Elle s’arrête et relève la tête. Elle fouille du regard les recoins les plus sombres de la pièce, à la recherche de Hresh. Mais maintenant elle est seule. Elle relit ce qu’elle a écrit. Le chef, le roi, la reine, la victoire. Il faut également qu’elle fasse mention du changement de chroniqueur. Encore un changement d’importance.
Oui, cela fait beaucoup de grands changements. Et nul doute que de plus grands sont encore à venir. Car nous sommes déjà bien engagée dans le Printemps Nouveau et le printemps est la saison du développement et de la croissance. Au printemps, le monde renaît.
Préface
par Gérard Klein
Le modèle de la fourmilière fascine depuis longtemps les esprits spéculatifs, en particulier depuis qu’il a été décrit au siècle dernier par le grand entomologiste et écrivain Jean-Henri Fabre et célébré par le poète belge Maurice Maeterlinck.
La fourmilière, la termitière et la ruche semblait en effet proposer à l’humanité un modèle à la fois parachevé et effrayant de l’organisation sociale, qui serait comme une préfiguration de la civilisation rationnelle à venir. L’efficacité biologique et écologique des insectes sociaux est remarquable : elle leur permet d’assurer nourriture, reproduction et défense grâce à une division du travail et à des rôles spécialisés, comme dans les sociétés humaines. L’individu, pour autant qu’il existe séparément, s’y consacre entièrement au bien-être et à la survie de la collectivité. On peut même dire qu’il s’y sacrifie. Et c’est bien ce qui est terrifiant pour le sujet humain que ni les exhortations de la morale ni les démonstrations des idéologies ne convainquent jamais d’abdiquer tout à fait dans l’exercice de son désir personnel.
Bien entendu, la science-fiction a tiré un grand profit de ce modèle. Elle a souvent vu dans l’organisation des insectes sociaux la manifestation d’une intelligence radicalement étrangère mais pouvant préfigurer l’avenir des sociétés humaines. On rencontre des extraterrestres de ce type dans Les Premiers Hommes dans la Lune (1901) de H.G. Wells qui n’est sans doute pas le premier ouvrage à proposer cette figure, et on retrouve dans Le Voyageur imprudent (1943) de René Barjavel une humanité future transformée en fourmilière. Elle était du reste en bon chemin dès Le Meilleur des mondes (1932) d’Aldous Huxley. Frank Herbert, dans La Ruche d’Hellstrom (1973), décrit la mise en œuvre programmée, par une secte aux fins de sa survie, de la transformation d’humains en quasi-insectes sociaux.
D’autres romans, comme Les Formiciens (1932) de Raymond de Rienzi, spéculent sur l’origine de l’organisation sociale des fourmis et avancent que l’espèce a pu connaître à l’ère secondaire une phase d’intelligence individuelle comparable à la nôtre, et un langage articulé, auxquels elle aurait renoncé par souci d’efficacité et non sans conflits au profit du surêtre social et de l’immortalité de l’espèce.
Dans Les Demi-Dieux (1939), Gordon Bennett propose que des fourmis géantes et intelligentes deviennent des rivales redoutables pour l’humanité. Tout en conservant aux fourmis leur taille habituelle, Bernard Werber fait de même dans Les Fourmis (1991) et Le Jour des fourmis (1992).
Ce bref panorama du thème ne fait qu’effleurer une riche fantasmatique aux manifestations innombrables mais qui revient presque toujours à la critique idéologique des totalitarismes, en particulier du communisme, et plus généralement des utopies sacrifiant l’individu à la gloire de l’espèce. Un seul ouvrage, à ma connaissance, met en scène une fourmi individuelle, en quelque sorte mutante : c’est Spiridon le muet (1908) d’André Laurie, fourmi de taille humaine, chirurgien de génie que n’encombre aucune préoccupation éthique et qui représente en quelque sorte la quintessence du rationalisme scientiste. Mais ce pathétique Führer formicien a lui aussi pour objectif de supplanter l’espèce humaine.
Une des raisons de la fascination qu’exerce l’efficacité collective des insectes sociaux tient à la perfection de leur organisation et de leurs constructions. Aucun ingénieur, aucun architecte humain, dit-on non sans raison, ne serait capable de concevoir, et encore moins de construire, l’équivalent d’une termitière, en résolvant les énormes problèmes globaux d’équilibre thermique et de ventilation que cela suppose entre autres. L’invocation de l’instinct inscrit dans un programme génétique est d’un médiocre secours : d’une part, le capital génétique d’un termite est relativement limité et ne saurait contenir le plan détaillé d’une termitière ; d’autre part, il n’existe pas deux termitières rigoureusement identiques, ce qui semble exiger une extraordinaire intelligence dans l’adaptation aux situations locales ; leur édification selon les normes humaines demanderait également des capacités de planification et de communication prodigieuses.
Enfin, c’est la stabilité des formes sociales des fourmis, des termites et des abeilles qui a frappé les imaginations : elles existaient longtemps avant les dinosaures et elles subsisteront selon toute probabilité longtemps après que les humains auront disparu. En un sens limité, les insectes sociaux sont les véritables maîtres de la Terre. Et les insecticides n’y peuvent pas grand-chose.
Les métaphysiciens et autres spéculateurs de l’imaginaire ont donc été souvent réduits à invoquer des pouvoirs proprement surhumains, notamment extrasensoriels, qui seraient dévolus aux insectes sociaux. Les premiers ont défini la ruche comme un être collectif, pas si différent, dans ses spécialisations et sa structure, des pluricellulaires que nous sommes. Ce n’est sans doute pas faux mais cela n’explique pas grand-chose. Les seconds ont volontiers doté les reines, ou un mystérieux conseil des insectes, d’une intelligence prodigieuse et d’un pouvoir télépathique. C’est ce que fait Robert Silverberg en attribuant à la reine des Hjjks une capacité d’hypnose à distance qui menace de subvertir, au-delà de sa race, toutes les formes d’intelligence.
Cependant, il n’est pas certain qu’il faille aller chercher si loin. Dans ce domaine comme dans bien d’autres les connaissances humaines ont beaucoup progressé durant le dernier demi-siècle. D’une part, les modes de communication des insectes sociaux, par danses, par phéromones, par gestuelle orientée et par palpations, ont commencé d’être décryptés. D’autre part, il est apparu que de rares espèces de mammifères, certaines espèces de taupes[1] par exemple, soumises à des conditions extrêmes, adoptent des solutions analogues à celles des insectes sociaux, notamment dans leur reproduction qui spécifie des « reines » reproductrices et des « ouvrières » sexuellement neutres. Enfin, et peut-être surtout, le miracle apparent de comportements collectifs assez subtilement organisés pour permettre l’édification de cités qui défieraient l’habileté de constructeurs humains semble trouver des solutions assez simples à travers les phénomènes d’auto-organisation.
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Techniquement, ce ne sont pas des taupes, mais le spécialiste me pardonnera cette simplification.