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— Nos pertes sont-elles très lourdes ? demanda Nialli Apuilana.

— Pas autant que je ne l’avais cru de prime abord. Une douzaine de morts et une cinquantaine de blessés. Chham a encore perdu plusieurs hommes et il ne lui en restait pourtant pas beaucoup. La Cité de Yissou sera un lieu désolé pendant de longues années. Une génération entière a été fauchée.

— Et la Cité de Dawinno ?

— Nous n’avons pas souffert autant qu’eux. Ils ont perdu en une seule journée la plus grande partie de leur armée.

— Alors que nous ne perdons nos hommes que par dizaines à la fois. Mais, en fin de compte, cela reviendra au même, non ?

— Alors, nous devons nous rendre ? demanda-t-il en lui lançant un regard énigmatique.

— Que dis-tu ?

— Je dis que, si nous continuons à nous battre, ils finiront par nous user peu à peu, quelles que soient les pertes que nous leur infligerons, et que, si nous cessons le combat, nous perdrons notre âme. Je pense que le temps joue contre nous et qu’il y a dans mon esprit plus de confusion et de questions qu’il n’y en a jamais eu.

Il tourna la tête et baissa les yeux sur ses mains grandes ouvertes comme s’il espérait y découvrir quelque oracle. Quand il reprit la parole, il était manifeste qu’il n’avait rien trouvé.

— J’ai l’impression, Nialli, de conduire cette campagne dans deux directions à la fois. Je vais de l’avant avec ardeur pour anéantir tous les hjjk que je rencontrerai, comme à Vengiboneeza, et j’ai hâte de détruire le Nid et tout ce qu’il contient. Mais, en même temps, une partie de moi me retient, me tire en arrière, prie pour que la guerre s’achève avant que j’aie fait du mal à la Reine. Tu comprends ce que c’est d’être écartelé de la sorte entre des aspirations contraires ?

— Oui, j’ai déjà éprouvé cela. Le charme exercé par le Nid est très puissant.

— Crois-tu que c’est pour cela que Hresh a tenu à m’y emmener ? Pour me livrer au pouvoir de la Reine ?

— Il désirait seulement que tu connaisses tous les aspects du conflit. Que tu comprennes que les hjjk sont dangereux, mais pas malfaisants, qu’il y a une grandeur en eux, mais d’un genre très différent de ce que nous connaissons. Mais dès que tu entres en contact avec le Nid, il devient une partie de toi-même et tu deviens une partie de lui. Je le sais. J’ai éprouvé cela, moi aussi, et sans doute beaucoup plus profondément que toi. N’oublie pas que je me suis considérée comme appartenant au Nid.

— Oui, je sais.

— Et que j’ai réussi à m’en libérer. Mais pas entièrement. Je ne pourrai jamais m’en libérer totalement. La Reine sera toujours en moi.

— Comme Elle est en moi ? s’écria-il d’une voix angoissée, les yeux étincelants.

— Oui, je crois.

— Mais alors, comment puis-je livrer cette guerre, si mon ennemie fait partie de moi et si je fais partie d’Elle ?

— Il n’y a aucun moyen, répondit-elle après une hésitation.

— Je méprise les hjjk ! Je veux les exterminer !

— C’est vrai. Mais jamais tu ne te permettras de le faire.

— Alors, je suis perdu, Nialli ! Nous sommes tous perdus !

Elle détourna le regard et le plongea dans l’ombre.

— Tu ne vois donc pas que c’est la terrible épreuve que nous imposent les dieux ? Il n’y a pas de solution facile. Mon père croyait que nous pourrions trouver un terrain d’entente avec les hjjk, que nous pourrions vivre en harmonie avec eux, comme les yeux de saphir et les autres races vivaient à leurs côtés à l’époque de la Grande Planète. Mais, malgré toute sa sagesse, il se trompait. Tandis que je me libérais de l’emprise de la Reine, il y succombait à son tour. Et il s’est laissé submerger. Mais nous ne sommes plus à l’époque de la Grande Planète et l’assimilation de deux races aussi différentes que les nôtres est impossible. Les hjjk ont naturellement envie de dominer et d’absorber. Tout ce que nous pouvons espérer, c’est les tenir en échec, comme l’ont peut-être fait les autres races de la Grande Planète.

— Et pourquoi ne pas les exterminer ?

— Parce que nous n’avons probablement pas les moyens de le faire. Et que, si jamais nous réussissions, il nous en coûterait beaucoup.

— Nous ne pouvons donc espérer mieux que de les tenir à distance ? dit Thu-kimnibol en secouant la tête. Tracer une frontière au milieu du continent, avec les hjjk d’un côté et le Peuple de l’autre ?

— Oui.

— C’est ce que la Reine nous avait proposé au départ. Pourquoi avons-nous donc refusé ? Si nous avions accepté de signer ce traité, nous nous serions épargné bien des pertes et des malheurs.

— Non, dit Nialli Apuilana. Tu oublies quelque chose d’important. Elle n’avait pas seulement proposé une division du territoire, mais également d’envoyer dans nos cités des penseurs du Nid changés de répandre Ses vérités et Son plan. Ils seraient parvenus à la longue à propager chez nous l’amour de la Reine et nous serions tombés à jamais en Son pouvoir. Elle aurait exercé Son emprise sur nous tous, comme Elle l’a fait avec Kundalimon et avec moi. Elle aurait limité le taux d’accroissement de notre population afin que nous ne soyons jamais assez nombreux pour contrecarrer Ses desseins. Elle aurait choisi l’emplacement de nos nouvelles cités afin de conserver pour Son peuple la majeure partie de la planète. Telles auraient été les conséquences de ce traité. Ce qu’il nous faut, c’est la frontière, mais surtout pas l’infiltration des penseurs du Nid dans nos cités. Nous en avons déjà trop souffert.

— La guerre doit donc se poursuivre jusqu’à ce qu’elle soit vaincue. Puis il nous faudra supprimer radicalement le culte de la Reine dans notre cité.

Il se détourna et commença à marcher de long en large sous la tente.

— Par les Cinq ! Verrons-nous jamais la fin de tout cela ?

— Nous pouvons au moins en voir la fin pour ce soir, dit Nialli Apuilana en souriant.

— Que veux-tu dire ?

— Nous pouvons nous accorder ce soir un petit moment hors de la guerre, dit-elle en se rapprochant de lui dans la pénombre. Juste pour nous deux.

Son organe sensoriel se dressa et se frotta timidement contre le sien. Il frissonna et sembla contenir un mouvement de recul, comme s’il était incapable de se débarrasser des doutes et des inquiétudes qui l’assaillaient. Mais elle resta contre lui et le soulagea doucement de sa nervosité et de ses appréhensions. Au bout d’un moment elle sentit qu’il commençait à se détendre. Il se dressa comme une montagne au-dessus d’elle et referma les bras sur son corps. Elle prit ses mains et les plaça sur sa poitrine. Ils demeurèrent longtemps dans cette position en laissant la communion s’établir. Puis ils se laissèrent lentement glisser par terre, unis par l’âme et par le corps, et passèrent le reste de la nuit dans les bras l’un de l’autre.