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— Comprenons-nous bien, dit Thu-kimnibol en éludant la question. Tu me proposes de nous rendre dans le Nid, mais pas en chair et en os. En utilisant la Pierre des Miracles pour y projeter nos âmes.

— Exactement.

— Et pourquoi, mon frère, voudrais-tu que je me remette entre les mains de mon ennemie ?

— Pour que tu aies une idée de la nature de cette ennemie. Pas seulement de Sa grandeur, que tu sous-estimes probablement, mais aussi de Sa vulnérabilité dont je pense que tu n’as pas conscience.

— Sa grandeur, Sa vulnérabilité, dit Thu-kimnibol, le front plissé. De Sa grandeur, je n’ai déjà que trop entendu parler. Mais Sa vulnérabilité ? Qu’entends-tu par là ?

— Viens avec moi, si tu veux le savoir.

La sérénité de Hresh était une armure qui le rendait invulnérable. Thu-kimnibol tourna la tête vers Nialli Apuilana, comme pour implorer son aide.

Hresh remarqua les blessures en voie de cicatrisation sous l’épaisse fourrure brique de son frère. Il y en avait au moins une demi-douzaine. Il se demanda quels prodiges d’héroïsme Thu-kimnibol avait dû déployer au combat, combien de dizaines de hjjk il avait déjà fait passer de vie à trépas.

— Quels risques y a-t-il à entreprendre cela, père ? demanda Nialli Apuilana.

— Le seul risque est qu’elle nous ensorcelle, et tu sais combien ses sortilèges sont puissants. Mais je pense que nous pouvons lui résister. Je le sais. J’ai déjà réussi une fois à échapper à son étreinte.

— Tu veux dire que tu as déjà fait le voyage dans le Nid ? demanda Thu-kimnibol.

— Dans un Nid secondaire, oui. J’y suis resté plusieurs semaines et, de là, je me suis transporté dans le Nid des Nids avec l’aide du Barak Dayir. La Reine des Reines détient elle aussi une Pierre des Miracles, un talisman qui appartenait autrefois aux Beng et qui est enchâssé dans son corps. Je lui ai parlé, par le truchement des deux Pierres des Miracles. Après quoi, les hjjk du Nid où je vivais m’ont chassé. Je suppose qu’ils ont guidé mon xlendi jusqu’à ce que je tombe sur un des nôtres.

— Alors, c’est un piège, dit Thu-kimnibol.

— Tout cela s’inscrit dans les desseins de Dawinno, répliqua Hresh.

Thu-kimnibol se tut. Hresh le considéra calmement. Une patience infinie emplissait son âme. Jamais il n’avait éprouvé une telle tranquillité d’esprit. Rien ne pourrait le détourner de son but.

Dès son arrivée sous la tente, il avait perçu les indices de l’intimité existant entre son frère et Nialli Apuilana. Cela lui avait donné un coup, mais il s’était très vite ressaisi. Ils avaient tous deux une indiscutable noblesse, et les voir enfin unis en cette période agitée avait quelque chose de tout à fait naturel, voire d’inévitable. C’était très bien ainsi.

La nouvelle de la destruction de Vengiboneeza avait été un autre choc, d’un genre différent Vengiboneeza était depuis l’aube des temps une merveilleuse et majestueuse cité. Il avait éprouvé une profonde tristesse en apprenant que le sanctuaire renfermant tant de trésors antiques, le lieu où il avait passé une partie de sa jeunesse, n’était plus, que la guerre avait réduit à l’état de ruines la cité qui avait survécu au Long Hiver.

Mais il n’avait pas perdu de temps en vains regrets. Rien n’était éternel, hormis l’éternité. Pleurer la perte de Vengiboneeza revenait à renier Dawinno. Les dieux dispensent, les dieux reprennent. Le flux du changement est la seule constante. Le Transformateur détruit tout à l’heure qu’il a lui-même fixée et le remplace par autre chose. Hresh savait qu’il y avait eu sur la Terre d’autres cités encore plus orgueilleuses que Vengiboneeza et dont il ne restait absolument rien, pas même le nom.

Thu-kimnibol avait le regard fixé sur Hresh.

— Je crois que tu devrais te reposer, mon frère, dit-il au bout d’un long moment.

— Cela veut dire que tu me crois sénile, ou complètement cinglé ? demanda Hresh en riant.

— Cela veut seulement dire que tu es épuisé par les épreuves que tu as traversées. Et que nous n’avons certainement pas besoin, ni l’un ni l’autre, d’aller nous jeter dans les griffes de la Reine.

— Je me suis déjà trouvé entre ses griffes et, comme tu peux le constater, j’en suis sorti. Je pourrai lui échapper une seconde fois. Avant que la guerre continue ses ravages, il y a un certain nombre de choses que tu dois savoir.

— Parle-m’en, dit Thu-kimnibol.

— Il faut que tu les voies par toi-même.

Thu-kimnibol le regardait en silence, l’air impénétrable. Ils étaient dans une impasse.

— As-tu confiance en moi, mon frère ? demanda Hresh.

— Tu sais bien que oui.

— Crois-tu que je ferais quoi que ce soit pour te nuire ?

— C’est possible. Sans en avoir l’intention, Hresh-le-questionneur. Tu fourres toujours ton nez partout. Tu as toujours été intrépide, mon frère. Trop, peut-être.

— Et toi, Thu-kimnibol, n’es-tu donc qu’un poltron ?

— Tu t’imagines pouvoir m’entraîner dans cette entreprise démentielle en misant sur mon orgueil, Hresh ? Tu pourrais me supposer un peu plus d’intelligence.

— C’est ce que je fais, et plus que tu ne le crois. Je te le demande encore une fois : viens avec moi voir la Reine. Si tu veux avoir la haute main sur la planète, et je sais que tu y aspires, il faut que tu comprennes la nature du seul être qui ait le pouvoir de t’en empêcher. Viens avec moi, mon frère.

Hresh tendit la main. Sa voix était assurée et son regard implacable.

Thu-kimnibol se dandinait d’une jambe sur l’autre. Il réfléchissait, le front plissé, en tirant sur la barbe rousse de ses joues. L’incertitude assombrissait son visage. Puis son expression changea insensiblement. Il sembla fléchir – Thu-kimnibol, fléchir ! – devant la force de volonté de Hresh.

— Qu’en penses-tu ? demanda-t-il, l’air pincé, à Nialli Apuilana. Tu crois que je devrais le faire ?

— Oui, je crois, répondit-elle sans hésiter. Thu-kimnibol hocha la tête en signe d’acquiescement. Il parut d’un seul coup débarrassé d’un grand poids.

— Comment allons-nous nous y prendre ? demanda-t-il à Hresh.

— Nous allons nous unir par le couplage, puis le Barak Dayir nous transportera dans le Nid des Nids.

— Quoi, un couplage ? Toi et moi ? Mais, Hresh, nous n’avons jamais fait cela !

— Non, mon frère. Jamais.

— Comme cela paraît étrange, dit Thu-kimnibol en souriant. Un couplage avec mon propre frère. Mais, s’il le faut, nous allons le faire. Hein, Hresh ? Si, pour une raison ou pour une autre, ajouta-t-il en se tournant vers Nialli Apuilana, je ne revenais pas…

— Ne dis pas cela, Thu-kimnibol !

— Hresh ne m’a rien garanti et il faut envisager toutes les possibilités. Si je ne reviens pas, mon amour, si mon âme ne réintègre pas mon corps au bout d’un certain temps – disons, deux jours – va voir Salaman et raconte-lui ce qui s’est passé. Tu as bien compris ? Remets-lui le commandement de notre armée et confie-lui les quatre armes de la Grande Planète.

— À Salaman ? Mais il est complètement fou !

— Il n’en est pas moins un grand guerrier. C’est le seul, après moi, qui puisse prendre le commandement de nos troupes pendant cette campagne. Tu le feras ?

— Si c’est indispensable, murmura Nialli Apuilana.

— Très bien.

Thu-kimnibol respira profondément et tendit son organe sensoriel vers Hresh.

— Voilà, mon frère, je suis prêt. Nous pouvons aller rendre visite à la Reine.

Tout est plongé dans les ténèbres, un océan de noirceur si dense que toute possibilité de lumière est exclue. Puis, brusquement, une lumière intense, semblable à l’explosion d’un soleil, s’épanouit à l’horizon. Les ténèbres se fragmentent en une infinité de points lumineux à l’éclat éblouissant et Thu-kimnibol sent passer près de lui ces fragments incandescents portés par des souffles d’air brûlant.