle s’acharna à briser la barrière de la langue, mais en pure perte.

Elle avait tellement attendu de cette rencontre. Elle avait désespérément envie de faire revivre avec l’étranger le temps du Nid, de lui parler de l’amour de la Reine, du plan de l’Œuf, de la force du Nid et de toutes ces choses qu’elle avait à peine eu le temps de découvrir pendant sa trop brève captivité. Tout ce qui avait façonné son âme aussi sûrement que l’austère alimentation des hjjk avait façonné le corps de ce jeune homme. Mais les barrières demeuraient infranchissables.

Comment surmonter l’obstacle de la langue ? Ils ne pouvaient que balbutier mutuellement quelques mots au hasard et échanger quelques fragments d’idées. Leurs esprits semblaient parfois sur le point de se rencontrer ; les yeux de l’étranger se mettaient alors à étinceler et l’ombre d’un sourire apparaissait sur son visage, mais ils atteignaient aussitôt les limites de leur communication et le mur de l’incompréhension se remettait en place entre eux.

— Arrives-tu à quelque chose ? demanda Husathirn Mueri au bout d’un long moment.

— Non, à rien. Absolument rien.

— Tu ne peux même pas essayer de deviner ce qu’il dit ? Ou ce qu’il est venu faire ici ?

— La seule chose dont je suis à peu près certaine, c’est qu’il est venu en ambassade.

— Est-ce que tu t’appuies sur quelque chose pour dire cela, ou bien n’est-ce qu’une supposition ?

— Tu vois les morceaux de carapace qu’il porte ? Eh bien, ce sont les emblèmes d’une haute autorité. Son pectoral est ce que les hjjk appellent un talisman du Nid et il est fait de la carapace d’un guerrier mort. Jamais ils ne l’auraient laissé quitter le Nid avec cet attribut, s’il n’avait été envoyé en mission spéciale. Ce pectoral est un peu l’équivalent d’un masque de chef pour nous. L’autre emblème, le bracelet, est sans doute un cadeau de son penseur du Nid, destiné à l’aider à mettre de l’ordre dans ses pensées. Le pauvre, cela ne lui a pas servi à grand-chose !

— Qui est ce penseur du Nid ?

— Son mentor. Son instructeur. Ne me demande pas de tout expliquer maintenant. Je sais que, pour toi, ce ne sont de toute façon que des insectes.

— Je t’ai dit que je regrettais…