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Et pourtant tout s’était bien passé jusqu’à présent. Bien mieux même qu’ils n’auraient pu l’espérer.

La bataille de Vengiboneeza avait été un triomphe éclatant. Les hjjk y avaient construit un Nid en surface, un bizarre enchevêtrement de fragiles tubes gris courant dans toutes les directions et recouvrant l’antique cité du front de mer au pied des contreforts orientaux. Salaman avait lancé un assaut tumultueux à l’ouest, déclenchant un chapelet d’incendies et d’explosions le long de la baie tandis que les troupes de Thu-kimnibol descendaient discrètement les versants des montagnes d’un brun doré qui se dressaient au nord et à l’est de la cité. Pris par surprise, les hjjk s’étaient précipités vers la mer pour voir ce qui se passait tandis que Thu-kimnibol s’apprêtait à les prendre à revers.

Puis était arrivé le moment de mettre en service les armes de la Grande Planète. Thu-kimnibol avait utilisé celle qu’il avait baptisée la Boucle pour dresser le long des contreforts une barrière impénétrable, interdisant aux hjjk d’attaquer ses positions. Avec le Trait de Feu, il avait allumé des incendies dans toute la cité, jusqu’à ce que les langues de feu s’élèvent plus haut que les toits et dévorent les parois calcinées et racornies du Nid. Avec le Tube à Bulles, il avait ensuite provoqué dans l’air de telles turbulences que les antiques tours de Vengiboneeza, ces merveilleuses flèches aux reflets dorés, écarlate et bleu, d’un pourpre éblouissant ou d’un noir d’encre s’étaient toutes effondrées comme des bûchettes de bois sec. Pour finir, il s’était servi de la plus puissante des armes, le Mange-Terre, pour creuser d’énormes cratères dans les artères de la vaste métropole. Les boulevards et les avenues s’étaient affaissés, des pâtés de maisons entiers avaient disparu dans les entrailles du sol et un gigantesque nuage de poussière et de fumée, semblable à celui qui avait suivi la chute des étoiles de mort, avait obscurci le ciel.

Le Long Hiver n’avait pas réussi à détruire Vengiboneeza, mais Thu-kimnibol l’avait fait, en une demi-journée, grâce à quatre petits appareils qu’un fermier ignorant avait découverts à la suite d’un affaissement de terrain, dans une grotte creusée à flanc de colline.

Pendant toute la nuit, ils avaient regardé brûler la cité. La quasi-totalité de son énorme population avait dû périr dam les flammes. Les soldats de Thu-kimnibol ne virent pas un seul hjjk essayer de s’échapper du côté des collines et les guerriers de Salaman, disposés le long de la digue, massacrèrent ceux qui tentaient de fuir par la mer. Les deux armées firent leur jonction à l’extérieur de Vengiboneeza et s’enfoncèrent côte à côte au cœur du territoire hjjk. Ce n’est que plus tard, après la destruction d’un Nid secondaire, qu’elles s’étaient séparées. Dans l’ivresse du carnage, Salaman avait tenu à poursuivre les quelques centaines de hjjk qui avaient échappé à la tuerie. Thu-kimnibol n’éprouvait aucun plaisir à la perspective de le retrouver et il regrettait que le roi de Yissou n’ait pas choisi de faire cavalier seul jusqu’au bout.

Attirant Nialli Apuilana contre lui, il respira profondément, emplissant ses poumons de son odeur suave. Ce soir, au moins, ils seraient tranquilles. Si Salaman arrivait le lendemain, comme cela semblait de plus en plus probable, il réglerait le problème quand il se présenterait.

— Je m’étonne encore dit-il, d’une voix douce, quand je me réveille, de voir que tu es allongée à côté de moi. Même après tout ce temps, je te regarde et je me dis avec émerveillement : « C’est Nialli qui est là. » Quel étrange sentiment !

— Tu t’attends encore à voir Naarinta, n’est-ce pas ? dit-elle d’un air taquin.

— Par tous les dieux, tu es impitoyable, Nialli. Tu sais très bien ce que je veux dire. Je chérirai toujours la mémoire de Naarinta, mais elle m’a quitté depuis longtemps. Ce que j’essaie de te dire, c’est que je n’en reviens encore pas de partager un amour si fort avec toi, toi, la fille unique de mon demi-frère, la jeune fille bizarre et farouche que personne à Dawinno n’avait réussi à apprivoiser…

— Tu crois donc m’avoir apprivoisée, Thu-kimnibol ?

— Certainement pas. Mais je ne te considère plus comme l’enfant de quelqu’un, ni comme une fille bizarre, farouche.

— Ah ! Et comment me considères-tu ?

— Eh bien, comme la plus…

— Seigneur ? Prince ? lança une voix grave et familière de l’extérieur de la tente.

Thu-kimnibol lâcha un juron.

— C’est toi, Dumanka ? Par tous les dieux, j’espère que ce que tu as à me dire est important pour venir m’interrompre sous ma tente quand…

— Oui, prince ! C’est important !

— Je le ferai fouetter si ce n’est pas vrai, murmura Thu-kimnibol à Nialli Apuilana. Je te le promets.

— Va le voir. Dumanka n’est pas homme à te déranger pour rien.

— Oui, je suppose.

Thu-kimnibol posa sa coupe de vin et se dirigea vers l’entrée de la tente d’une démarche un peu raide, car ses muscles étaient encore endoloris de la dernière bataille. Il passa la tête par l’ouverture.

Dumanka avait l’air aussi stupéfait que s’il venait de voir le soleil se déplacer à reculons dans le ciel. Thu-kimnibol ne l’avait jamais vu dans un tel état.

— Prince…

— Par tous les dieux, vas-tu me dire ce qui se passe ?

— C’est Hresh, prince… Hresh le chroniqueur.

— Oui, je sais qui est Hresh. Qu’y a-t-il ? Avons-nous reçu un message de lui ?

Dumanka secoua la tête.

— Il est là, dit-il d’une voix étranglée.

— Quoi ?

— Plor Killivash vient juste de le ramener au camp. Il l’a trouvé au cours d’une patrouille, errant dans une voiture à xlendi. Nous l’avons emmené dans la tente de soins. Il semble en bonne santé, mais il a les idées un peu confuses. Il a demandé à vous voir et j’ai pensé…

Abasourdi, Thu-kimnibol lui fit signe de se taire. Puis il se retourna vers Nialli Apuilana.

— As-tu entendu ? demanda-t-il.

— Non. Des ennuis ?

— On peut appeler ça comme cela. Ton père est là, Nialli. Mon cinglé de frère. Dumanka m’a dit qu’on l’avait trouvé errant en pleine campagne. Par Mueri, Yissou et Dawinno, je voudrais bien savoir ce qu’il fait ici ! Sur le front ! Nous avions bien besoin de cela. Par tous les dieux !

— Viens avec moi voir la Reine, mon frère, dit Hresh d’une voix très calme. Je te la montrerai telle qu’Elle est.

Hresh était arrivé depuis une heure et il allait de surprise en surprise. Il avait appris successivement que Thu-kimnibol et Nialli Apuilana partageaient la même tente, que Vengiboneeza avait été détruite et que les hjjk reculaient sur tous les fronts. Mais, malgré l’épuisement du voyage, la stupéfaction et le désarroi dans lesquels l’avaient plongé ces nouvelles, toute son énergie et toute sa volonté demeuraient tendues vers le même objet.

— Voir la Reine ? dit Thu-kimnibol en écarquillant les yeux.

Puis il esquissa un petit sourire et son visage prit une expression d’indulgente condescendance.

— Nous deux ? Aller voir la Reine des Reines ?

— Oui.

— Pour parler avec Elle ? Pas pour la tuer, juste pour discuter ?

— Oui, dit Hresh.

— Et comment irons-nous ? Dans ta petite voiture ?

— J’ai ceci, dit Hresh en ouvrant la main et en montrant la bourse contenant le Barak Dayir.

— Tu as emporté la Pierre des Miracles ? dit Thu-kimnibol avec un grognement d’étonnement.

— Le Barak Dayir est à moi, mon frère. Comme le sont les armes avec lesquelles tu as détruit Vengiboneeza.