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Soit… définitivement…

…vaincue…

Peut-être l’est-elle déjà. Il sent le désespoir le gagner, l’étouffer. Toute la force semble se retirer de ses membres et il se rend compte que cette force n’était qu’une illusion, qu’il s’était pris pour un géant alors qu’il n’avait toujours été qu’une mouche, une mouche intrépide et stupide qui avait osé défier un monarque immortel.

Il descend en flottant, telle une escarbille emportée par le vent, vers le corps colossal de la Reine. Dans un instant, il se posera sur la surface de ce corps monstrueux et il sera englouti. Il se tourne vers Hresh pour implorer son aide, mais son frère semble encore plus distant qu’auparavant, juste un petit point éloigné, déjà attiré par la force irrésistible de la Reine, s’enfonçant déjà irrémédiablement dans la masse titanesque de chair.

Il va subir le même sort. Ils sont tous deux condamnés.

La Reine est une grande force cosmique, une implacable créature élémentaire qui a le pouvoir de mettre fin à sa vie d’une simple chiquenaude dédaigneuse de Sa volonté.

Thu-kimnibol se demande si Elle a l’intention de le tuer, ou simplement de l’engloutir. Il songe aux dimensions de Son corps et au pouvoir de la Pierre des Miracles ensevelie dans cette masse incalculable de chair. Il décide qu’Elle ne veut probablement pas le tuer, mais que, si Elle essaie, il fera exploser en Elle, par l’entremise de Hresh avec qui il est intimement uni et de la Pierre des Miracles de Hresh, une fureur si violente qu’Elle se tordra dans d’indicibles douleurs.

Mais il est plus vraisemblable qu’Elle compte l’absorber et le neutraliser, le transformer d’ennemi en esclave. Cela, il ne le Lui permettra pas non plus.

Sa puissance est immense. Et pourtant… et pourtant…

Il a brusquement l’impression de percevoir Ses limites. De saisir comment Elle peut être neutralisée, à défaut d’être totalement vaincue.

La perfection de l’empire hjjk bourdonne, tourbillonne et resplendit tout autour de lui et la puissance de la Reine ne relâche pas son étreinte, mais pourtant, au milieu de toutes ces forces oppressantes, Thu-kimnibol comprend ce que voulait dire Hresh en disant qu’il devait essayer d’appréhender la vulnérabilité des hjjk.

Leur perfection même est leur talon d’Achille. La grandeur de la civilisation autarcique qu’ils ont édifiée et perpétuée pendant des millénaires contient en germe sa propre destruction. Hresh l’a déjà compris et maintenant, en quelque lieu qu’il soit, Hresh l’aide à le comprendre. Thu-kimnibol pense que les hjjk sont l’accomplissement suprême des dieux, mais ils refusent de comprendre que l’essence du dessein des dieux est le changement permanent. Le temps a toujours apporté le changement à tous les êtres vivants et il en ira de même des hjjk, sinon ils périront.

Leur société est trop rigide ; ils peuvent se briser. S’ils ne se plient pas à la loi des dieux, se dit Thu-kimnibol, ils finiront par subir le sort de tout ce qui ne peut ou ne veut pas se courber. Tôt ou tard, il leur faudra affronter une force à laquelle ils seront incapables de résister et ils voleront instantanément en éclats.

— Viens, mon frère, s’écrie-t-il. Nous sommes restés assez longtemps. J’ai appris ce que tu voulais que j’apprenne.

— Thu-kimnibol ? dit Hresh d’une voix ténue. C’est toi ? Où es-tu, mon frère ?

— Là. Je suis là. Prends ma main.

— Je suis avec la Reine maintenant, mon frère.

— Non ! Non ! Jamais ! Elle ne peut pas te retenir. Viens !

D’énormes éclats de rire retentissent tout autour de lui. Elle croit les tenir tous les deux. Mais Thu-kimnibol n’a pas peur. L’effroi mêlé de respect qu’il avait éprouvé au début l’avait mis à Sa merci, mais cet effroi a disparu, il a été remplacé par la colère et le mépris, et Elle n’a aucun autre moyen de le retenir.

Il est tout à fait conscient de n’être qu’une mouche à côté d’Elle, mais une mouche peut faire ce qu’elle a à faire sans être vue par une créature beaucoup plus grosse qu’elle. C’est le grand avantage dont bénéficient les mouches, se dit Thu-kimnibol. La Reine ne peut pas nous retenir, si Elle ne nous trouve pas. Et elle est tellement persuadée de Son omnipotence qu’elle n’essaie pas vraiment de le faire.

Il commence à s’écarter doucement d’Elle, entraînant Hresh avec lui.

Remonter de Son antre est aussi ardu que d’entreprendre l’ascension d’une montagne dont la cime crève le plafond du ciel. Mais tout voyage, aussi long soit-il, ne se fait que pas à pas. Thu-kimnibol s’élève lentement, insensiblement, en tenant Hresh dans ses bras. La Reine ne semble pas l’empêcher de partir. Peut-être croit-Elle qu’il retombera de lui-même.

Il monte. Il monte toujours. Des flots de lumière l’enveloppent, mais ils s’estompent à mesure qu’il continue de s’élever. Il n’a plus maintenant devant lui que les ténèbres, profondes, intenses.

— Mon frère ! dit Thu-kimnibol. Nous sommes libres, mon frère. Nous sommes en sécurité maintenant.

Il cligna des yeux et ouvrit les paupières. Penchée sur lui, Nialli Apuilana poussa un petit cri de joie.

— Enfin ! Tu es revenu !

Thu-kimnibol hocha la tête. Il tourna les yeux vers Hresh. Son frère avait les yeux entrouverts, mais il semblait assommé, hébété. Thu-kimnibol tendit la main et la posa sur le bras de Hresh. Il semblait très calme et il frémit quand les doigts de Thu-kimnibol l’effleurèrent.

— Il s’en remettra ? demanda Nialli Apuilana.

— Il est très fatigué. Moi aussi. Combien de temps sommes-nous partis, Nialli ?

— Presque une journée et demie, répondit-elle en le regardant comme s’il avait subi quelque profonde métamorphose. Je commençais à me dire que… que…

— Une journée et demie, murmura-t-il, l’air pensif. J’ai l’impression que cela a duré des années. Que s’est-il passé ici ?

— Rien. Je n’ai même pas vu Salaman. Il a contourné notre campement sans s’arrêter et il a poursuivi tout seul sa route vers le nord.

— Décidément, il est fou. Eh bien, qu’il se débrouille.

— Et toi ? demanda Nialli Apuilana sans le quitter des yeux. Comment était-ce ? As-tu vu le Nid ? Es-tu entré en contact avec la Reine ?

Il ferma les yeux et les rouvrit aussitôt.

— Je n’ai pas compris la moitié de ce que j’ai vu. Elle est si impressionnante… Le Nid est si imposant… Leur vie est si complexe…

— C’est ce que j’avais essayé de vous faire comprendre au Praesidium. Mais personne n’a voulu m’écouter, pas même toi.

— Surtout pas moi, Nialli, dit-il en souriant. Les hjjk sont des ennemis redoutables. Ils semblent être tellement plus sages que nous, tellement plus puissants. Ce sont des êtres supérieurs dans tous les domaines. J’ai presque envie de m’incliner devant eux.

— Oui, dit Nialli Apuilana.

— Au moins devant leur Reine, ajouta-t-il.

Le découragement perça dans sa voix. Le triomphe de sa fuite semblait déjà loin derrière lui.

— Elle est presque comme un dieu, poursuivit-il. Une créature gigantesque et si vieille, dont l’influence s’étend partout, qui dirige tout. C’est… c’est presque un sacrilège de Lui résister.

— Oui, dit Nialli Apuilana. Je vois ce que tu veux dire.

— Et pourtant, reprit-il en secouant lentement la tête, nous sommes obligés de résister. Il est impossible d’arriver à un compromis quelconque avec eux. Si nous ne continuons pas à les combattre, ils nous écraseront, ils nous submergeront. Mais si nous poursuivons cette guerre, et si nous la gagnons, n’irons-nous pas contre la volonté des dieux ? Si les dieux leur ont permis de voir la fin du Long Hiver, c’était peut-être pour leur transmettre la planète en héritage.